Persiflages 5 bis

Ce mercredi 23 janvier 2013

Je donne ici les notes adjointes que j’avais préparées pour accompagner Persiflages 5. Toutes n’y sont pas.

Arrogance batave

L’hebdomadaire Courrier international invite chaque semaine un journaliste étranger à commenter l’actualité française. Cette semaine, c’est à Eveline Bijlsma, néerlandaise, 30 ans, que le journal demande son avis sur la manifestation du 13 janvier. Elle dit son étonnement : aux Pays-Bas, le mariage gay, légalisé en 2001, est passé dans les mœurs. Elle blâme « une manifestation de gens voulant imposer leur style de vie aux autres. »  Elle se réfère en particulier à « certains propos ». Lesquels, croyez-vous ? Les fameux propos du cardinal Barbarin, et ceux de l‘avionneur Serge Dassault, « personnes en principe responsables ». Elle en conclut que « la France, par certains aspects, n’est pas du tout moderne. » Bref, l’arrogance batave ne connaît plus de limites.

Cependant, Mme Bijlsma est encore loin du compte. Que dira-t-elle quand elle prendra connaissance du tweet que le 21 janvier, jour-anniversaire de la décapitation du dernier des Bourbon français, a inspiré à Christine Boutin : « Hommage à Louis XVI, dont le testament révèle son amour pour Dieu, sa famille et son peuple » ? Comprendra-t-elle que la France reste, en dépit de tout, la fille aînée de l’Eglise ? Ce n’est point le fait du hasard si Mme Boutin est « consulteur » au Conseil pontifical pour la famille, organisme de la Curie créé en 1981 par Jean-Paul II (voir le motus proprio « Familia a Deo Instituta »).

Plus près de toi, mon Dieu

L’activisme de l’Eglise de France en faveur de la protection de la nature, s’agissant de la famille et de la procréation, a éclipsé la question des pratiques dites contre-nature qui affligent l’institution elle-même. Quant à la pédophilie ecclésiastique, que j’évoque dans Persiflages 5, elle se rappelle cette fois à notre attention depuis l’Allemagne. On pouvait lire dans le New York Times daté du 18 janvier, sous le titre « German Priests Carried Out Sexual Abuse for Years. », une correspondance de Berlin, qui nous apprenait que « A report about child sexual abuse in the Roman Catholic Church in Germany, based on victim accounts and released by the church this week, showed that priests carefully planned their assaults and frequently abused the same children repeatedly for years. » La hot line ouverte par l’Eglise allemande a reçu 8 500 appels. On dénombre 1 165 personnes se présentant comme victimes d’abus. L’évêque Stephan Ackermann, de Trier, en charge de l’affaire, a reçu la presse pour lui dire : « I found particularly devastating the perpetrators’ lies to their under-aged victims that their actions were an expression of a loving bond with God. » Une Claudia Adams, qui dit avoir été violée enfant, tient un blog où elle explique que le prêtre qui avait abusé d’elle lui avait dit qu’elle était maintenant « plus proche de Dieu ».

On retrouve ici sur le mode tragique l’aventure contée sur le mode libertin dans Thérèse philosophe (1748), quand le père Dirrag fait découvrir à Mademoiselle Eradice la puissance bénéfique du vénérable cordon de saint François. L’affaire était authentique. Elle avait donné lieu à un procès, opposant une demoiselle Cadière, de Toulon, au père Girard, jésuite, recteur du Séminaire royal de la marine de la même ville, et toutes les pièces en avaient été publiées en 1731. Voir par exemple le recueil des Romans libertins du XVIIIe siècle, Bouquins, Robert Laffont, 1993, p. 593.

Le lendemain, un blog du Monde diffusait une information sous le titre : « Chine : le marxiste en chef tombe pour un scandale sexuel ». Puisqu’il est beaucoup question, dans le débat actuel sur le mariage, de « données anthropologiques » peut-être serait-il judicieux de s’interroger sur les difficultés récurrentes des organisations à faire respecter en leur sein un ordre juste en matière sexuelle, que lesdites organisations s’autorisent de l’Esprit Saint ou de la lutte des classes. On pourrait en conclure que le caractère indocile de l’appétit sexuel n’est pas d’accident, mais d’essence.

Ce fait, s’il était établi, n’invaliderait nullement la doctrine du péché originel, mais serait plutôt de nature à la conforter. Cependant, pourrait-il rester sans incidence sur la psychologie des affects, et pourtant, sur la théorie des unions ? Si le dérèglement du désir sexuel est essentiel et fatal dans le monde d’après la chute, ne serait-il pas prudent de lui faire une place dans la cité plutôt que d’essayer vainement de le rendre conforme à ce qu’il fut au paradis terrestre, tentative qui pourrait même passer pour impie, voire, en jouant fortissimo, diabolique ? Nous posons la question à notre ami Antonio Di Ciaccia, dont la compétence en matière thomiste et néothomiste, acquise à la souce, excède de beaucoup celle de l’amateur autodidacte que nous sommes.

La cote des cardinaux

J’ai découvert le site cardinalrating.com, qui se donne pour mission de vous renseigner sur les positions de votre cardinal. Mgr Barbarin y est représenté par 72 coupures de presse.

Par la même occasion, je signale l’imposant dossier composé d’articles de presse hostiles au mariage gay et à l’homoparentalité que l’on trouve sur le net à l’adresse infoselec.net

Autre lieu rare : le site Bibles Commentaries, biblecommenter.com Le verset 10 de 2 Corinthiens 7 s’y trouve commenté par 17 auteurs, tous distingués.

J’ai aussi découvert l’existence d’Anura Gurugé, un improbable historien de la papauté, très allumé, d’origine sri-lankaise. Il est l’auteur d’un livre, The Next Pope. Sa biographie vaut le détour : guruge.com. Selon ses calculs, le Top Papabile est le cardinal Marc Ouellet, Canadien de la Curie, suivi du cher Angelo Scola, mon préféré, aujourd’hui archevêque de Milan.

Dante et l’acedia

Nous utilisons ici la belle traduction de Jacqueline Risset (éd. bilingue Garnier-Flammarion). L’essai très suggestif de Pamela Williams, « Acedia as Dante’s in the Commedia » forme le second chapitre de son livre, Through Human Love to God : Essays on Dante and PetrarchnTroubadour Publishing, 2007). Elle voit dans l’acédie un tourment de Dante lui-même, ce qui mettrait Mgr Barbarin en excellente compagnie.

La Philocalie

Un psychanalyste, lacanien de surcroît, ne saurait négliger les enseignements de l’hésychasme. Et un admirateur de Borges, lequel suçait avec constance le sein de l’Encyclopædia Britannica pour nourrir ses contes, ne peut manquer d’être enchanté de l’histoire éditoriale de la Philocalie (mot qui signifie amour de la beauté). Pour les facilités du papier-collé, nous empruntons à Wikipédia les données suivantes.

La Philocalie des Pères neptiques, ou Grande Philocalie grecque, donne son expression à une pratique spirituelle mystique enracinée dans la tradition de l’Église orthodoxe, et qui vise la paix de l’âme ou le silence en Dieu : l’hésychasme (du grec ἡσυχασμός, hesychasmos, de ἡσυχία, hesychia, « l’immobilité, le repos, calme, le silence »), pratiqué par l’hésychaste (en grec ἡσυχάζω, hesychadzo, « être en paix, garder le silence »).

La Philocalie est une anthologie de textes inédits ou rares, écrits en grec byzantin, entre le IVe et le XVe siècles, par des 36 maîtres spirituels, qui relèvent tous du christianisme oriental, à l’exception — seulement apparente, souligne Wikipédia — de Jean Cassien.

Cette anthologie, œuvre de Nicodème l’Hagiorite et Macaire de Corinthe, fut publiée en 1782 à Venise, et passa alors inaperçue. L’ouvrage était introuvable au moment où l’abbé Migne travaillait à éditer sa Patrologie grecque. Ce n’est qu’après « maintes vaines recherches » qu’elle fut dénichée par son collaborateur, Jean-Baptiste-François Pitra, qui deviendra cardinal, et bibliothécaire du Vatican. Malheureusement, l’incendie qui réduisit en cendres les ateliers de Migne (1868) priva la Patrologie de Philothée le Sinaïte, de Théognoste et de Calliste Cataphygiotès.

Cependant, la traduction de la Philocalie en slavon par Païssy Velitchkovsky (1793) connut, sous le nom de Dobrotolyoubié, un extraordinaire succès, et fut au XIXe siècle la lecture préférée des moines russes, avec la Bible et le Ménologe de Dimitri de Rostov. Le livre a été traduit en français par Jacques Touraille, Philocalie des Pères neptiques, 11 volumes, 1979, 2 tomes chez Desclée de Brouwer et J.C. Lattès, 1995, Éd. de Bellefontaine, 2004.

Je confesse avoir encore peu pratiqué ces volumes, tout au plus en ai-je consulté quelques-uns en bibliothèque. Mais les enseignements fondamentaux de la « voie du silence » ont été à ma portée, comme ils sont pour tous, dans de petits livres de haute spiritualité. Le Seuil nous a donné, dans la collection Sagesse, la précieuse Petite Philocalie de la prière du cœur, par Jean Gouillard (1953 ; réed. 1979), et aussi les Récits d’un paysan russe (1947 ; réed. 1978). Mgr Laroche, théologien orthodoxe, a publié en 2010, chez Albin Michel, La voie du silence, dans la tradition des Pères du désert (2010). Des psychothérapeutes, l’un comportementaliste, l’autre ericksonien, se sont associés pour écrire un petit livre qui exploite cette tradition (Emilie Pécheul et Marco La Loggia, Sacrés thérapeutes, les Pères du désert ! chez François-Xavier de Guibert, 2009).

Enfin, on consultera avec profit, de Lytta Basset, Sainte colère. Jacob, Job, Jésus. Labor et Fides- Bayard, 2002.

Israël Zolli

Je donne ici sans le traduire l’article de l’Encyclopedia Judaica, Vol.  16, Page 1217.

Zoller (Zolli), Israel (1881-1956), rabbi and apostate.  Born in Brody, Galicia, Zoller spent a great part of his life in Italy.  He was chief rabbi of Trieste after World War I, professor of Hebrew at the University of Padua from 1927 to 1938, and, from 1939, chief rabbi of Rome.  At the beginning of September 1943, when the Germans entered Rome, he abandoned the community and took refuge in the Vatican.  At the end of the hostilities he reappeared to assume his position as rabbi, but was rejected by the community because of his unworthy behavior at the time of the greatest danger.  On February 14, 1945, he converted to Catholicism, taking the name of Eugenio Maria (in homage to Pope Pius XII) and returned to the Vatican.  In 1949 he was professor of Semitic epigraphy and Hebrew at the University of Rome.  He was the author of a large number of works, especially of biblical interpretation, Jewish history, liturgy, and talmudic literature.  Among his works are Israele (“Israel,” 1935), L’ebraismo (“Judaism”, 1953), and autobiographical reflections entitled Before the Dawn (1954).  His translation of the tractate Berakhot was published by a Catholic publishing house (1968).

Bibliography: L.I.  Newman, A “Chief Rabbi” of Rome Becomes a Catholic (1945).

Valère Maxime

L’anecdote sur quoi se termine Persiflages 4 est retrouvée. Elle se rencontre au livre V, 4 ext. 1 de Des faits et des paroles mémorables : « Idem praedicatum de pietate Perus existimetur, quae patrem suum Mycona consimili fortuna adfectum parique custodiae traditum iam ultimae senectutis velut infantem pectori suo admotum aluit. »

 

Ajouté hier, 22 janvier

Catholic Pride

Je disais dans Persiflages 5 que les processions du Saint-Siège n’étaient pas la Catholic Pride. Je le maintiens. Cependant, à la lecture du Figaro ce matin, il semble bien que la manifestation du 13 janvier, elle, avait quelque chose de cet esprit-là.  Gros titre : « Ces jeunes qui n’ont plus honte d’être “cathos” ».

Ils étaient nombreux, les jeunes, à la manif, notre Eveline Bijlsma le signale dans Courrier International. Selon Le Figaro, ce serait « une nouvelle génération décomplexée ». Jean-François Copé n’a pas perdu son temps en défilant avec les jeunes cathos. Sa thérapie opère : après avoir décomplexé la droite, le voilà qui décomplexe en un tournemain la jeunesse catholique de France. Où Copé passe, le complexe trépasse. La question est de savoir si le complexe réapparaît après le passage de Copé comme la graisse après une cure de Dukan, ou si, après son passage, ça ne repousse plus, comme derrière Attila.

Jean-Marie Guénois, qui signe le grand article de la page 2, et qui est rédacteur en chef adjoint chargé des religions, rapporte les propos d’un sociologue des religions, Philippe Portier, qui considère que « le discours catholique s’est comme “déringardisé” », alors que les sociologues, dit-il, annoncent toujours la fin de l’Eglise. Oh ! mais c’est une pierre dans le jardin de Mme Hervieu-Léger, ça, qui est aussi sociologue des religions, et que j’ai invitée à converser avec nous mercredi soir. Elle a écrit un Catholicisme, la fin d’un monde, paru en 2003. C’est une catholique progressiste et décliniste, alors que son collègue Portier est réactionnaire et lendemains-qui-chantent. KTO qui pleure, KTO qui rit. Je suppose qu’ils se connaissent fort bien, et je parierais qu’il y a entre eux un contentieux scientifique, et peut-être personnel. Je fais dire beaucoup à une seule ligne, mais dans cette ligne j’entrevois tout un monde. J’interrogerai là dessus Danièle Hervieu-Léger.

Je viens de vérifier si M. Portier avait écrit dans le Dictionnaire des faits religieux que Mme Hervieu-Léger a codirigé aux PUF (paru en 2010). Non, pas de Portier. Un coup de Google, et j’apprends qu’il est directeur d’études à l’École pratique des hautes études (Paris-Sorbonne). Ah ! Il est donc de la maison-mère, dont s’est séparée la fameuse Ve Section pour se sublimer en EHESS, Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales. DHL en a été la présidente. Vous m’en direz tant ! Ils sont de maisons concurrentes.

Je vais me pénétrer des vues de M. Portier pour nourrir ma conversation avec Mme Hervieu-Léger. Voici une interview dans La Croix, qui semble être du 4 décembre dernier. M. Portier évoque sans détour « le changement stratégique » de l’Église catholique à l’orée du nouveau siècle. Dans les années 1960 et 70, elle s’accommodait assez bien de la modernité, dit-il. Depuis lors, elle a fait le choix d’y résister, et elle est, comme les autres religions, dans « la réaffirmation identitaire ».  Je vais coller tout un passage, qui est limpide : «  Finalement, nos sociétés se divisent bien plus sur le terrain culturel qu’économique. Tout le monde est d’accord sur la sécurité sociale, les 35 heures. En revanche, certains veulent une subjectivité sans limite quand d’autres affirment qu’il existe des normes supérieures, comme la dignité de la personne, la loi naturelle etc. D’où par exemple les déclarations du cardinal Philippe Barbarin affirmant que certaines décisions ne relèvent pas d’un Parlement. Ce faisant, il ne représente pas seulement l’Église, mais tous ceux qui jugent qu’on va trop loin. En face, d’autres demandent pourquoi, s’ils ne portent pas atteinte aux droits de leurs semblables, ils ne pourraient pas mener la vie qu’ils souhaitent… Plus qu’une vague d’anticléricalisme, ce conflit-là risque de perdurer. »

Franc. Lucide. Comme on dit, « voilà qui a le mérite d’être clair. » Les lampions de Vatican II sont éteints. Les lauriers sont coupés. Retour au Syllabus en première classe et en quatrième vitesse. Dans une autre vie, j’aimerais renaître polémiste catholique. L’Eglise met en avant Frigide Barjot comme jadis Bernadette Soubirous, mutatis mutandis, mais elle tient par son Quartier Général, son Etat-major, son Oberkommando. On voit déjà la différence sur le pavé de Paris.

Jadis, on chantait :

« Prenez garde ! Prenez garde !

Vous les sabreurs, les bourgeois, les gavés, et les curés

V’là la jeune garde ! V’là la jeune garde,

Qui descend sur le pavé. »

 

Eh bien, comme les choses changent. Ce sont maintenant les curés, les bourgeois, et les gavés qui descendent sur le pavé, et, en plus, ils ont leur jeune garde !