Au fil de ses réalisations, Quentin Dupieux instaure une norme : celle d’un quotidien où l’absurde surgit à intervalles réguliers, comme un coucou sortant de son horloge, sous la forme d’une parole irrationnelle, d’un geste inexplicable, d’une présence incongrue, ou tout simplement d’un trait d’humour douteux.

Dans Wrong, le quotidien banlieusard et monotone du personnage principal, Dolph, est perturbé par la disparition de Paul, son chien habituellement très fidèle. Le film retrace l’enquête à laquelle se livre le maître éperdu pour retrouver son compagnon canin. Cette investigation mettra sur le chemin du quadra-loser toute une galerie de personnages plus perturbés les uns que les autres : un jardinier français grand artiste à ses heures perdues (Éric Judor), une standardiste sexy mais quelque peu alzheimerienne (Alexis Dziena), un chamane très Pépito bleu (William Fichtner), un voisin mythomane lorsqu’il est question de  jogging…

 

Wrong exploite, sur le registre burlesque, les codes du film policier (les policiers sont d’ailleurs – ici comme dans le film du même réalisateur diffusé sur internet et au festival de Cannes, Wrong Cops – d’une irritante suffisance). On retrouve donc les scènes d’interrogatoires, le détective privé et ses gadgets futuristes de l’époque minitel, des sons dramatiques pour appuyer le suspense. Pourtant, nul meurtre ici, mais la disparition d’un animal de compagnie. Nul suspense, mais la succession de gestes quotidiens. Ces sonorités dramatiques accompagnent en réalité des gestes aussi banaux que le fait de prendre sa brosse à dents ou encore de casser un œuf dans une poêle.

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William Fichtner incarne un chamane très Pépito bleu.

Quentin Dupieux impose ici sa propre norme du « normal », des jours qui se suivent et se ressemblent, dans l’absurdité la plus totale : le réveil sonne tous les jours à la même heure (…7h60), le jardinier s’occupe tous les jours des plantes (sans être perturbé par la transformation d’un palmier en sapin un beau matin), Dolph se rend tous les jours au bureau – alors qu’il a été licencié trois mois auparavant…

Les protagonistes ne sont pas insensibles à ce qui se passe autour d’eux, mais expriment face à un évènement totalement incongru les mêmes réactions que devant la banalité du normal. Ils renvoient ainsi à une nouvelle génération d’individus, non pas privés d’émotion, mais ne s’étonnant plus de l’anormal. La norme de Quentin Dupieux est donc celle de l’absurde : non pas au sens d’un incident insensé, loufoque, mais l’absurde du quotidien, des gestes qui se répètent inlassablement jusqu’au point où l’on ne sait plus pourquoi on les reproduit.

Coûte que coûte, le quotidien doit suivre son cours, parce qu’il doit en être ainsi, et parce que l’être humain ne peut ni ne veut ici s’extraire de ses habitudes.

wrongthemovie_09Sans jamais relever la tête, les personnages de Wrong continuent d’avancer ; ou plutôt de tourner en rond. Ils poursuivent leur chemin, comme le voisin de Dolph, qui semble rouler dans sa voiture jaune jusqu’au bout du monde. Ils reviennent irrémédiablement à leurs points de départ, si bien que la mort apparait comme un soulagement, à l’image du jardinier qui sourit dans son cercueil de verre. Et pour tenter de rompre l’évidence du quotidien, la seule solution est de créer soi-même, ou avec l’aide d’une société obscure, un manque, afin de ressentir le désir à nouveau. Avant de finalement retrouver ses habitudes, plutôt que de transformer durablement la réalité qui les entoure.

Il faut imaginer les personnages de Wrong comme des Sysiphe heureux version L.A ; Dupieux comme le Camus de la génération zapping et Internet.