Le départ de Depardieu divise ; même l’exil de Bernard Arnault, dont le patrimoine est pourtant 250 fois supérieur, n’avait pas engendré autant de remous. Ainsi, Ayrault n’a pas hésité à qualifier Depardieu de « minable » ; Michel Sapin évoque une « déchéance » ; Filippetti une « désertion ». De l’autre côté du miroir, Morano nous présente l’acteur comme un « géant au grand cœur » ; alors que Parisot dénonce la « folie fiscale » du gouvernement.

Que l’on considère que Depardieu a eu raison de prendre la poudre d’escampette ou non, le contenu de sa lettre ouverte au Premier ministre ne peut qu’étonner. Extraits choisis :

« Je pars parce que vous considérez que le succès, la création, le talent, en fait, la différence, doivent être sanctionnés. »

Depardieu nous explique que les impôts sont une « sanction » ; pas un honneur – il ne faudrait pas exagérer ! – ou l’occasion de rétribuer à la communauté, non : une « sanction » ; et ce même si cet impôt n’est conçu qu’en tant qu’effort de crise. Soit, admettons.

Mais que faudrait-il donc imposer, sinon « le succès, la création, le talent » ? L’échec ? La non-création ? L’absence de talent ?

« Je trouve minable l’acharnement de la justice contre mon fils Guillaume jugé par des juges qui l’ont condamné tout gosse à trois ans de prison ferme pour 2 grammes d’héroïne, quand tant d’autres échappaient à la prison pour des faits autrement plus graves. »

Est-ce à dire que, parce que certains parviennent à fuir la justice, les autres ne devraient pas être condamnés ? Le raisonnement est dangereux.

Rappelons que Guillaume Depardieu avait aussi été condamné pour trafic de drogue, et qu’il avait été libéré au milieu de sa peine.

« Je ne jette pas la pierre à tous ceux qui ont du cholestérol, de l’hypertension, du diabète ou trop d’alcool ou ceux qui s’endorment sur leur scooter : je suis un des leurs, comme vos chers médias aiment tant à le répéter. »

La condamnation du voyeurisme médiatique est compréhensible, mais il est inquiétant de constater que des maladies d’ordre personnel, une consommation excessive d’alcool et un assoupissement au volant sont mis au même niveau. Il est à espérer que les pierres seront bel et bien jetées sur « ceux qui s’endorment sur leur scooter ».

Depardieu a beau écrire dans sa lettre que son départ est motivé par des raisons « nombreuses et intimes », personne n’ignore la vérité : « Je pars parce que vous considérez que le succès, la création, le talent, en fait, la différence, doivent être sanctionnés. »

Depardieu ne s’en va pas pour connaître une autre culture : il a choisi de déménager en Belgique, à 1 kilomètre de la frontière française.

Depardieu ne s’en va pas pour des désaccords de valeur : il aurait pu, soyons fous, être opposé au mariage pour tous, ou au droit de vote pour les étrangers. Non : il part pour ses finances. De là, on peut en conclure que Depardieu n’est pas désespérément patriote.

Est-ce un crime ? Voici une question que je ne vais pas poser, ou plutôt à laquelle je ne vais pas répondre. Je ne compte pas faire l’éloge du « patriotisme d’antan », mais je ne cherche pas non plus à le critiquer : le patriotisme est une valeur naturelle pour l’homme, qui ressent le besoin de s’identifier à des groupes (famille, travail, religion, culture, nation). On ne peut évidemment pas tout justifier au nom du patriotisme, mais ce n’est pas le patriotisme en lui-même qui est à blâmer : les coupables sont ceux qui le manipulent.

Or, en se fondant sur le rationalisme des Lumières et sur le positivisme, notre société occidentale a peu à peu détruit toutes ces cellules collectives ; d’où une société composée d’individus perdus, pour lesquels le monde n’a pas de sens autre que la consommation. Sans se demander s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise chose, on peut admettre que, dans le contexte actuel, l’absence de patriotisme économique de Depardieu n’est pas bien surprenant.

Il ne s’agit pas de défendre ou d’accabler Depardieu, mais de montrer qu’il est révélateur d’une certaine réflexion de la droite pseudo-gaulliste d’aujourd’hui, droite « sauve-qui-peut en Suisse » qui se revendique pourtant patriote. Patriote, peut-être ; mais sur quelles bases ?

Le patriotisme peut avoir cinq sources, sources qui en sont aussi les moyens d’expression . Le patriotisme peut, en effet, être militaire, économique ou culturel ; il peut aussi reposer sur des coutumes ou des valeurs.

Le patriotisme militaire n’est pas d’actualité en France ; le patriotisme économique est rejeté par la droite libérale contemporaine, qui défend Arnault et Depardieu ; la culture n’est pas aujourd’hui une source de patriotisme pour la droite, d’abord parce que l’on ne peut que constater l’existence d’une culture de masse uniformisée, mais aussi parce que le livre de chevet de Lefebvre est « Zadig et Voltaire » ; et les coutumes ne sont pas, en tant que telles, sujet de politique.

Le seul patriotisme de droite possible en 2012 serait donc un patriotisme de valeurs ; encore faudrait-il déterminer ces valeurs.

Le travail ? Celui-ci n’a rien de foncièrement français, et la présidence de Sarkozy a vu le chômage exploser. La famille ? Celle-ci n’est pas non plus une originalité de la France, et le droit au logement opposable a été oublié en cours de route par le dernier gouvernement.

Quant aux valeurs effectivement françaises, elles sont bafouées par la droite. Citons la Droite forte, courant majoritaire de l’UMP, qui considère défendre la laïcité en proposant d’inscrire dans la Constitution la « tradition chrétienne » de la France et en suggérant la création d’une « charte républicaine des musulmans de France » ; citons aussi les nombreuses accusations de « droits-de-l’hommisme » portées par la droite, y compris par l’ancien président Sarkozy. Le ridicule et l’échec du débat qui avait été lancé sur l’identité nationale le prouvent : la droite d’aujourd’hui n’a pas de valeurs.

La seule valeur qu’il reste à la droite actuelle est donc le patriotisme ; c’est-à-dire que la raison d’être du patriotisme de droite n’est autre que le patriotisme lui-même ; et, puisque ce patriotisme ne se fonde sur rien d’autre qu’une fierté gratuite et géographique, il doit bien passer son temps à haïr ; un élan fier, onaniste et passif qui n’hésite pas à mépriser autrui, mais sans savoir pourquoi.

Aujourd’hui, être un patriote de droite ne signifie pas aimer la France, la culture française et le peuple français ; mais exécrer les musulmans, les « assistés », ou tout autre groupe culturel ou socio-économique « à la mode » dans les discours de Jean-François Copé.

La question n’est pas de désigner de véritables ennemis – impossible, puisqu’il n’y a pas de vraies valeurs –, mais simplement d’attiser les tensions et d’accuser les uns et les autres pour masquer son propre manque d’idées, tout cela dans le seul but de gagner des élections ; le plus inquiétant étant qu’une fois au pouvoir, ces hommes n’ont rien eu d’autre à proposer que la démagogie qu’ils nous rabâchaient ; à croire que leurs discours débilitants les ont eux-mêmes convaincus.

Que l’on soit d’accord ou non avec le patriotisme économique que défend la gauche, ce constat ne peut que nous alarmer.

2 Commentaires

  1. « le plus inquiétant étant qu’une fois au pouvoir, ces hommes n’ont rien eu d’autre à proposer que la démagogie qu’ils nous rabâchaient ; à croire que leurs discours débilitants les ont eux-mêmes convaincus. »

    Vous avez raison. Il n’y a que les gens de « droite » qui se comportent de la sorte. Les gens de « gauche », jamais…