Il nous est déjà arrivé de nous retrouver seuls. Nous avons été seuls les fois d’avant. Seuls, nous sommes morts, les uns et les autres, sans trop savoir pourquoi. Seuls, abandonnés à notre sort. Morts seuls. Personne n’est venu à notre secours. Personne. Personne pour nous sauver. Nous revoici de nouveau seuls. Seuls face à la violence extrême. La mécanique est déjà enclenchée; l’infernale mécanique est en branle et si rien n’est fait pour l’enrayer, l’abîme se profile inexorablement, indubitablement à l’horizon.
Et qui osera claironner demain qu’il ne savait pas? Qui? Le monde entier sait : la brutalité déchaînée, broyeuse de vies et destins, se pavane quotidiennement en toute souveraineté, dans les quartiers de Bujumbura : opposants pourchassés, enlevés; journalistes harcelés, menacés de morts ; militants des droits de l’homme jetés aux cachots… Liberté absolue, maximale de brutaliser, d’écraser volontairement sans regrets ni scrupules… Et les jours se suivent et se ressemblent, et chaque jour la même histoire : on bastonne, on matraque, on arrête, on emprisonne à tour de bras ; on torture, on tue. Oui, le pouvoir de Bujumbura ne se contente plus de menacer, d’intimider seulement : il cogne, il moleste, il mutile, il tue… En toutes libertés, en toute impunité.
La folle mécanique est lancée, à l’oeuvre et donc le pire est à craindre. Que nous enseigne, en effet, notre mémoire commune? Que lorsque les frontières de la brutalité sont ainsi chaque jour un peu plus repoussées, un peu plus radiées, que lorsque la violence centralisée, organisée, coordonnée, est affranchie de toutes limites, libérée de toute inhibition par les détenteurs de l’autorité de l’Etat, que lorsque l’Etat se rend coupable d’atteintes à la vie, aux libertés de ses citoyens, que lorsque la raison d’Etat ou d’un seul au sommet de l’Etat s’auto-proclame supérieure à la loi commune, au droit, à l’humanité de tous, on peut craindre le pire. C’est-à-dire au bout du compte, la mise à mort généralisée, la mise à mort collective instituée comme une normalité, comme une banalité.
C’est connu, vérifié : lorsque le pouvoir absolu, clos, fermé sur lui-même, auto-persuadé d’être immuable, éternel, définitif, prospère au grand jour, tout devient possible. Tout. Y compris l’irruption de nouveau sur la scène de l’histoire de l’innommable, du mal radical. Que celui-ci rôde à visage découvert ou revêtu de nouveaux habits, le bras assassin camouflé dans un intarissable flots de propos invoquant la paix et l’ordre à maintenir, sa nature demeure invariable, son programme prévisible car immuable : diviser, disloquer, ethniser la société, découdre les fondements de l’être-ensemble, agiter, chauffer, surchauffer la haine, semer la confusion, fabriquer, cultiver, diffuser, répandre l’épouvante, frapper sans pitié, gommer progressivement la ligne de démarcation entre la vie et la mort et un jour… Eh bien, un jour on se réveille et il est trop tard. Le mal radical est devenu banal, normal.
Il se fait tard pour le Burundi. Très tard. Et demain, il risque d’être trop tard. Nous sera alors posée cette terrible interrogation : qu’avez-vous fait? Qu’avez-vous fait lorsque la vie était quotidiennement malmenée, brutalisée, jetée à terre, là-bas? Qu’avez-vous fait? Que répondrons-nous? Qu’à chaque cri, qu’à chaque hurlement, qu’à chaque appel au secours, nous n’avons pas bougé d’un pas, que nous avons été éloquents en nous taisant? Ou alors que nous avons fait semblant de dire quelque chose, que la voix inaudible nous avons osé – comble de l’audace – chuchoter diplomatiquement une parole sans âme ni éclair, intoxiquée de débris d’idées « appelant bourreaux et victimes à la retenue »? Qu’en toute connaissance de cause nous avons – en vérité- choisi d’abdiquer notre raison humaniste à la gangrène de l’arbitraire ricanant de multiples destins fracassés, détruits, écrasés, refroidis. Un seul vœu : que l’histoire nous préserve de cette honte-là. Parce que nous aurons eu le courage, aujourd’hui, maintenant, de faire ce qu’il faut pour arrêter le bras d’un pouvoir de plus en plus absolu porteur dans ses entrailles – de par sa logique définitive, ses pratiques expéditives, sa brutalité systématique, sans bornes, organisée, délibérée – du crime absolu.
Il se fait tard à Bujumbura : SOS Burundi
par David Gakunzi
12 mai 2015
Qui osera dire demain qu'il ne savait pas ?
Bien rédigé et complet. Si nous avions du petrol, Nkurunziza nous attirerait encore plus de problèmes. Cet article devrait être traduit et diffusé commr le propose le précédent commentateur. Il faut que David continue à écrire.
Je n ai jamais lu une synthèse de la situation aussi
Claire et résumé .
Je propose que ce texte sois envoyé aux différents
Représentants diplomatiques de ce monde par tout les moyens
Que ce sois par Facebook , Twitter, ou par courrier.
Même si il n y avais pas de réponse mais on aurait une preuve
Que ça a été fait .
Dommage on n a pas de pétrole cette autre malédiction
Au moins ça aurait poussé ceux qui y trouveraient un intérêt à
Intervenir .
Mon cœur souffre de voir que ce que tu as écrit n est pas lu
Par ceux qui devrais le lire …