Qu’est-ce que la Gauche ? Quelle est son essence ? Il y a-t-il seulement une réponse à ces questions ? Rien n’est moins sûr. Ce qui n’est plus à démontrer est par contre l’ardeur avec laquelle les penseurs de la chose politique tentent de répondre au trouble suscité par le glissement voire le bouleversement de l’âme socialiste, d’aucuns diront l’échappée de sa substance originelle…

Télé Gaucho, un film de Michel Leclerc.
Télé Gaucho, un film de Michel Leclerc.

Au cours de la décennie 2000, nombre d’articles, d’essais et de tribunes furent écrits pour expliquer le désamour des français pour le communisme, puis l’avènement de la social-démocratie, la troisième voie blairiste, son abandon, l’hypothèse écologiste, l’échec de cette dernière à s’insérer dans les cadres politiques traditionnels et, finalement, le manque de solutions socialistes pour résoudre la crise financière. Si le trouble des plumitifs quant à la Gauche n’a pas disparu, c’est aujourd’hui le cinéma qui semble avoir repris le flambeau de ce même questionnement. Passé l’ovni Film Socialisme de Godard, un cinéaste a rendu le questionnement sur le socialisme, son identité et son actualité, mainstream : Michel Leclerc. Banlieusard monté à Paris, membre de la joyeuse équipe alternative de Télé Bocal puis créateur de pastilles pour Canal Plus, Michel Leclerc semble faire des films fouillant dans son passé proche, exhumant autant de souvenirs d’un temps où être de Gauche voulait encore, simplement, dire quelque chose. Il résulte de cette charmante obsession, deux longs-métrages salués par la critique : Le Nom des Gens (film où apparaît Lionel Jospin en guest-star) puis, en cette fin d’année 2012, Télé Gaucho. Par le biais d’un étudiant passionné de cinéma (Félix Moati, très prometteur), Télé Gaucho suit l’aventure d’un collectif rassemblé autour d’une chaîne de télévision associative qui fleure bon la liberté d’expression et le joyeux bordel organisé. Au programme : lutte pour les sans-papiers, dénonciation du consumérisme, critique des médias et de la Droite chiraquienne accusés de tous les maux.

 
Le rendu, s’il est à la fois léger et amusant, n’empêche pas de quitter la salle obscure en réfléchissant. On voudrait bien que l’épopée Télé Gaucho ait fonctionné longtemps. On aurait aimé qu’elle se propage pour contrer l’individualisme souvent obscène de notre société capitaliste. Mais Michel Leclerc, en dépit de ses convictions, est clairvoyant. Il décrit dans son film une aventure au départ sympathique qui n’a, à l’instar de beaucoup d’autres entreprises humaines, pas su composer avec le réel. « Il faut bien bouffer, gagner sa vie, fonder une famille » dit bien le personnage d’un gauchiste en keffieh logeant chez ses parents, Porte d’Auteuil…
Télé Gaucho, et son équivalent réel, Télé Bocal, apparaissent alors comme des resucées d’un esprit soixante-huitard fantasmé. Sympathique certes, mais fantasmé. Dans les années 1990, 68 était déjà loin. Fin 2012, le mois de Mai révolutionnaire appartient à l’Histoire (poussiéreuse). Cela n’empêche pas d’être de gauche, évidemment. Cela se fait simplement différemment, en rêvant moins, en composant beaucoup plus avec le réalité…
Grâce à Télé Gaucho et comme jadis avec Le Nom des Gens, des questions nouvelles s’ajoutent aux réflexions anciennes. Et si, en fait de constituer une autre façon de mener sa vie, la tentation du kibboutz, celle, autrement dit de la vie en communauté, était aujourd’hui devenue un inconcevable trip de marginal ? Il s’agit d’une des manières de lire la fin, pas optimiste pour un sou, de Télé Gaucho. Un bémol ? Peut-être dix minutes de trop. Pour le reste, Éric Elmosnino s’affirme, s’il y avait encore un doute, comme un acteur formidable. Maïwenn est à l’aise en activiste énervée et Sara Forestier est en plein dans son registre : entière, impulsive et pétillante. La qualité des seconds rôles, d’Emmanuelle Béart en passant par Zinédine Soualem et Samir Guesmi, est à souligner.
En résumé, Télé Gaucho, en ce qu’il prolonge la réflexion sur une manière d’être de Gauche qui devient curieuse, mérite d’être vu. Habile, Michel Leclerc signe ici un film tendre, amusant et beaucoup plus engagé qu’il n’y paraît.