Le catalogue secret et anti-platonicien de Bernard-Henri Lévy
Les relations entre peinture et philosophie n’ont pas commencé sous les meilleurs auspices. Il y a deux mille quatre cents ans, Platon prononça sa célèbre condamnation de l’art, en prenant l’exemple du peintre qui peint un lit en copiant le lit en bois fabriqué par l’artisan, qui lui-même le copie d’après l’idée du lit. Le peintre, aussi talentueux et inspiré soit-il, ne pourra créer que des copies de copies, et l’art ne sera jamais qu’« imitation d’imitation », encore plus éloigné de la vérité de la réalité apparente. C’est à partir de cette sentence millénaire que Bernard-Henri Lévy a choisi d’affronter le rapport entre peinture et philosophie, dans la grande exposition qu’il prépare pour juin prochain à la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence.
Pour « Bhl », protagoniste de la guerre de Libye, à l’origine de l’implication française dans le conflit, c’est un nouveau genre de défi, bien loin du Moyen-Orient, mais – on l’imagine – entrepris avec l’habituel esprit combattif qui anime toutes les initiatives du philosophe de soixante-quatre ans. L’événement est entouré d’un certain mystère, car Lévy est à la fin de la phase de reconnaissance qui l’a conduit dans les plus grands musées du monde et à découvrir les principales collections privées, en France, aux Etats-Unis, en Allemagne, Suisse, Italie et en Israël. Il s’agit de l’un des grands événements culturels de l’année 2013, et il était inévitable qu’il ne soit pas passé sous silence.
Le directeur de la Fondation Maeght, Olivier Kaeppelin, a contacté Lévy il y a plus d’un an, alors que celui-ci était à peine revenu de l’une de ses nombreuses missions en Libye, lui donnant carte blanche pour organiser la traditionnelle exposition d’été, qui est le moment clou de la saison de cette fondation d’art inaugurée il y a presque cinquante ans par le grand ministre de la Culture André Malraux.
En 1973, la Fondation Maeght accueillit la tentative de transposer dans le réel le « musée imaginaire » pensé par Malraux, qui entendait dépasser la valeur propre à chaque œuvre en mettant côte à côte un masque Maya et un tableau de Picasso, tous deux considérés comme des témoignages équivalents de l’aspiration humaine à représenter et à questionner le monde.
Le principe de l’exposition conçue par Lévy sera différent : intervenir dans l’éternel débat sur la valeur de l’art contemporain en recourant à la preuve par neuf de la juxtaposition d’une œuvre classique avec une création moderne ou contemporaine, pour vérifier sur le terrain in vivo si cette dernière soutient la confrontation.
L’approche de Lévy, visiteur familier de la Venise des palais classiques autant que de celle du centre d’art contemporain de la Punta della Dogana, est libre de tout préjugé. Les indiscrétions parlent du concours de François Pinault, de Miuccia Prada et de Daniela Ferretti, directrice du Palais Fortuny.
Le rapport tourmenté entre peinture et philosophie aura pour fil conducteur l’iconoclastie, héritée de la conception platonique, propre aussi à la tradition hébraïque mais qui n’est pas étrangère aux débuts de la chrétienté.
L’exposition rendra compte de la résurgence périodique de l’hérésie iconoclaste, qui va de l’évêque espagnol Claude, qui, dans la Turin du IXe siècle brûlait croix et reliques, considérant les images sacrées comme un héritage du paganisme et l’expression de la matérialité de l’homme, et non comme manifestation du divin, jusqu’à Marcel Duchamp et d’autres artistes contemporains.
La relation entre art et littérature, entre peintres et théologiens, mécènes et collectionneurs, a souvent été étudiée, mais les rapports qui se nouent entre peinture et philosophie sont restés peu explorés jusqu’à aujourd’hui. L’exposition de la Fondation Maeght (qui, avec le Centre Pompidou et le Palais de Tokyo, est le poumon de l’art contemporain en France) entend reparcourir ce corps à corps, cette bataille à travers les siècles, avec un propos qui commence avec Platon et débouche sur Kant, Hegel et Croce, à travers la contribution de vingt artistes contemporains qui ont accepté de lire, face à la caméra de Lévy, vingt textes philosophiques.
Les philosophes-clés sont Platon, Heidegger, Shelling et, surtout, Nietzsche, qui renverse le platonisme. L’hommage au Turin de Nietzsche, De Chirico et à sa « peinture métaphysique » influencée par le penseur allemand, était inévitable. Rendez-vous à la Fondation Maeght pour Les formes de la pensée, à partir du 29 juin 2013.
Stefano Montefiori, correspondant à Paris du Corriere della Sera
Les formes de la pensée » – Peinture et philosophie : un récit du 29 juin au 6 octobre 2013