Au secours, les expositions d’automne reviennent ! Depuis quelques jours, nous sommes tous sans exception inondés sous le flot des dizaines d’expositions d’art qui ouvrent leurs portes en France – et, centralisation oblige, principalement à Paris –, autant de sollicitations à coups d’affiches dans les rues et les métros, d’articles de presse dans les grands quotidiens et les magazines spécialisés, d’interviews de conservateurs, historiens de l’art, etc. et maintenant même de bandes-annonces sur internet.
Dans le monde de l’art, celle qu’on pourrait appeler l’exposition de rentrée est la plus attendue : c’est celle pour laquelle les plus gros moyens sont engagés par les musées, publics comme privés. Les circonstances s’y prêtent, il fait moche, on ne peut plus aller à la plage, la campagne est morose, les terrasses des cafés pluvieuses, les enfants n’apprennent plus l’histoire à l’école, Hollande n’a pas fait baisser le chômage et le chien de la voisine passe la soirée à aboyer. L’été on a fait la fête et trop bu (ou pas assez, mais on n’a pas eu trop le choix, le 1er septembre il a bien fallu revenir au travail gagner son quignon de pain), un peu de culture ne peut pas faire de mal après la longue pause estivale.
Depuis quelques années, l’exposition de rentrée, qui débute en septembre ou au plus tard en octobre – pour faire monter l’attente –, est de plus en plus conçue comme un film à gros budget américain : c’est un blockbuster, pour faire venir le public, quelques bonnes vieilles recettes fonctionnent à merveille. Comme dans les films ou la musique, l’érotisation, le porno soft, fait recette. Un musée en particulier l’a bien compris : Orsay, temple des arts du XIXe siècle.
On attendait évidemment au tournant l’institution dirigée par Guy Cogeval qui, avec une exposition sur la prostitution dans les arts entre 1850 et 1910 (« Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910 »), complète la triade volontairement sulfureuse engagée à chaque rentrée depuis trois ans pour faire parler du musée et attirer les visiteurs – de l’art de surfer sur le scandale. En 2013, « Masculin/Masculin », sur la représentation du nu masculin dans l’art, était une exposition ni faite ni à faire : parcours incompréhensible, catalogue volontairement bâclé, choix des œuvres laissant parfois perplexe, intrusion à tout bout de champ de l’art contemporain pour des raisons obscures. Une insulte à l’histoire de l’art, au sérieux de cette discipline et aux capacités des conservateurs du musée, obligés de travailler à un projet qui leur a été imposé. L’automne dernier, l’exposition sur Sade était un fourre-tout fait à la va-vite, avec plus de cinq cents œuvres exposées (!) et des sections redondantes : on n’y comprenait rien et l’on ressortait avec un sacré mal au crâne.
On comprendra qu’eu égard au sujet très émoustillant retenu cette année les doutes sont légitimes.
On espérait déjà que la scénographie soit mesurée – ce qui n’est généralement pas le fort d’Orsay. Disons-le, une présentation d’œuvres d’art se doit d’être sobre, son but étant de rendre service aux objets exposés, pour les mettre en valeur eux et non pas le scénographe qui a conçu le parcours expositif, ce qui était hélas le cas de Robert Carsen en 2012 avec « L’Impressionnisme et la mode » (dans la dernière salle, le metteur en scène d’opéra avait planté une pelouse artificielle, l’agrémentant de gazouillis d’oiseaux enregistrés, histoire de voler la vedette aux tableaux de Manet et consorts et de gratifier le public d’une petite escapade bucolique). Seul petit problème : c’est à nouveau Carsen qui officie cette année. Mais force est de constater que le Canadien s’est calmé, ou a finalement compris ce qu’exige une exposition dans un des plus beaux musées du monde réunissant des chefs-d’œuvre de premier ordre : des salles tendues de rouge décliné en nuances se déployant du carmin au bordeaux, des œuvres bien éclairées, une atmosphère intimiste qui n’a pas besoin d’accessoires superflus pour suggérer l’ambiance confinée des maisons closes et autres lupanars parisiens. Une bonne surprise.
Et une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, l’exposition elle-même est correctement articulée, abordant le thème autant sociétal qu’artistique de la prostitution dans la seconde moitié du XIXe siècle sous tous ses aspects, avec un propos qui se construit au fil des salles selon une progression sagace (et salace) : plus on avance dans les salles plus les modèles des tableaux sont dénudés et effrontés, ce qui correspond au fait que l’on pénètre de plus en plus, salle après salle, dans l’univers parallèle mais bien visible du monde des plaisirs tarifés, secret de polichinelle et symbole du Paris « capitale du XIXe siècle ». Le parcours commence ainsi non pas à l’intérieur des maisons de tolérance mais dans l’espace public, le long des boulevards, où, la nuit tombée, les femmes s’adonnent à la prostitution clandestine : toute passante à ces heures tardives élève la suspicion.
Arrêtons-nous sur un tableau de Louis Anquetin [voir ci-dessus] : il dépeint la fugitive effigie nocturne d’une femme éclairée par le halo vert des becs de gaz, figure étrange avec sa mâchoire serrée avec ce non moins intrigant voile moucheté qui la pare. Qui est-elle, que fait-elle à cette heure tardive sur cette avenue ? Rien n’indique qu’elle est une prostituée, mais, seule femme dans un environnement entièrement masculin, rien ne l’infirme non plus.
Dans ces premières salles, quelques portraits dus au pinceau flatteur des peintres académiques représentent de belles (demi-)mondaines aguicheuses : ils nous rappellent que la sensualité affichée est la norme dans le Paris fin-de-siècle, jusque dans les œuvres exposées et récompensées au Salon.
Plus loin dans l’exposition, une salle met d’ailleurs en parallèle l’Olympia de Manet, prostituée déclarée, à des Vénus lisses et lascives dues à des peintres plus officiels, tels que Paul Baudry et Théodore Chassériau. La confrontation est éloquente : à part le vernis mythologique ou allégorique, dicté par les convenances hypocrites de la haute bourgeoisie, ces représentations de nus féminins voluptueux ne sont pas moins érotiquement offertes au public que la putain au ventre jaune de Manet. Leur sensualité à peine voilée est bien une invitation au plaisir adressée à un public bourgeois exclusivement masculin.
On passe ensuite aux antichambres du bordel : le cabaret, le théâtre, le concert, tous les lieux de mondanité sont mis à profit pour repérer les clients. Suivent ensuite les scènes de bordel proprement dites, croquées par des artistes des avant-gardes bien connus, en particulier Toulouse-Lautrec (celui qui traite la fille de joie avec le plus d’humanité) et Edgar Degas (froid mais implacable observateur des acteurs de la vie des maisons de passe luxueuses, des cabarets populaires et des crasseuses goguettes à filles des mauvais quartiers). On trouve aussi des illustrations grivoises produites expressément par des artistes à la demande des propriétaires de maisons de tolérance pour faire la promotion de leur activité ainsi que quelques reliques de ces lieux tels que des emballages de préservatifs (alors fabriqués avec des boyaux de porc), une inquiétante chaise à sévices d’allure sadomasochiste où l’on attachait le client consentant, sans oublier un « pique-couille », long et fin couteau fort pointu qui fait frissonner les hommes qui passent devant la vitrine le renfermant.
Un défaut cependant, le péché du nombre est encore présent, comme lors de l’exposition Sade de l’an dernier : cinq cents œuvres ! C’est bien trop. Une exposition n’est pas faite pour être exhaustive, il faut faire le tri, surtout sur un sujet si couramment traité par les artistes de l’époque. Il faut retenir ce qu’il y a de plus représentatif pour que le propos ne se dilue pas, qu’on ne perde pas le fil et que le visiteur ne se lasse pas. La contemplation attentive d’œuvres d’art exige une énergie non négligeable, surtout dans les salles d’exposition étriquées et bondées d’Orsay.
Il faut bien avouer, cependant, que cette hypertrophie de tableaux, dessins et gravures de cocottes en fanfreluches, pauvrettes abruties par le travail avilissant, clients satisfaits et lubriques ne se fait pas aux dépens de la qualité : les tableaux sont superbes et l’exposition fait la part belle à la photographie, à l’estampe et aux dessins, qui vont souvent plus loin dans la documentation du commerce du sexe que la peinture.
Pour les chefs-œuvre de grands maîtres venus de loin, citons La Prune de Manet (Washington, National Gallery of Art) avec son exceptionnel travail sur les nuances de rose, tout en notes crémeuses, en partant de la bouche de fraise, et en passant par le petit nez rond, les joues fraîches et à l’habit poudre et pastel.
Un cabinet interdit aux moins de dix-huit ans est la note sulfureuse qu’il fallait bien à une expo signée Orsay, à base de photos et films explicites recensant toutes les positions possibles et montrant la grande inventivité déployée pour satisfaire tous les clients et la foule de leurs lubies. Mais cette incursion dans le porno Belle Époque, sans censure aucune, se révèle finalement assez intéressante en permettant de voir ce qui se passait vraiment derrière les rideaux de velours et les parois molletonnées des bordels. Grâce aux films et photos d’époque, on voit ce que les œuvres d’art ne montrent finalement presque jamais : le passage à l’acte, burlesque et sordide.
En conclusion, pour juger de la qualité de « Splendeurs et misères », il suffit de dire que, malgré sa thématique encore une fois racoleuse, il s’agit sans conteste de la meilleure exposition automnale d’Orsay depuis celle consacrée à Manet en 2011 et qu’elle clôt sur une note encourageante la triade sulfureuse que le musée a mis en scène chaque mois de septembre depuis trois ans.
Je ne vois pas la Biraben comme une Putain du roi. Et j’en profite pour écarter toute forme de (mépris)e. Je ne connais pas personnellement Maïtena Biraben. Pas davantage Augustin Trapenard, mais les lectures d’un homme parlent pour lui, et j’ai peine à croire que celui qu’on a vu, deux ans de suite, se livrer à un battle de livres avec Mista Eïntiouâne Dè Caône ait pu retenir aussi longtemps son souffle sous la Vague rock ‘n’ roll. Concernant son nouveau compagnon de jeu, je serais plus catégorique. L’humour est un art à double tranchant. S’il ne fait pas de cadeau à sa cible, il se retourne invariablement contre celui qui le pratique en traître. Aussi, quand le rapporteur Eldin décoince à Rama Yade son bourvilien «Qu’est-ce qui nous arrive?», il ne trompe personne. L’on ne saurait jouer le trouble amoureux de manière aussi tendre tout en veillant à ne point déraper sur un mauvais fond. Nul ne conçoit que le comique troupier du Schtroumpführer Soral puisse, en l’espèce, réprimer son désir de désenfourner sa quenelle avant qu’il ait achevé de cuisiner une femme d’État qu’il se serait promis de présenter à son ami Marcel Petiot. J’en conclus que Trapenard comme Eldin, aguerris l’un et l’autre aux techniques d’autodéfense que développe la libre conscience à chaque fois qu’elle se trouve attaquée par les défenseurs cryptofascistes de la liberté d’expression et, en cela, passés maîtres dans le désamorçage idéologique, sont parfaitement capables de se lever de la table du Grand Journal et tourner le dos à leur animatrice derrière un claquement de porte, aussi lâche que valorisant, s’ils jugent la dame indéfendable. Nous n’avons donc pas d’autre choix que de chercher à nous expliquer le raisonnement que masque la déraison d’une formule malheureuse. Ce que Biraben qualifie de discours de vérité, on pourrait supposer, non que cela se rapporte à la forme plutôt qu’au fond, mais, à l’inverse, que le truc-machin-chose se distingue par une absence totale de filtre et, faudrait-il paradoxalement en saluer l’honnêteté, par une tendance prononcée au parler vrai. Car, malgré les efforts considérables qu’ils font pour dédiaboliser leur parti, nous avons vu comment les ennemis du génome ont accouru comme un seul homme pour secourir cette pauvre Nadine Morano, abandonnée de tous, exception faite de ses complices de la drauche maurrassiste. Comme si, depuis toutes ces années passées dans les bras de la République, la Madone de la France d’en bas n’avait jamais cessé de modérer son langage, favorisant, contrairement à ses nouveaux supporters, une forme de, comment dirais-je… langue de bois? Eh oui, la novlangue orwellienne! ce que dénonce l’extrême droite lorsqu’elle s’en prend à tous ces magouilleurs xénophiles qui ont mis la main sur vos terres. «Les chiffres ne mentent pas mais les menteurs savent chiffrer!» beugle Le Pen, aujourd’hui comme hier. Très bien. Mais dire vraiment ce que l’on pense, est-ce dire la vérité? Nous voyons bien qu’en démocratie, la règle exige des acteurs d’une négociation sociale que, quels que soient leurs arguments, ils parviennent à un compromis. Dans une certaine mesure, la diplomatie peut être comparée à une forme exacerbée de la politesse. Il faut tempérer sa gestuelle, refroidir ses muscles faciaux, contenir sa poignée de main avant qu’elle ne vire au coup de poing face à un incontournable tyran, — force est de constater que ces nobles attributs sont l’apanage des tyrannies modernes, — une prouesse dont je ne vous cache pas qu’elle a pu quelquefois m’éblouir. Et de poursuivre la démonstration jusqu’au bout, j’en arrive à me demander si la balle moyennement polissée que Maïtena Biraben lança vers la raquette buccale de Dupond-Moretti ne sous-entendait pas, tout simplement, que Le Pen n’était pas polie. Dernier atout : le jour où la sniper diplômée de la Ardischool décochera une question ambiguë qui poussera la Maréchale délogeuse à lui confier le fond de sa pensée, il sera bien difficile d’aller chercher des poux machistes, des poux jeunistes ou des poux automates de la bien-pensance à celle dont on avait vanté la liberté de ton.