Peut-on être élue de la République, représenter un parti de gouvernement considéré globalement comme «modéré» (en dépit de membres comme Gilles Bourdouleix, finalement exclu après sa déclaration scandaleuse sur les Roms) et devenir une référence pour tout ce que la fachosphère produit d’antisémite sur le web ? Sylvie Goy-Chavent, sénatrice de l’Ain, vice-présidente de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) et jusque-là inconnue du grand public, a relevé le défi en un clin d’œil devant les yeux grands fermés de son parti qui semble s’accommoder, sans sourciller, de cette espèce de cumul exécrable des mandats.
Nommée rapporteure de la mission commune d’informations du Sénat sur la filière viande constituée suite au scandale de la viande de cheval, Sylvie Goy-Chavent a présenté le 11 juillet dernier quarante propositions visant à améliorer la transparence pour le consommateur. Une des mesures avancées suggère l’étiquetage des produits issus de l’abattage juif et musulman − la différence avec l’abattage classique étant le non étourdissement préalable de la bête et son incidence sur le niveau de souffrance de l’animal.
Que la sénatrice défende son rapport face aux critiques – les communautés juives et musulmanes avaient effectivement émis des doutes sur le caractère stigmatisant que pourrait revêtir un tel étiquetage (Joël Mergui, président du Consistoire central et Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman s’étaient exprimés en ce sens) − cela va de soi.
On aurait néanmoins apprécié que la mission sénatoriale garde à l’esprit que le thème de l’abattage rituel a fréquemment été une combine des antisémites et des racistes pour instrumentaliser la défense des animaux: on pense évidemment à Brigitte Bardot − dont la Fondation apporte d’ailleurs un franc soutien à l’action de Madame Goy-Chavent − condamnée à cinq reprises, entre 1997 et 2008, pour incitation à la haine raciale en raison de ses propos sur les Arabes musulmans; on se souvient peut-être de la campagne antisémite de la fin du XIXème siècle en Suisse qui s’était soldée en 1893 par un référendum interdisant l’abattage rituel kacher; on songe enfin au cas récent de la Pologne dont le Parlement a voté l’interdiction de l’abattage rituel, une décision qui avait fourni l’occasion d’un déchaînement des éternels poncifs antisémites sur le caractère sadique et barbare de cette coutume et sur les intérêts cachés qui seraient liés à sa commercialisation.
Qu’il ait suffi d’un article crétin et de commentaires stupides et grossiers sur un site communautaire tout à fait marginal pour que Sylvie Goy-Chavent sombre elle aussi dans l’approche complotiste auxquelles s’adonnait déjà un bon nombre de ses supporters sur internet, c’est affligeant. Mais surtout très inquiétant. Les allusions de la sénatrice, présentés évidemment comme de simples et naïves suppositions, font écho et souvent s’entremêlent aux centaines de commentaires ignominieux trop tardivement supprimés de sa page Facebook. «Il doit s’agir de centaines de millions d’euros», écrit-elle à propos des sommes que drainerait le marché de la viande kacher. Puis aussi: «Ces sommes sont utilisées à diverses fins, et notamment à soutenir la politique des pays en question» ; «il y a beaucoup d’argent et c’est peut-être cela qui éveille la haine»; «s’il n’y a rien à cacher pourquoi ne pas répondre à mes demandes de transparence ????????» etc. Renchérissant sur les assertions de leur héroïne, ses défenseurs s’en sont donnés à cœur joie. Florilège: «la transparence que vous demandez porte atteinte à leur business, l’adversaire est de taille, il est manipulateur, menteur…» ; «c’est marrant comme la communauté qu’on ne peut pas nommer perd subitement toute retenue et toute décence dès que l’on s’en prend a son porte-monnaie» ; «tenez le coup ce ne sont que des bons à rien les sionistes» ; «vous êtes en train de découvrir que la France est dominée par le lobby sioniste» etc.
Alors bien sûr, les menaces et insultes émanant d’agités du bocal à l’encontre de la sénatrice sont tout à fait condamnables. Mais, que cela se transforme en tremplin pour plonger brusquement, tête baissée, dans la paranoïa «antisioniste», et flirter avec les théories antisémites les plus caricaturales, c’est insupportable.
La sénatrice a, de plus, bondi à la vitesse de la lumière pour se placer en position de victime, à la manière d’un Faurisson se voyant de partout menacé et agressé ou d’un Dieudonné réclamant à corps et à cri une liberté d’expression qui lui serait interdite. La technique est bien connue, dont use et abuse le club infernal que la sénatrice semble rejoindre avec une facilité déconcertante. On en veut pour preuve l’appel à l’aide stupéfiant lancé au Président de la République sur sa page Facebook. On y retrouve l’amalgame que seuls quelques sites communautaires imbéciles avaient, pensait-on, commis, mais qu’elle revendique elle-même puisqu’elle opère très exactement ce rapprochement odieux entre sa mission sénatoriale et son engagement pour l’étiquetage des produits en provenance d’Israël. Comme si cela constituait un élément d’explication de la virulence des critiques dont elle a été l’objet. Elle va par ailleurs jusqu’à craindre que «les services secrets d’une certaine puissance» menacent de s’en prendre à sa personne… Si la sénatrice est capable d’entretenir une suspicion aussi absurde au point d’en faire part au chef de l’État, c’est qu’elle doit vraisemblablement prendre cela très au sérieux.
Il y a enfin la spéculation vicieuse, relayée à plusieurs reprises par des soutiens de la sénatrice sur internet et selon laquelle, vidéos d’Alain Soral à l’appui, le commerce de la viande halal serait «tenu» par les Juifs, ceci tenant lieu d’explication à l’absence de réactions négatives de la part de la communauté musulmane. Cela, la sénatrice n’a pas non plus manqué de le rappeler, comme pour ajouter au soupçon, comme pour faire écho à cette théorie infecte qu’elle effleure d’ailleurs du bout des lèvres avec ces odieuses interrogations superfétatoires : «à qui appartiennent les principaux organismes de certifications halal ? Les musulmans de France en achetant de la viande halal mettent-ils dans leurs assiettes de la viande casher ? Les Chrétiens cuisinent-ils pour Pâques de l’agneau casher ? L’étiquetage précis permettrait de répondre à toutes ces questions simples… et à de nombreuses autres.» Ici, la frontière entre sous-entendu malveillant et accusation antisémite franche a quasiment disparu.
Face à l’évidence de cette irrésistible dérive, la réponse de l’UDI, c’est-à-dire soit le désaveu de la sénatrice soit au moins la désolidarisation de ses propos, aurait dû sonner comme une absolue nécessité pour ses dirigeants. Au lieu de ça, l’affaire est passée comme si personne dans les rangs de Jean-Louis Borloo ne devait s’en soucier, comme si ce n’était pas inacceptable pour l’UDI qu’un de ses vice-présidents se transforme en étendard de la haine antisémite. Comme si d’ailleurs ce type de posture faisait aujourd’hui partie de celle qu’on peut tolérer. Comme si finalement, l’air du temps rendait acceptable les discours pestilentiels et les théories les plus effroyables.
Si on ne veut pas que l’atmosphère devienne de plus en plus irrespirable, il faudrait donc que l’UDI, comme tous les autres, se montre absolument intransigeante et particulièrement vigilante face à la pieuvre antisémite. Elle est multiforme, complotiste, se répand de plus en plus sous prétexte d’«antisionisme»; elle se décline selon des modes qui vont du questionnement chargé de sous-entendus «suivez mon regard» jusqu’aux appels les plus explicites à la violence. Les responsables des partis politiques inscrits dans l’arc républicain se doivent de trancher au plus vite la tête de cette pieuvre au risque qu’elle parvienne à se fondre dans le décor. Or, après ultime vérification, au moment ou ces dernières lignes sont écrites, la sénatrice Goy-Chavent n’a toujours pas été désavouée par son parti.
Article étrange… ou comment ne pas parler du sujet en question : à savoir la traçabilité de la viande abattue en France et son étiquetage. La question qui est posée avec ce rapport du Sénat est la suivante : pourquoi ne pas informer clairement clairement le consommateur du mode d’abattement de sa viande ? Oui, pourquoi ne pas le faire ? Un article de La Règle du Jeu sur ce sujet serait le bien venu.
Et pourquoi pas un étiquetage permettant la traçabilité de toutes les viandes ?
Alors on aurait enfin droit à des achats éclairés pour les consommateurs.
Personnellement , je n’ai pas envie de manger de la viande abattue rituellement et pour le moment je n’ai pas la possibilité de savoir si la viande que je consomme a été obtenue en faisant souffrir une pauvre bête qui elle n’ a rien demandé .