Dialogue judéo-chrétien : enjeux et vigilance

Après des siècles marqués par le mépris, la haine, l’incompréhension et la défiance, chrétiens et juifs aspirent aujourd’hui à bâtir ensemble des espaces d’humanité partagée. C’est cette perspective d’espoir que je souhaite mettre en avant en ouverture de cette réflexion. À l’instar de nombreux observateurs, journalistes et intellectuels, je porte une attention soutenue aux évolutions et à la richesse du dialogue judéo-chrétien. Toutefois, il convient d’aborder ce sujet avec discernement et prudence, tant il demeure sensible et susceptible d’être fragilisé par des difficultés, qu’elles soient anciennes ou surgissent de façon inattendue. Une déclaration maladroite, à elle seule, pourrait suffire à enrayer temporairement ce processus. Mais peut-il exister un dialogue authentique sans qu’il soit, par moments, mis à l’épreuve ? La résolution conjointe des obstacles est précisément ce qui en garantit la vitalité.

J’insiste sur ce point : le dialogue exige des efforts constants, des gestes sincères, une capacité d’abnégation et une intelligence du cœur, afin de progresser sans relâche. Il ne saurait se réduire à un monologue ; il suppose l’engagement réciproque des deux parties, attentives à la sensibilité de l’autre, prêtes à poser des actes de solidarité et à affirmer une fraternité tangible.

Prenons un exemple : les souffrances endurées par les Juifs, victimes de l’antijudaïsme chrétien pendant des siècles, ne sauraient justifier le silence face aux persécutions subies aujourd’hui par les chrétiens d’Orient. Les crimes perpétrés en Irak, en Syrie ou ailleurs relèvent d’une barbarie extrême, défiant l’humanité tout entière. Des paroles existent, heureusement, pour rappeler cette solidarité. Ainsi, Haïm Korsia, grand rabbin de France, souligne : « La douleur de la Shoah, des siècles de massacres et de persécutions, ont sculpté dans le judaïsme un amour de l’Humanité : oui, la barbarie nous touche. En tant que Français et en tant que juif, elle nous touche doublement. »

Avec humilité – tant d’autres pourraient traiter ce sujet avec plus d’élégance ou d’érudition –, je souhaite rappeler brièvement les avancées du dialogue judéo-chrétien, en mettant en lumière les principales déclarations du pape François, qu’elles aient contribué à l’apaisement ou suscité la controverse.

La Shoah : un héritage de souffrances

Le pape François a fréquemment évoqué la Shoah, insistant sur l’importance de préserver la mémoire des victimes juives. Selon lui, la gravité de l’antisémitisme réside dans sa volonté de saper les fondements mêmes de la foi. Après la Journée de la mémoire de l’Holocauste en 2018, il a rappelé la nécessité de lutter contre la haine et l’indifférence, qualifiant cette dernière de « virus dangereux ». Il plaide pour une mémoire commune, vivante et porteuse d’espérance, entre juifs et chrétiens, afin de préserver la dignité humaine et de prévenir toute résurgence de l’antisémitisme.

Le pape a également exprimé un profond respect envers la mémoire blessée du peuple juif. Lors de sa visite à Bratislava, le 13 septembre 2021, sur la place où s’élevaient autrefois une cathédrale et une synagogue, il a déclaré ressentir le besoin « d’enlever [ses] sandales », se trouvant dans un lieu sanctifié par la fraternité.

Adresse aux chrétiens : solidarité et condamnation de l’antisémitisme

François a régulièrement exhorté les chrétiens à s’opposer à l’antisémitisme. En 2015, il dénonçait une « tendance troublante » et encourageait la solidarité avec le peuple juif. Devant l’Amitié judéo-chrétienne internationale, il rappelait que « tous les chrétiens ont des racines juives » et affirmait un « non irrévocable à l’antisémitisme ». Il a salué les progrès accomplis depuis Vatican II, soulignant l’importance de l’amitié et de la compréhension mutuelle. En 2017 puis en 2018, il a réaffirmé avec force l’incompatibilité de l’antisémitisme avec les valeurs chrétiennes.

Dénonciation de l’antisémitisme et appel à la paix

À plusieurs reprises, le pape François a condamné l’antisémitisme. En décembre 2022, il a lancé un appel explicite contre toute forme de haine envers les juifs. En novembre 2023, il s’est inquiété de la montée de l’antisémitisme en Europe et a plaidé pour une paix fondée sur le dialogue et la compassion. Le 20 avril 2025, lors de la bénédiction Urbi et Orbi, il a mis en garde contre le « climat d’antisémitisme croissant » dans le monde, appelant à la paix, à la libération des otages et à la protection des libertés fondamentales.

Polémiques et déclarations controversées sur Israël et Gaza

Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 et la riposte israélienne à Gaza, les interventions du pape François sur le conflit israélo-palestinien ont suscité de vives réactions, tant en Israël qu’au sein du monde juif et de l’opinion internationale.

Le pape s’est montré particulièrement préoccupé par la situation humanitaire à Gaza, dénonçant la « cruauté » des bombardements israéliens, notamment après la mort de civils et d’enfants. Son approche, marquée par la théologie de la libération et une solidarité affirmée avec les plus vulnérables, a été perçue par certains responsables israéliens comme une forme de « deux poids, deux mesures ». Ils lui reprochent de ne pas contextualiser suffisamment la lutte d’Israël contre le Hamas, ni de condamner explicitement les violences du 7 octobre.

La polémique a atteint son paroxysme lorsqu’il a évoqué, dans un ouvrage paru à l’automne 2024, la possibilité que les opérations israéliennes à Gaza puissent relever de la qualification de « génocide », appelant à une enquête internationale. Cette prise de position a suscité une réaction immédiate et indignée de la part des autorités israéliennes et de nombreuses organisations juives, qui y voient une accusation infondée et potentiellement dangereuse, alimentant un antisémitisme déjà préoccupant. En décembre 2024, une crèche exposée au Vatican représentant l’enfant Jésus allongé sur un keffieh, symbole du nationalisme palestinien, a suscité une vive controverse et a rapidement été retirée après de nombreuses réactions, notamment de la part de responsables israéliens et de communautés juives. Cette initiative artistique, perçue par certains comme une prise de position politique, a ravivé le débat sur l’instrumentalisation des symboles religieux dans le contexte du conflit israélo-palestinien.

Certaines déclarations du pape, perçues comme mettant en parallèle les souffrances des Palestiniens à Gaza et celles des Juifs pendant la Shoah, ont également été vivement critiquées. Plusieurs responsables religieux, dont le grand rabbin de Rome, ont exprimé leur déception, estimant que de telles comparaisons risquent de banaliser la singularité de la Shoah et de brouiller les responsabilités respectives du Hamas et d’Israël.

Appels constants au dialogue et à la paix

Malgré ces tensions, le pape François persiste à appeler à un cessez-le-feu, à la libération des otages, à l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza et à la reprise du dialogue. Il plaide inlassablement pour une paix fondée sur la justice, la compassion et la coexistence de deux États, Israël et la Palestine, avec un statut particulier pour Jérusalem garantissant l’accès aux lieux saints pour tous.

Conclusion : À l’heure du bilan

Il est évident que les prises de position du pape François ne pourront jamais répondre pleinement à toutes les attentes, tant les sensibilités et les exigences varient selon les interlocuteurs. Les ambiguïtés, les maladresses ou certains silences nourrissent régulièrement des critiques, y compris parmi ceux qui œuvrent au rapprochement judéo-chrétien, où la mémoire des blessures demeure vive. Néanmoins, en prenant le temps d’examiner attentivement l’ensemble de ses déclarations, il apparaît que la dénonciation de l’antisémitisme occupe une place centrale et constante dans son discours.

Malgré les débats et les insatisfactions, le message du pape reste marqué par une condamnation sans réserve de toute forme de haine à l’égard des juifs, ainsi que par une insistance sur la nécessité de préserver la mémoire et de lutter contre l’indifférence. Même lorsque ses propos sont contestés, il importe de garder à l’esprit la force et la régularité de ses appels à la fraternité, à la solidarité et à la vigilance face à la résurgence de l’antisémitisme. Ce socle d’engagement doit demeurer présent à la conscience collective, au-delà des controverses inévitables.


Marc Knobel est historien, chercheur associé à l’Institut Jonathas de Bruxelles.

3 Commentaires

  1. Je tiens à dire que, concernant la question du soutien inconditionnel à Israël, je suis aligné sur la même position que semble partager Madame la Présidente de l’Assemblée nationale.
    Pour dissiper tout malentendu, s’il arrivait qu’un gouvernement faussement sioniste cédât au diktat sionicide de l’Internationale palestiniste en vue d’être de nouveau, dans un état de sécurité fébrile, mais enfin, auprès d’elle en odeur de sainteté, ressuscitant pour ce faire le principe du rideau de fer dans le cœur insécable de Ieroushalaîm, islamisant l’État et la Constitution des Juifs par l’officialisation de la langue coranique en obligeant ainsi l’État-nation israélien à poursuivre la guerre sainte sous les couleurs panarabistes, en l’espèce pan-nationalistes et, par là même, impérialistes du drapeau dit palestinien, accordant par principe la nationalité israélienne aux réfugiés de père en fils et mère en fille que le Méta-Empire sunno-chî’ite s’acharne froidement à priver de la possibilité de refaire leur vie ailleurs qu’à l’intérieur d’une colonie de peuplement réduite aux territoires mentaux obsessionnels d’une succession d’empires démantelés, s’il arrivait, disais-je, qu’Israël se soumît au plan de paix israélo-fantoche visant à l’extirper de la mappemonde, alors, bien entendu, Concitoyens, Concitoyennes, que je cesserais aussitôt d’apporter mon soutien au gouvernement de traîtres qui m’enjoindrait de participer du suicide collectif qu’on l’aurait persuadé de mettre en œuvre dans l’objectif de parvenir enfin à l(a Pax) mundi, laquelle forme d’équilibrisme géopolitique et géostratégique instantanéiste n’est censée se produire qu’une fois, ainsi que le prévoit tout millénarisme qui se respecte, que ce dernier ait été confirmé par l’avènement manifeste du Mashia’h ou qu’on s’En fiche royalement comme cela semble être actuellement le cas.
    Pour ce qui est maintenant du second mantra relatif à la reconnaissance de l’État palestinien, j’apprécie la sagesse du président Hollande qui, repoussant l’idée que les conditions en seraient réunies, a recouvré ses connaissances, et sans doute la mémoire, en tout cas la raison qui nous avait jadis donné confiance dans l’envergure d’un briseur de tabous gauchistes et, quelque part, en un homme de conscience.
    J’ajouterais toutefois un bémol à mon éloge furtif : l’État palestinien n’existera pas quoi qu’il arrive ; nous ne devons rien de ce genre à un peuple que nous avons inventé de toutes pièces dans l’espoir que des populations manipulées de l’extérieur en soient réduites à servir une cause perdue comme peut l’être la Contrarreconquista from the River to the Sea.
    La solution à deux États demeure l’une des possibilités de sortie de crise matricielle par le haut ; le renoncement à entamer l’intégrité territoriale d’un Israël qui aurait recouvré sa souveraineté pleine et entière en est une autre, dont on souhaiterait qu’elle parvînt à l’esprit des fervents défenseurs de cette Ukraine libre et indépendante à laquelle une communauté internationale honnête et juste consentirait à rendre sa dignité.

  2. Jean-Luc Premier
    Au train où vont les choses, je pense que le prochain pape sera Jean-Luc Mélenchon. Il sera fait cardinal en 24 heures (il y a des précédents). Il a des références. Il a fait le ménage à LFI aussi bien que François dans la Curie. Il a à peu près le même âge que son prédécesseur quand celui-ci a été intronisé.
    Comme lui, c’est un démocrate qui n’aime pas qu’on le contredise et qui a de la tendresse pour les dictateurs. Comme lui, il est contre l’antisémitisme, mais farouchement antisioniste. Comme lui, il a de la compréhension pour l’Islamisme. Comme lui, il est pour la paix en Ukraine, laquelle passe par la capitulation des Ukrainiens. Comme lui il déteste l’Europe et considère qu’il est scandaleux, immoral qu’elle n’accueille pas toute la misère africaine et ne se transforme pas en une Mayotte géante.
    Jean-Luc Premier ne croit pas en Dieu, en Jésus-Christ, en la Sainte-Trinité, en la Vierge Marie et tutti quanti … Et alors ? Où est le problème ? François, de toute évidence, n’y croyait pas non plus. Il avait foi dans l’évangile selon Saint-Marx plus que dans l’évangile selon Saint-Marc. La seule Madonne qu’il révérait était sans doute Evita Peron et le seul Messie qu’il reconnaissait était certainement Che Guevarra, deux célèbres Argentins.
    Remarquons un autre trait commun entre les stratégies de nos deux grandes et saintes figures. François, constate le déclin de l’Eglise catholique en Occident. Il ne peut ou ne veut remettre fondamentalement en cause ni la théologie catholique ni la structure de l’Eglise (célibat des prêtres, sacerdoce interdit aux femmes, etc.). Il se tourne vers le Tiers-Monde pour faire survivre son Eglise et doit flatter les régimes dictatoriaux qui régentent une bonne partie de ces pays pour se faire admettre.
    Le cardinal Mélenchon et, plus généralement, la gauche marxiste, cherche un prolétariat révolutionnaire qui n’existe plus, du moins selon l’image qu’illustraient les belles fêtes de « L’Huma » du bon vieux temps. On se tourne vers un prolétariat mythique que l’Afrique et l’Asie auraient dépêché dans notre Occident marqué par le péché du capitalisme pour l’amener à la rédemption.
    Tout ceci obéit-il aux desseins impénétrables de Dieu, à la sainte Providence ? Allez savoir …

  3. La lutte abstraite, relativiste et, j’allais dire, formelle contre l’antisémitisme est souvent le cache-sexe d’une autre forme de phobophilie, celle-là très concrète, que l’on peut voir s’abattre sur l’État-nation du Peuple élu de la Bible, ces trois objets de fascination, victimes d’une obsession oscillant à grande vitesse entre adoration et abhorration, ne s’en trouvant que plus spoliés de fond en comble, parfois pour le meilleur, mais aussi pour le pire.
    Empêcher systémiquement Israël de se défendre contre une menace existentielle, euphémistiquement inessentielle et débilement multipolarisée contre son être, cela est-Il qualifiable ? Appuyer là où ça fait mal, telle une porte coupe-feu claquée au nez d’un Occident par trop impérial en sorte qu’il renonce à riposter aux stratagèmes fréristes de l’Insultan, à défaut d’être rationnel, est-Ce bien raisonnable ?
    Un galimatias théologique ruisselant de bénédicité sous couvert de pensée complexe ne saurait que se prendre les ondes empathiques dans la toile d’araignée des mêmes pensées morbides à l’assaut desquelles Évagre le Pontique eut le courage de s’exposer.
    L’Église fut longtemps antijuive par sa droite ; le devenir par sa gauche ne la délesterait pas de ce crime, quand bien même briguerait-elle une onction extrémiste au travers d’un épineux couronnement d’épopée, ou tiers-mondiste ou altermondialiste, — à l’ère de l’hégémonisation démocraturaliste, quel pourrait être ce nouveau prince que cherche à séduire l’éternel tentateur ?
    Une globalisation honnête ne ferait profiter de ses larges ratissages ni la droite ni la gauche ; elle se contenterait de poursuivre sa mission humaniste, au sens où l’on aimerait qu’elle s’employât à humaniser un déplorable Homo sapiens qui, par pure maladie ou simple maladresse, n’aura jamais cessé de gâcher l’éponge à récurer l’immonde que met à sa disposition son incroyable patrimoine génomique.
    L’universalisme est moribond ; aussi respire-t-il toujours.
    Nous avons peu de chance de le ranimer ? Raison de plus pour tenter le tout pour le tout.
    Rassembler l’énergie résiduelle de nos démocraties à bout de souffle… écoutez, toute opération de sauvetage est jouable ; encore faut-il qu’un Ku Klux Klan à l’envers, autodestructeur par procuration, ne bourre pas d’explosifs le somptueux lexique des Lumières, fût-ce inconsciemment, ce qui ne ferait qu’aggraver notre cas en asséchant les zones d’immersion temporaire d’un cerveau global en voie d’exsanguination, zones exohumanistes — faisons tout ce que l’on peut avec ce que l’on n’a pas — dont surgira le début d’un éclair de prescience en vue d’une reconstruction qui semble s’imposer, du moins aux authentiques bâtisseurs d’univers.