C’est un livre qui ressemble à son auteur, ou plutôt à l’image qu’on se fait de lui. Laurent Chalumeau, journaliste à Rock and Folk, scénariste, dialoguiste et romancier. Amoureux des grands espaces américains, de Springsteen et du rock comme on n’en fait (presque) plus. Durant des années, pour Nulle Part Ailleurs, il a fournit à Antoine de Caunes les textes de sketchs potaches qui deviendront plus tard l’une des manifestations grandioses de l’Esprit Canal, autrement dit un mythe télévisuel servi par des personnalités étrangères à tout formatage. Didier l’Embrouille, Claudia Choufleur, Gérard Languedepute, ses personnages hauts en couleurs et leurs élucubrations, c’est à Chalumeau qu’on les doit. Tout comme des dizaines de chansons pour Julien Clerc, Patrick Bruel ou encore un boys-band tombé dans l’oubli, les G-Squad. Ajoutez à cela plusieurs livres et scenarii. De l’éclectisme et la volonté de ne se fermer aucune porte : en bon représentant de sa génération, notre homme explose les barrières, s’essaie à tout et tant pis si la critique n’arrive plus à le mettre dans aucune case. Il trace sa route en homme libre.
Homme de l’ombre dont la parole est plutôt rare dans les medias (il a d’ailleurs poliment refusé notre proposition d’interview), Laurent Chalumeau construit une œuvre qui désormais parle pour lui. Elle raconte la volonté d’explorer tout ce que l’industrie du divertissement (au sens américain du terme) a à offrir. De loin, on l’imagine ainsi franc-tireur, artiste dégagé de toute contrainte dans un show-business qui d’ordinaire limite et asservit. Nouvelle expression de cette liberté, c’est chez Grasset, par un roman objet littéraire non identifié, que Laurent Chalumeau se rappelle à notre bon souvenir.
Dans Kif, il raconte l’itinéraire d’un dénommé George Clounet, CRS à la retraite, qui se retrouve catapulté à la tête du Kif, une boîte de nuit du sud de la France. L’action se déroule sur la Côte d’Azur. Une marotte chez l’auteur. Le héros, George Clounet, a la soixantaine. Plus proche d’un personnage à la Audiard que de l’acteur hollywoodien dont il porte (presque) le nom, Clounet va se prendre la société française en pleine face. Jouant avec les codes, le roman oscille entre polar et western moderne. Son héros se retrouve subitement plongé dans un terrain hyper réaliste, complexe, où se croisent, s’affrontent et cohabitent voyous médiocres, cagoles du Sud, élus FN en quête de gloire, retraités pépères, flics ripoux et islamistes cupides. Le résultat est à la fois haletant et hilarant, Kif se dévore et le roman porte tout-à-coup bien son titre.
Chalumeau offre ici une œuvre peu commune. Par sa réhabilitation du verlan en littérature mais aussi par la précision de ses descriptions, Kif approche souvent du travail sociologique. Le zèle des convertis, la dépravation d’un héritier d’une grande famille saoudienne, les travers des flics et la bêtise des voyous : dans la vraie vie ces travers horripilent. Sous la plume de Chalumeau, ils deviennent comiques. A lire d’urgence pour rire enfin de ce qui nous inquiète tant…
Laurent Chalumeau, rire de ce qui nous inquiète
par Laurent David Samama
10 février 2015
Kif, l’objet littéraire non identifié de l’un des créateurs de l’ « Esprit Canal »