Formidable victoire de l’équipe de France de football hier à Saint-Denis ! Incroyable « remontada » à laquelle peu croyaient ! Extraordinaire exploit sportif qui a permis de révéler le caractère jusqu’à l’orgueil de joueurs que l’on disait incapables d’une quelconque capacité de réaction. Au lendemain de ce match de barrage contre l’Ukraine qui offre aux Bleus leur passeport pour la Coupe du Monde au Brésil, la presse fait ses choux gras de la victoire de Sakho, Benzema et consorts. Mieux (ou plutôt pire) : c’est toute la société française qui, otage de la ferveur populaire, se met à interpréter la victoire de la veille. Un exercice périlleux car le football supporte mal la récupération politique…
Comme le criait à s’égosiller le commentateur Jean-Michel Larqué : « Danger ! Danger ! »
C’est un fait : décrypter le football comme la continuation de la politique par d’autres moyens s’est toujours avéré délicat. En dépit des apparences, l’opposition de deux fois onze joueurs sur un terrain n’a rien de politique. Dans le meilleur des cas, le football se rapproche du théâtre ou plus exactement de la tragédie. Les exemples sont légions, les amateurs de ballon rond les connaissent par cœur : Séville en 82 où les feu-follets tricolores se heurtèrent à l’efficacité rigoureuse des Allemands. Cette élimination restée dans les mémoires, en 93, contre la Bulgarie lorsqu’en fin de match Ginola joua avec le feu en tentant un dernier centre vers Cantona plutôt que de conserver le ballon près du point de corner. On pourrait étendre la liste à l’infini : le but de Trézéguet contre l’Italie, la main de Thierry Henry contre l’Irlande. Dans tous les cas, d’accord, l’amour du jeu et le sens de la tragédie sont bien de la partie mais pour la portée politique de ces moments-là, on repassera !
Malgré le fantasme des éditorialistes, le football ne porte pas de message sinon celui de la passion. Déjà, en 1998, l’euphorie black-blanc-beur n’avait pas fait long-feu. Elle n’aura influé ni sur l’économie de notre pays, ni sur le cours de sa diplomatie. Alors qu’est-ce, finalement, que 98 ? Rien sinon une suite fugace de jolis souvenirs footballistiques : celui d’un bref été de victoires, de la maestria de Zidane ou encore du bonheur des supporters tout au long de la marche vers le graal. Sur le long-terme? Rien. En 2006, tandis que la France s’apprêtait à disputer la Coupe du Monde en Allemagne, le quotidien Libération titrait, chagriné: « En huit ans, le mythe « black-blanc-beur » a fondu ». Retour en 2013. Le contexte a changé, l’expression black-blanc-beur est, elle, tombée en désuétude. La France a peur d’elle même et ne se fait plus confiance. La crise économique, le chômage et toutes les polémiques sur l’identité nationale ont précipité le retour d’un Front National qui ne se cache plus. Tout est bon pour décrire le malaise français. Le football ne fait pas exception. Dans tous les partis, des populistes tentent de se réapproprier la parole populaire en faisant dire aux joueurs de l’Equipe de France ce que ces derniers n’ont jamais pensé…
Se tromper en pensant que les footballeurs portent un message
Désormais affaire de business au moins autant que de passion, le football est devenu un spectacle surexposant ses principaux acteurs : les joueurs. Or, en dépit des sommes gagnées par ces derniers et malgré toute l’attente autour de leurs personnes, il n’a jamais été question de juger ces sportifs ailleurs que sur le terrain. Ce qu’expliquait Zinedine Zidane dans un entretien mémorable accordé au mensuel So Foot à l’été 2013. Répondant à ceux qui lui reprochaient son manque d’engagement politique, l’ancien numéro 10 clamait : « (…) pour ce qui est de la politique, moi, je ne me suis jamais pris pour un autre. Quand je fais quelque chose, je le fais à fond. Mais quand je ne m’estime pas à la hauteur, quand je ne “sais” pas, quand je ne suis pas compétent, je n’éprouve pas le besoin de la ramener. Et même: je ne veux pas qu’on vienne me chercher. Ça me fait marrer quand les gens disent que je n’ai pas d’avis. J’ai un avis, évidemment que j’ai un avis, des convictions. Mais pour s’attaquer en public à un sujet politique, ou même à un politique, il faut être prêt, il faut être armé, et je n’ai pas ces armes rhétoriques-là. Et en quoi le fait que je sois un footballeur connu donnerait à ma parole une importance quelconque? C’est absurde. On attend beaucoup de nous parce qu’on est des hommes publics. Soit. Mais il y a des limites: la limite, c’est le terrain, puisque je suis footballeur. Il y a une grande méprise: on ne peut pas considérer l’homme politique comme un problème et le footballeur comme une solution. »
Allons plus loin. Grecs et Suisses participeront à la prochaine Coupe du Monde au Brésil, pourtant les contextes des pays qu’ils représentent sont très opposés. Un exemple qui prouve à quel point la victoire en football n’a jamais rien dit de la situation politique, économique et sociale d’un pays. Et la défaite ? Que dit-elle au juste ? Faut-il voir dans les héritiers de Knysna, cette fameuse affaire du bus, des « caids immatures » chantres de l’Anti-France ? Faut-il voir dans le Zidane qui remportait hier des titres un bon Français et dans celui qui assénait un coup de tête à Materrazzi au soir de sa carrière un Algérien malfaisant ? Certainement pas ! Et dans ces joueurs qui ne chantent pas tous la Marseillaise ? Un message ? Aucun ! Platini, rappelons-le, n’a jamais chanté l’hymne national ! Ex coqueluche de tout un pays, il est pourtant aujourd’hui Président de l’UEFA (l’instance qui administre le football à l’échelle européenne) soit le tout meilleur représentant du football tricolore sur la scène internationale.
N’en déplaise au grand Bill Shankly, le football est un jeu plutôt « qu’une question de vie et de mort ». Qu’elle gagne ou qu’elle perde, l’équipe de France doit être jugée sur ce qu’elle montre sur le terrain. Tout ce qui s’en dit au-delà, de l’interprétation à la récupération politique, n’amène rien.
A propos de votre qualification (et de la notre aussi) au mondial du Brézil..
Récupération politique, vous dites récupération politique? Et nous en Algérie, que dirond-nous alors?