RDJ : Vous êtes, avec l’EGAM, à Istanbul pour commémorer le génocide contre les Arméniens, alors qu’Erdogan vient de présenter les condoléances de la Turquie aux petits-fils des Arméniens. Comment la venue de cette délégation a-t-elle été mise en place ?
Benjamin Abtan : Avec l’EGAM, nous avons constitué l’année dernière la première délégation étrangère à venir en Turquie pour y commémorer le génocide arménien. Il s’agissait d’une délégation d’Arméniens européens, et cela s’est fait suite à l’invitation de la société civile turque. Il y avait trois personnes, symboliquement, à Erevan. C’était une grande première en 98 ans. Cette année, la délégation sera également à Erevan à partir du 25 avril, et nous ferons, encore une fois, des commémorations au mémorial du génocide le 26 avril.
RDJ : Comment faut-il lire la déclaration d’Erdogan ?
Benjamin Abtan : De manière générale, il me semble qu’il y a un changement de ton par rapport aux déclarations précédentes. Cette déclaration ressemble d’ailleurs beaucoup aux dernières déclarations de Davutoğlu, le ministre des Affaires étrangères. Mais, dans le fond, elle ne change pas la ligne officielle de la Turquie, puisque Erdogan ne parle pas de « génocide ». Il ne reconnaît pas la responsabilité de la Turquie dans le génocide et, du coup, continue de bloquer les droits que devraient ouvrir cette reconnaissance.
Ce changement de ton peut apparaître comme un pas en avant mais, en termes de ligne politique et de structuration du débat, il n’y a aucun revirement. La question qui se pose c’est : pourquoi a-t-il décidé de faire cela ? Dans une hypothèse plus optimiste, il pourrait être en train d’envisager une future reconnaissance, mais il ne me semble pas que ce soit cela. J’ai d’avantage l’impression qu’il répond à la pression de la société turque. On a vu l’évolution de la situation en Turquie entre l’année dernière et cette année : les questions que nous posent les journalistes ici, l’accueil encore plus tranquille et intéressé de la part des Turcs, nous signalent cette avancée, cette maturation. Face à la pression sociétale, le discours officiel tente de ménager une ouverture tout en refusant de lâcher ce qui est essentiel pour eux, c’est-à-dire la reconnaissance officielle du génocide. Ce qui est sûr en termes de faits, c’est qu’Erdogan a toutes les données en main, tous les faits historiques sont connus, mais il a décidé de continuer dans la même ligne politique qu’auparavant.
RDJ : A l’occasion de cette commémoration, est-ce qu’on peut quand même dire que cette déclaration est une avancée ? Que ressentent les Arméniens sur place ?
Benjamin Abtan : Personne ne s’attendait à grand chose de la part de l’Etat turc. Le point de vue reste assez partagé, même s’il est certain que le changement de ton détendra sans doute l’atmosphère.
Mais, quoi qu’il en soit, la politique officielle de négationnisme n’empêche pas qu’il puisse y avoir des commémorations dans la rue, à Taksim, et même à la gare d’où ont été déportés les intellectuels arméniens raflés le 24 avril.
Le discours officiel ne fait pas tout, il y a des choses vivantes dans la société qui permettent qu’il y ait des débats, des échanges, des réflexions, de la connaissance, une progression des individus, de certaines institutions. De plus en plus d’organisations font partie de ce mouvement.
RDJ : Quels auraient dû être les mots d’Erdogan?
Benjamin Abtan : Le mot officiel pour que les Arméniens, les militants des Droits de l’Homme, tout le monde se sente au clair, c’est le mot « génocide ». En disant le mot « génocide », il aurait fait preuve d’une volonté et d’une mise en acte de la reconnaissance d’une responsabilité institutionnelle, structurelle, du régime qui a succédé au régime génocidaire.
Ce signifierait, aussi, la reconnaissance de ce qui a été volé en termes de propriétés aux Arméniens qui méritent d’avoir des réparations financières individuelles mais aussi symboliques comme, par exemple, la création de fondations pour la transmission de la mémoire arménienne, l’ouverture de négociations pour que les propriétés soient rendues aux ayants-droits des génocidés sans que l’argent circule dans des organisations diverses et variées, ou encore la promotion de la culture arménienne et la suppression de tous les noms de places, rues ou autres aux noms des génocidaires qui y sont, de fait, encore célébrés. Et dans ce domaine-là, il y a de quoi faire! Istanbul, la ville la plus cosmopolite, la vitrine de la Turquie sur le monde, arbore encore des avenues, des écoles, des rues, des places au nom de Talaat Pacha, le chef du comité Union et Progrès qui a préparé et mis en acte le génocide.
« Génocide » est le seul mot que les Arméniens et nous tous attendons.
Erdogan a commandé 2 tonnes de gaz sarin pour fêter le génocide arménien. Il l’a commandé aux islamistes de Syrie, car il leur reste du stock.
De la même façon que nous attendons d’Erdoğan qu’il réussisse à prononcer le terme de «génocide» face au peuple rescapé d’Arménie, à désigner les coupables de ce crime qualifié, à les juger par contumace et achever son discours par une condamnation publique suivie d’une demande de pardon au nom des âmes criminelles qui n’ont jamais su le faire, nous resterons sur nos gardes aussi longtemps qu’Abbas n’aura pas réparé les dégâts considérables accomplis par un certain Hadj Amin al-Husseini qui s’est rendu complice de crime contre l’humanité au sein de la Waffen-SS.
Les pays arabo-musulmans savent, depuis quelques temps, manier les condoléances avec une certaine délectation. Abou Mazen, l’homme avec qui l’on reprochait à Israël de refuser de signer un accord-cadre, le même homme qui a appelé «héros» les terroristes libérés en échange du soldat Shalit, le même qui forme ces jours-ci un gouvernement d’union nationale palestinien avec l’organisation terroriste Hamas, le chef de guerre sunnite de l’OLP que nous pouvions voir à Norouz adresser ses vœux de Nouvel An à la République islamique chî’ite d’Iran, reconnaîtrait que la Shoah fut le crime le plus odieux du XXe siècle tout juste quelques mois après que Mohammad Zarif, négociateur dépêché en scred par Khamenei avec pour mission d’arracher au bloc de l’Ouest le droit d’enrichissement de l’uranium qui dotera son ex-empire perse d’une force de dissuasion augmentant ses chances de mainmise sur la terre sainte et au-delà, sur l’Oumma, avait qualifié la Shoah de «cruelle tragédie funeste» avant que d’établir, un jour plus tard, un parallèle entre le traitement, hier, des «j»uifs par leurs bourreaux et celui, aujourd’hui, des «P»alestiniens par les «j»uifs. La perversité n’a plus de limite chez les antisionistes. En ce Yom Hashoah, les Juifs, qui forment un peuple, si les victimes de la Shoah n’étaient pas toutes, loin s’en faut, des traditionnalistes pratiquant le culte éponymement juif de l’ancien royaume de Judée, les Juifs, dis-je, n’ont nul besoin qu’on les anesthésie d’une morsure venimeuse. Prions pour que Recep Erdoğan n’ait pas eu quelque sombre idée derrière la tête quand il pleura sans pleurer les victimes du premier génocide du XXe siècle. L’avenir proche le dira.