Lors de la prochaine élection présidentielle, c’est un scoop éventé, le Front National fera un score excellent, et sera peut-être présent au second tour. Aussitôt, la France s’enfoncera un peu plus dans la déprime, et tout ce que le pays compte de théoriseurs-en-rond professionnels s’interrogera gravement sur la montée européenne des populismes, la crise du lien social, l’anomie individuelle dans la mondialisation globalisée, le besoin de protection, le sourire de Marine Le Pen, la xénophobie peut-être liée structurellement au développement exponentiel de la Chine ou au réchauffement climatique. Pourtant, il y a une raison simple, d’offre politique : pour qui voulez-vous que les Français votent en 2017 ?
Voyons voir. La droite a un problème, elle attend Nicolas Sarkozy, en effet seul géant parmi les nains, mais il suffit de sortir acheter une baguette de pain, rencontrer trois personnes et discuter cinq minutes dans la rue pour comprendre que les Français ne le rééliront rigoureusement jamais, et le considèrent définitivement, au mieux, pour un menteur bavard et égocentrique, au pire, pour un criminel vaguement louche. L’extrême gauche est discréditée for ever, les Verts sont ridicules, les centristes ne se sont pas aperçus que l’élection présidentielle se jouait sur deux tours, et d’ailleurs personne dans l’histoire de l’humanité n’a jamais voté pour des centristes. Quant au Parti Socialiste, il est vieux, il est déjà mort, il tient un discours incompréhensible et hors-sol, écrit par des sociologues pour des profs d’histoire, c’est un Parti qui n’a plus eu une seule idée depuis la fin du Minitel, et tout ce monde-là, droite et gauche, est vu comme une caste de privilégiés, impunis et impuissants. En 2017, vous aurez donc comme candidat des deux grands partis républicains soit François Hollande contre Nicolas Sarkozy, soit un ancien ministre de François Hollande contre un ancien ministre de Nicolas Sarkozy, c’est-à-dire deux hommes politiques que les Français ont  précédemment renvoyés dans leur cordes, qui seront déjà usés, fanés, rattrapés par leurs fausses promesses, les piteux bilans et scandales de leurs camps respectifs aussitôt que le gong  électoral aura sonné. Et Marine Le Pen, comme c’est curieux, va faire un très bon score.
Pourtant, il serait très simple de reconquérir le coeur d’un peuple qui a bon fond. A ce point d’ampleur électorale, le Front National, mis à part le noyau dur de gens bêtes et méchants, attire des gens avant tout scandalisés, appauvris, marginalisés. Les Français ne se réveillent pas le matin en s’interrogeant avec pénétration sur la place de notre pays dans le monde, la régulation financière, ou le besoin de « refaire société ». Les gens, et c’est bien normal, veulent avoir un bon travail, aller au cinéma, ne pas mourir idiot, offrir des choses à leurs enfants. Avant de vouloir changer la condition humaine et transformer l’ordre du monde, donnez à ce pays de la prospérité et du bonheur, et, après seulement, demandez à la civilisation en danger ou à l’humanité asservie si elles ont besoin d’aide. Les grandes phrases sur la France, la liberté, le pacte républicain, le redressement national, tout cela intéresse bizarrement assez peu. Les gens ne croient plus en la politique ? Pas besoin d’engager Terra Nova pour réfléchir au devenir de l’Etat-nation dans un monde globalisé. Faîtes d’abord en sorte que les gens aient confiance dans leurs élus, jugez les vieux dinosaures impunis, mettez en retraite les politiques ayant débuté sous Giscard, introduisez de la démocratie et du tirage au sort dans les institutions, instaurez une administration transparente, bienveillante et souple. Les gens sont xénophobes et vomissent les étrangers d’à-côté ? Construisez un système social clair, sans régime spécial, qui coupe à la racine la jalousie, l’aigreur, la haine. Les Français haïssent « Bruxelles » ? Je crois que les Français ont  l’intuition de la nécessité de la construction européenne depuis très, très longtemps. Johnny Hallyday va mourir un jour, et la France a besoin de l’Europe, tout le monde dans notre pays a compris cela depuis le Général de Gaulle, c’est simplement que la construction européenne est faite avec une ambition forcenée d’être le plus roublard, technocratique et hors-de-propos du monde, par des dirigeants qui se servent de l’Europe comme d’un moyen pratique de ne pas répondre à une question précise sur leurs propres résultats nationaux. Offrez aux Français un emploi, un avenir optimiste pour leurs enfants, des institutions claires et efficaces, et, bizarrement, les scores de Marine Le Pen fondront comme neige au soleil. Plus heureux, les gens sont moins mesquins, c’est une grande loi de la nature.
Mais attendez un petit peu. N’est-ce pas monstrueusement « pas-de-gauche » que d’avoir une ambition si minuscule pour un peuple, qui, tout de même, a fait la Révolution ? Sincèrement, si la gauche en général, et le Parti Socialiste en particulier, arrêtait de vouloir changer la vie lors de meetings flamboyants, tout en hésitant mortellement à réformer le permis de conduire une fois arrivée au pouvoir, cela nous ferait de sacrées vacances. Si la gauche arrêtait de phosphorer des milliards d’années sur « la société du care » et réapprenait à parler français, si elle quittait sa condescendance et son ton hautain en s’intéressant à la vraie vie, si elle réformait, vraiment, l’école pour plus d’efficacité, si elle donnait un travail à tous, instaurait un régime de retraites équitable et sans privilèges, si elle orientait les institutions monarchiques de la cinquième république vers plus de démocratie et moins d’arbitraire exorbitant, si elle rendait indépendante la justice, humaines les prisons, vivables les banlieues, et d’autres choses, que, par tempérament, la droite n’a pas en tête de son agenda, je pense qu’elle pourrait être fière d’elle. Je pense même, avec un peu de chance, qu’elle serait réélue. Et si un tel leader de gauche allait ensuite au Paradis, rassurez-vous, Jean Jaurès l’inviterait à dîner, alors que pour « l’ennemi de la finance », j’en suis moins sûr.
Mais que faire alors de notre pauvre « identité française » ?  N’est-on pas menacé, envahi, le monde n’est-il pas comme dans un livre d’Eric Zemmour ?  Il faut arrêter de plaisanter : c’est le chômage le cancer de notre société, lui qui crispe, braque, enferme dans le nihilisme et la pulsion suicidaire frontiste. La semaine dernière, dans les colonnes du « Nouvel Observateur », un philosophe distingué expliquait que Jean-Luc Mélenchon réalisait de piteux scores à cause de son indulgence, coupable, avec l’islam. Si Mélenchon veut battre Le Pen, il n’a qu’à critiquer les musulmans, dissertait ce glorieux penseur avec un sens exceptionnel de l’inconséquence perverse. Je crois, personnellement, que ce philosophe, pourfendeur des « Don Quichotte », apôtre du pragmatisme contre les lyriques inconséquents, je pense que cet éminent réaliste n’a jamais, ne serait-ce que rencontré (rencontré !) un seul Français. Quand on rencontre un Français, et il y en a beaucoup, de plus en plus chaque année, vous comprenez rapidement qu’il ne votera jamais pour Jean-Luc Mélenchon car il ne sait pas ce que deviendraient, sous un tel régime, ses économies, sa voiture, son droit de vote. Et oui ! C’est une expérience philosophique très intéressante que cette exploration de notre pays : cher ami, relevez donc la tête de Cervantès, et allez découvrir le Réel, vous verrez, c’est un endroit passionnant.
Encore une fois, on a eu raison de dire que le FN est un parti de gens fous, qui détruiraient la République en moins de temps qu’il ne faut pour faire Paris-Marseille en train. Mais voir comment cette bande de bras cassés obscurantistes risque de prendre le pouvoir devrait nous inciter à la modestie : les Français haïssent donc, énormément, tous les autres. La question n’est plus de faire le procès de la diabolisation, mais d’avancer. – Au passage, je pense que les « dédiabolisateurs » ont une responsabilité énorme, criminelle. J’espère que le jour du retour des sept plaies d’Egypte sur Terre, la pluie de scarabées s’abattra spécialement, avec virulence, sur la maison d’Eric Zemmour (qui devrait d’ailleurs faire une psychanalyse pour liquider son échec à l’ENA, au lieu de vouloir, un peu puérilement, mettre à feu et à sang le pays dont l’élite lui a refusé l’entrée). – Mais les choses sont ce qu’elles sont : les Français, perdus pour perdus, tentent cette roulette russe qu’est le vote pour Marine Le Pen. A partir de là, soit l’on est démocrate, soit on ne l’est pas. La politique, c’est  prendre en compte l’avis des gens, pour le dépasser, ou le transformer. En politique, vous devez partir du postulat que les gens sont intelligents, et que vous pouvez les convaincre. Il faut le faire spectaculairement, avec culot. Il faut être franc, sincère, audible car vierge de tout reproche possible. Si par malheur  j’étais à la tête du PS, à la place de ce sexagénaire passé par toutes les turpitudes des années Mitterrand, cela fait belle lurette que j’aurais fait placarder, dans toute la France, une affiche représentant une pompe à essence, avec le prix du litre, en Francs Le Pen, après la désastreuse sortie de l’euro promise par le FN. Une baguette de pain à 300 francs, je peux vous dire que les Français sauraient choisir. Et je vous assure que l’extrême droite baisserait de cinq points dans les urnes, je ne vous dis pas dans l’année, mais bien dans le mois, dans la semaine. Mais, nous avons une classe politique dépassée, et disons-le, spécialement nulle. Elle n’a pas d’idées, ne se renouvelle pas, ne ressemble pas aux Français, ne sait plus leur parler. Elle tient pour vraies des légendes urbaines, se fait dicter ses discours par des sondeurs et des intellectuels faussement brillants. Elle est carriériste, obnubilée par une presse suiviste, qui, entre deux reportages sur les vacances et le pont de l’Ascension, transforme un éternuement en événement national, fait d’un couinement antisarkozyste chez un secrétaire d’Etat une édition spéciale sur BFM TV.  La classe politique imagine l’avenir en potassant les dix dernières années, et en ânonnant des citations de Clemenceau ou de de Gaulle. Mais Clemenceau ne citait pas Clemenceau, il faisait de la politique, de la vraie. Sans cynisme, mais avec habileté et courage. Le Front National est un tigre de papier. Il ne se nourrit que de nos lâchetés. Comme les monstres des cauchemars enfantins, il grossit dès la lumière éteinte. Il faut le combattre par des lois, des réformes, de la pédagogie. Il faut expliquer aux Français que s’ils en ont légitimement assez des politiciens, de ces arrivistes désintéressés du bien commun, les nouveaux cadres du FN sont les pires, regardez donc l’éclat luisant dans les yeux de Florian Phillipot, qui pourrait manger son chien, s’il le fallait, pour devenir conseiller général. Il est donc temps de refaire, vraiment, de la politique. La France se noie dans un verre d’eau, et rien n’est perdu, mais avançons. La politique est une chose trop importante pour être confiée aux écrivains !

4 Commentaires

  1. Tout à fait d’accord : pour combattre le FN, il suffit de respecter les engagements pour lesquels on a été élu.

    Combattre la finance, faire de l’euro une monnaie d’échanges internationaux, interdire les OGM (même les russes l’ont fait, quand même), refuser le pacte transatlantique et tout faire pour améliorer la qualité de la nourriture produite en Europe (au lieu de tout niveler par le bas). Alors que le PS est censé permettre une amélioration sociale, il défait puis refait ce qu’a fait l’UMP juste avant. Et ce pourquoi on a voulu dégager Sarkozy.

    Si le chômage baisse, il y aura moins de problème sociaux ?
    J’en doute. Il y a trop de travailleurs pauvres qui ne payent pas d’impôt et trop de riches qui font tout pour ne pas en payer non plus. Du coup les infrastructures sont dans un état déplorable de même que les finances publiques.

    Face à l’UMP qui ne fait pas grand chose une fois aux responsabilités nationales, il y a le PS qui n’en fait pas plus.

    Mais je suis d’accord avec Zemmour sur un point : À la question « Si le FN arrive au pouvoir, sera t’il réélu après ? », il répond : « ça dépend, est-ce qu’il appliquera ses promesses électorales ou pas. »

    Est-ce que ce serait ça le secret ? Tenir ses promesses ?

  2. Merci pour ce très bon billet !
    Cordialement,
    Mouloud Akkouche

  3. Bonjour,
    Votre constat est très juste sauf en ce qui concerne le FN de Marine Le Pen que vous pensez encore comme le FN de Jean-Marie. Vous faites la même grossière erreur que font la plupart des commentateurs : vous refusez de voir le changement qui s’opère au FN mais également dans la mentalité des Français. La montée du FN est irreversible ; c’est trop tard pour le contrer car tous ses adversaires ont fait la mauvaise analyse en croyant que les anathèmes, la diabolisation ça pouvait marcher encore. Echec total ! Et ce n’est pas votre prise de conscience qui va changer quelque chose. Même si par miracle le chômage baissait et que le pouvoir d’achat s’améliorait car il n’y a que les solutions préconisées par le nouveau FN, ne vous en déplaise, qui pourront régler tous ces problèmes ou en tout cas qui pourraient remettre la France sur les bons rails. Ce serait déjà un bon début.
    Cordialement,
    Claude PICARD

  4. Bien sur que vous avez eu raison, comment pourrait-il en etre autrement, des gens aussi intelligents que vous.. Merci d’ailleurs pour vos votes successifs depuis 40 ans, qui ont résultés dans la situation actuelle. Merci beaucoup, vous avez un très grand coeur.