Tout le monde ou presque est aujourd’hui phototiste, comme tant d’autres (souvent les mêmes) sont philatélistes, véliplanchistes, touristes, naturistes, etc….
Mais fort peu sont les photographes.
Tout le monde fait de la photo-photo. Il suffit désormais d’avoir un portable avec soi dont on n’a pas oublié de charger la batterie le matin en quittant ses pénates. Mais la photographie, la graphie de photo, l’écriture par la photo, cela, évidemment, est tout autre chose. Le seul petit problème, aujourd’hui, est que la photo-photo universelle des phototistes tue chaque jour un peu plus la pure photo-graphie, tue l’écriture en image, tue l’écriture par l’image.« La photo-photo m’a tuer » écrira bientôt sur le lit de mort de la photographie le dernier photographe encore d’actif avant de poser à jamais son appareil.
Parmi les derniers des Mohicans de la photographie, Marc Roussel fait de l’écriture en photo. Il a choisi depuis dix ans de faire ce travail d’écriture par l’image sur les blessures de l’Histoire en train de se faire et se défaire, dans cette immense ceinture du monde où règne en maître, aux prises avec la modernité, l’islam sur ses millions et millions de sujets.
Il était à New York quatre jour après le 11 septembre 2001. Il était à Alep sous les bombes, en août 2012. Entre ces deux tragédies en sens contraire, il était à Kaboul en 2002, au Cachemire en 2004, au Kazakhstan et au Yémen en 2006, en Irak en 2010, à Benghazi en 2011, y tournant les images du Serment de Tobrouk, de Bernard-Henri Lévy, et en mille autres lieux semblables où l’islam inscrit sa marque dans les paysages, les visages, les passions politiques et les guerres, Cachemire, Irak et surtout Libye.
Il expose Galerie Sinceux à Paris ces dix ans de photo-graphie intense et nette, en une vingtaine de tirages au cadrage impeccable, dont la stricte esthétique n’embellit pas la vérité ni ne détourne le sens. Photographies qui disent l’état politique et humain de ce monde musulman oscillant partout entre régression, repli religieux et ouverture, libération.
Tant ces images sont parlantes, leur légende est presque superflue. On reconnaît à la seconde le contexte et le moment dont elles sont le fruit, le témoignage sans parole. Telle est la bonne science du reporter quand il se fait mémorialiste. Nous imprimer dans l’oeil et dans l’esprit ce que nous savions déjà par d’autres voies et qui, désormais, auront longtemps en nous visage, image et vie. Ce métier nécessaire qui opère au futur autant qu’au présent, immobilise l’instant au profit de l’histoire, est menacé de toutes parts. Sans parler des « news » en « live » et en direct qui emportent tout sur leur passage, ces reportages au long cours et au long coût trouvent de moins en moins preneurs dans la presse, où seule la photo-choc fait encore, ici ou là, recette. Et là même, plus encore qu’ailleurs, on retrouve – scoop, pas scoop –, chaque jour plus nombreux, les phototistes de tout à l’heure, ces milliers d’amateurs de par le monde, placés par le hasard en embuscade ou par wagons entiers à portée de l’évènement, shootant au débotté d’un simple mouvement du poignet l’imprévu ou le super-prévu.
Ainsi va le monde, et la photo-graphie d’histoire du temps présent à sa perte programmée.
Mais, pour les années qu’il leur reste à vivre leurs belles aventures humanistes, écriture photographique en main, Marc Roussel et ses quelques semblables photo-grapheurs n’en sont que plus les vrais mémorialistes et le grand oeil savant de ce siècle débordé.
Informations pratiques
Exposition « Entre temps »
du 12 février au 8 mars 2013
à la Galerie Philippe Sinceux,
22 rue de Lille, Paris 7