La tournée électorale européenne de Recep Tayyip Erdogan qui va passer par la France à partir du 20 juin, n’est pas une bonne nouvelle pour la démocratie et le vivre ensemble. Le chef de l’AKP, candidat à la présidentielle, entend en effet y tenir meeting dans la perspective d’enrôler les «communautés turques» sous sa bannière et renforcer ainsi son influence dont on ne connaît que trop la force de nuisance. C’est en effet au Premier ministre turc qu’on doit l’incarcération de milliers de prisonniers politiques, l’intimidation des intellectuels, la réduction des libertés, l’islamisation revendiquée de son peuple. Ses agissements ont été à l’origine d’un profond malaise en particulier dans le tissu urbain de la société turque et dans la jeunesse dont le mouvement du parc Guezi l’an dernier a montré la soif de liberté.
Pour étouffer dans l’oeuf ce mouvement moderniste et pro-européen, Erdogan a recours aux vieilles recettes d’un Etat qui, outre l’extermination des Arméniens, s’est construit sur l’oppression de toutes les minorités, nationales, culturelles, religieuses, sexuelles, etc. Et c’est ce cocktail fait de nationalisme, d’Islamisme, de négationnisme, auquel s’ajoute une rasade d’antisémitisme qu’il vient servir à ses concitoyens en Europe. Tout discours de ce type, contraire aux valeurs de la République, est en soi inacceptable en France. Mais le niveau du supportable est dépassé quand il est tenu par le dirigeant d’un Etat qui, devant l’humanité, n’a pas encore soldé les comptes de ses crimes contre l’humanité.
La question pour les démocrates n’est donc pas seulement qu’on vienne injecter une dose de populisme exogène dans une France déjà en proie à ses propres démons, mais qu’on le répande sur le terrain vulnérable des ressortissants d’un Etat dont les fondements reposent sur un génocide, sa négation et la culture de l’impunité. Là, le cocktail peut s’avérer explosif.
Qu’Erdogan prospère avec cette idéologie en Turquie est terrifiant. Mais il est intolérable qu’il vienne l’exporter jusqu’en France, dans cette terre d’accueil où les rescapés de l’entreprise d’extermination de 1915 avaient trouvé refuge, croyant que leurs descendants y seraient à jamais à l’abri des turpitudes de leur bourreau.
Les «condoléances» présentées le 23 avril dernier par le Premier ministre turc aux petits-fils des Arméniens tués en 1915 avaient été interprétées comme un signe d’espoir par les plus optimistes. Mais il n’aura pas fallu attendre longtemps pour déchanter, puisque moins d’une semaine plus tard Erdogan devait déclarer qu’il n’y a jamais eu de génocide en Turquie.
La situation créée par ses velléités propagandistes en France repose donc plus que jamais la question de cette nouvelle législation antinégationniste promise par François Hollande, après qu’une précédente tentative ait avorté en 2012, sous la pression d’Ankara… A un an des cent ans de 1915, le moment est venu pour chacun de prendre ses responsabilités.
Mourad Papazian et Ara Toranian
Coprésidents du CCAF (Conseil de coordination des organisations arméniennes de France)