Soit une nouvelle poussée de fièvre islamiste en réaction au Printemps arabe. Soit Charlie Hebdo, fidèle à sa tradition de satire, se rebaptisant l’espace d’un numéro Charia Hebdo – j’utilise le champ lexical du baptême à dessein – et nommant, par la même occasion, Mahomet rédacteur en chef. En résultent une forte mobilisation sur l’Internet français et beaucoup de commentaires, certains très positifs, d’autres farouchement dénonciateurs d’une religion que l’on moquerait à nouveau. Et enfin, dans la nuit de mardi à mercredi, l’incendie criminel des locaux du 62, boulevard Davout (XXème arrondissement de Paris) et le piratage de la page d’accueil du site de l’hebdomadaire remplacée par une photo de La Mecque et des versets du Coran.

La chose est insultante. Pas l’initiative de Charlie, non ! Plutôt l’idée que l’on puisse, par le feu, censurer un foyer de la libre expression sensée. À l’heure où sont écrites ces lignes, aucune vraie certitude sur l’identité des pyromanes du vingtième arrondissement. Une piste occupe pourtant toutes les pensées : la piste islamiste. Si elle s’avère être la bonne, nous aurons-là un nouvel exemple de prise d’otage des musulmans de France par leurs éléments les plus extrémistes et les plus minoritaires. Cela est fatigant. Tout aussi fatigants sont ceux qui crient une nouvelle fois à l’Eurabia de Bat Ye’or, si vite, si facilement.

Disons-le clairement : dans leur grande majorité, les musulmans de France ne cautionnent pas l’incendie de Charlie et refusent cette forme d’autocensure contrainte que voudrait imposer une certaine police religieuse de la pensée. Comment le sait-on me direz-vous? Il y a-t-il des chiffres qui le prouvent ? Il y a surtout la preuve faite quotidiennement que la France composée de ses musulmans n’implose pas, malgré les dires cathodiques et en dépit des difficultés sociologiques. Notre pays, s’il subit sporadiquement des émeutes dont l’origine demeure surtout sociale, est très loin de virer à la guerre civile. Bat Ye’or rime avec « les musulmans dehors », veut-on de cela ? Certainement pas !

Face à la nouvelle de l’incendie des locaux de Charlie Hebdo, entre langue de bois et excès de langage, il y a plusieurs façons de réagir. Une chose est sûre, il faut d’abord unanimement condamner l’incendie d’un organe de presse, loin d’une quelconque arrière-pensée de flatterie corporatiste. Il faut ensuite prendre garde à ne pas sombrer dans la facilité didactique pour expliquer l’événement, sous peine de le voir réutilisé à des fins moins louables. Un écueil pointe d’ailleurs, déjà, le bout de son nez, celui de la récupération politique.
À moins d’un an des élections présidentielles, l’incendie de Charlie Hebdo ressemble en effet à une aubaine permettant à chacun de bien signifier d’où il parle… À tous les coups entendrons-nous le Front National et la Droite de la Droite récupérer l’incendie pour mettre le feu aux poudres d’une société déjà bien morcelée. Oubliant Marx, la Gauche de la Gauche pourrait quant à elle être tentée de minimiser les faits. On nous rejouera certainement le thème éculé de la guerre des civilisations qui, de façon, toujours plus inquiétante, s’effectuerait sur notre propre sol. Et Dieu sait comme la chose fonctionne à merveille sur l’électorat hexagonal…

Laurent-David Samama
(Rédacteur en chef de L’Arche)

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