Un jour, on jugera peut être Felipe Scolari au tribunal du Joga Bonito. Et ce jour-là, les procureurs seront impitoyables: verdict exemplaire, condamnation à mort, la tête sur le billard! L’exécution se déroulera dans l’enceinte bondée du Maracanã. Pour avoir persisté dans son idée de jeu à deux milieux récupérateurs, un crime contre le beau jeu, pour avoir isolé de trop faibles renards des surfaces à la pointe de l’attaque auriverde, un crime contre la mémoire des Romario, Bebeto et Ronaldo, Scolari sera conspué. Le sélectionneur brésilien aura beau se défendre en prenant son air bonhomme, rien n’y fera: il sera bel et bien décapité! Au soleil couchant, sur un air de carnaval, son bourreau sera le fantasque Robinho. Avant de lui porter le coup de grâce, le malandro feintera, une fois, deux fois, trois fois… Adriano, Kaka et Ronaldinho porteront la tête de Scolari au bout d’un pic révolutionnaire. La foule deviendra folle. Dans une quête effrénée de buts, on nommera quelques jours plus tard Ronaldo – le véritable – à la tête de la Seleção… Dunga, lui, aura choisi le chemin de l’exil…
Cet enchaînement de faits sanglants aurait très bien pu se dérouler dans une Histoire parallèle à la nôtre, si le Brésil avait perdu en huitièmes de finale, sur son sol, à la dernière minute des prolongations, face à une valeureuse équipe chilienne. Mais Scolari est un chanceux. (D’autres adjectifs bien plus imagés pourraient ici venir à l’esprit des supporters brésiliens…) Samedi, à Belo Horizonte, étaient en effet réunis tous les éléments de la tragédie. On chanta ainsi les hymnes jusqu’à s’en époumoner et surtout on les siffla: le plus grand des affronts. Une déclaration de guerre fictive, symbolique, sportive. Brésil – Chili commença sur les chapeaux de roues. Ce fut un grand match malgré la piètre prestation des coéquipiers de Neymar. Sans idée et sans meneur de jeu, l’attaque auriverde fut muette. Hulk, Fred, Jô : que c’est triste un Brésil qui ne marque pas, n’ose rien… Même la défense centrale fut fébrile. Face à l’envie chilienne Thiago Silva paraissait (par moments) dépassé. Il était surtout incrédule. Lui qui pensait voir son équipe dominer outrageusement tous ses adversaires comprenait que cette Coupe du Monde ne serait pas de tout repos. Puisque le milieu auriverde ne veut pas exister, ce sont les défenseurs qui doivent faire le sale boulot. Une fois la balle récupérée, ils la balancent, au moyen de longs ballons, vers des attaquants dépourvus de génie. Seul Neymar fait grosse impression. L’attaquant barcelonais peut à lui seul changer le cours d’un match. Tout le monde le sait, alors on lui laisse la balle, dans l’espoir qu’il marque un énième but venu d’ailleurs.
Pour la première fois de ce Mondial, l’épreuve des tirs aux buts a permis de connaître le vainqueur d’une partie marquée par une véritable tension sur et en dehors du terrain. Il faut dire que la Roja chilienne a chèrement vendu sa peau. En véritables poumons de leur sélection, Vidal, Medel et Alexis se sont battus comme de beaux diables. En face, Fred, l’ancien buteur lyonnais, est resté muet. Jô, son remplaçant, n’a rien apporté. Et Hulk paraissait bien empoté. Match après match, ce dernier détruit la belle côte dont il jouissait jusqu’alors sur le marché des transferts… Une vraie déception.
Au bord du précipice, Scolari s’en est une nouvelle fois miraculeusement tiré. Mais les critiques pleuvent. Au fil des matchs, son entêtement déçoit. Plus aucun observateur ne soutient son 4231 dépourvu d’entente et de cohésion. Pourtant, avec les joueurs dont il dispose, l’entraîneur brésilien aurait mieux à faire. Voilà par exemple une idée : un 4312, avec un meneur à l’ancienne, pourrait déstabiliser des Colombiens très joueurs. Contre les Cafeteros, il faudra faire le jeu, se projeter l’avant. Car cette Coupe du Monde nous enseigne bien un principe: ceux qui se recroquevillent en défense en espérant gérer une situation favorable sont, au final, toujours battus.