Alors que la crise assombrit tout, nous voilà tristes, moroses, désespérés. Chaque jour est un lundi. Heureusement, il nous reste Arnaud Montebourg. Arnaud Montebourg est très amusant. Il est d’ailleurs assez simple de ricaner à bon compte sur lui,  sur son accent de rentier versaillais, sur son culte de lui-même,  sur l’intitulé de son ministère, sur sa politique macroéconomique, sur sa compagne, sur son opportunisme, son don-quichottisme industriel, son sourcil gauche qui doit faire rire Michel Sapin en conseil des ministres, oui, vraiment,  je crois bien que les occasions sont nombreuses. Vous ai-je dit qu’il était pour la « démondialisation » ? Et qu’il a voté François Hollande ? Qu’il est ministre de François Hollande ? C’est une très bonne vanne, mais elle n’est pas de moi.

Ainsi, Arnaud Montebourg peut être très attachant ou extrêmement horripilant. Enfin, statistiquement, quand même beaucoup plus souvent horripilant. Mais trêve de plaisanteries, concentrons-nous sur l’essentiel : Arnaud Montebourg est une chose trop sérieuse pour être laissée  à Audrey Pulvar.

(À propos, je n’ai rien contre les lunettes d’Audrey Pulvar. Je sais que cette information amuse énormément Twitter, mais très sincèrement, quelqu’un qui passe tous ses déjeuners à écouter Roselyne Bachelot peut bien s’acheter des lunettes à douze mille euros. Bon. Peut être pas celles-là, mais enfin je compatis.)

Car Arnaud Montebourg est l’auteur d’un sombre crime contre la jeunesse de France.

Il y a quelques jours, Arnaud Montebourg  posait, en marinière, à la une du Parisien, ce quotidien devenu magazine. On y voit un mixer, un drapeau français, une montre, et Monsieur le Châtelain costumé pour la kermesse

Arnaud Montebourg, sa marinière et son mixeur français en une du Parisien, paru le 19 octobre 2012.
Arnaud Montebourg, sa marinière et son mixeur français en une du Parisien, paru le 19 octobre 2012.

paroissiale, euh, pardon, Arnaud Montebourg en marinière. Je ne reviendrai pas ici sur l’énorme contre-sens économique qui consiste à défendre indifféremment tous les produits fabriqués sur le sol français : je ne sais pas vous, mais je ne suis pas très sûr que l’avenir industriel de la France soit le mixeur. Car de deux choses l’une : ou bien Arnaud Montebourg a compris les avantages mutuels du commerce international, ou bien il n’y croit pas et n’a rien à faire dans ce gouvernement. (Il reste par ailleurs une troisième option : Arnaud Montebourg n’a pas  d’avis très précis sur la question, et « démondialisation » n’est qu’un concept étrange pour séduire les retraités de l’éducation nationale dans les Fêtes de la Rose, tout en lui ouvrant la porte des ministères. Mais c’est une hypothèse si monstrueuse que je me refuse à l’envisager.)

Non, le vrai crime d’Arnaud Montebourg, son Dix-huit Brumaire, sa tâche de Macbeth, c’est cette marinière. Arnaud Montebourg, en exhibant cette tunique élégante et bien coupée qui habillera vos dimanches matins avec joie, et vous permettra d’aller bruncher en toute tranquillité dans la quintessence du bon goût à la française, vous noterez d’ailleurs le pli sur les épaules et la boutonnière croisée très à la mode cette saison, disponible du 37 au 42, en cent pour cent coton, ou soie d’été, nos modèles sont habillés par Sandro et photographiés par l’agence Presmode, Arnaud Montebourg, disais-je, a ruiné ma courte existence, ce qui, personnellement, m’embête beaucoup.

Depuis la une du Parisien en effet, je n’ose plus mettre ma collection de marinière, collection qui est tout à fait majeure, fournie, choyée, classée par largeur de rayures. J’ai d’abord décidé de passer outre : l’autre soir, aux abords du Wanderlust (qui, si j’ai bien compris, serait le Palace des années Hollande, c’est-à-dire le lieu où, comme sous Mitterrand dans le prestigieux club, la jeunesse chic et branchée vient boire pour oublier ses illusions et les discours de Laurent Fabius) j’avais revêtu ladite tunique navigatrice. Au moment de demander un verre, le serveur m’observe très attentivement, en retenant un fou rire. Je n’aime pas l’humour, sauf quand c’est moi qui parle. Je lui fais donc un sourire Jean-Marc Ayrault, mais il s’entête à vouloir imploser d’euphorie. « Excusez-moi, pouffe-t-il, mais je voulais savoir, finalement, le nucléaire, vous êtes pour ou vous êtes contre ? ». Silence sibérien. «  Et le gaz de schiste ? Haha ! Le gaz de schiste ! » Et il s’en va, hilare, avalé par les lumières et l’entrechoquement mojito du petit-matin,  en répétant « gaz de schiste », son rire mourant peu à peu dans les néons et la foule harassée. On aurait dit un mélange de Claude Allègre et de Gad Elmaleh, c’était tout à fait monstrueux.

Voilà, comme moi, j’imagine, des milliers de hipsters vivent un calvaire. Aux abords de Sciences-Po, on a brûlé ses marinières, et ressorti, sans trop y croire, ses tee-shirts Obama. Arnaud Montebourg s’il vous plaît : je sais que vous ne voulez pas chagriner Billancourt, mais croyez-moi, il ne faut pas non plus désespérer la Rue Oberkampf.