Si la gauche est bien arrivée au pouvoir en mai dernier, elle n’a pas forcément amené une rupture avec la politique du gouvernement précédent dans tous les domaines. Cette semaine, de nombreux Roms ont été expulsés de leurs campements par les autorités françaises : 150 personnes lundi à Vaulx-en-Velin, près de Lyon, une centaine mardi, à Villeurbanne, et environ 350 personnes hier, jeudi 9 août, à Hellemmes et à Villeneuve d’Ascq. Le même jour, un charter de 240 Roms de Roumanie s’est envolé de Lyon pour Bucarest.
Ces expulsions sont dans la lignée de la politique sécuritaire contre les Roms, mise en place sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy en 2010. Dans un discours nauséabond à Grenoble, le 30 juillet 2010, M. Sarkozy avait annoncé la fin des « implantations sauvages de campements de Roms », lançant ainsi, sous l’œil des caméras, une vague d’expulsions violentes et abjectes pendant l’été. Heureusement, les réactions internationales avaient été sans appel, Viviane Reding, la commissaire en charge de la Justice et de la Citoyenneté, avait qualifié l’attitude du gouvernement français de « honteuse ». Précisant, que « les discriminations ethniques ou raciales n’ont pas leur place en Europe ». Le pape Benoît XVI avait également pris position contre les expulsions, et, en France, la Première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, avait dénoncé une « dérive antirépublicaine ». Le 28 juin 2011, la France avait été condamnée par le Conseil de l’Europe pour sa politique contre les Roms, cette dernière constituait, selon le Conseil, une violation aggravée du principe de non-discrimination.
Malheureusement, le départ du pouvoir de Nicolas Sarkozy n’a pas changé la donne pour les Roms. Les expulsions continuent et, une fois jetés de leurs campements, on ne leur propose toujours aucune solution de relogement dignes. Et cela, malgré les déclarations de François Hollande qui avait souhaité, lorsqu’il était candidat, « que, lorsqu’un campement insalubre est démantelé, des solutions alternatives soient proposées. On ne peut pas continuer à accepter que des familles soient chassées d’un endroit sans solution. Cela les conduit à s’installer ailleurs, dans des conditions qui ne sont pas meilleures ». Mais le président socialiste a déçu les associations de défense des Roms, « Ce qui est inconcevable pour nous, c’est qu‘on jette les gens sans leur dire où ils peuvent aller. On attendait mieux suite aux déclarations du président Hollande », a déploré, à l’AFP, Roseline Tiset, de la Ligue des droits de l’Homme. Dans une tribune publiée hier sur lemonde.fr, Benjamin Abtan, le président du Mouvement Antiraciste Européen (EGAM – European Grassroots Antiracist Movement), écrivait qu’il « est aujourd’hui fondamental que la France envoie un signal clair de rétablissement du respect des droits de l’homme et de la dignité des individus, indiquant qu’il est […] urgent que la France marque clairement un changement de position d’avec les actes et l’esprit de l’été 2010. »
Mercredi 8 août, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a indiqué que les expulsions décidées par la justice seraient effectuées « avec fermeté », précisant que les campements, « souvent situés au cœur de quartiers populaires, […] sont aussi un défi au ‘vivre-ensemble’ ». Il est bien loin le temps de l’opposition et des propos de la Première secrétaire du Parti socialiste, il est bien loin le temps des promesses de François Hollande.
Les métaboles tombent fréquemment dans les pièges qu’elles se tendent. C’est pourquoi je vais mettre tout de suite les pieds dans le placebo. Le nombre de Roms d’Europe centrale ayant choisi l’Europe occidentale pour destination finale est ridicule. Pour l’hexagone, 12000 âmes environ réparties sur 552 000 km2. Cela correspond à 26 barres HLM de 12 étages. Vingt-six barres qui ne semblent pas prêtes à rire de sitôt. Leurs défaiseurs d’obole n’apporteront pas la solution au chômage de masse, n’en déplaise aux collards à la peau de fakir et à leurs barbelés de lecture. Et si foutre les pieds dans le plat c’est pas beau, je ne sais faire que ce que je sais faire. Alors, les anciens élèves de Todor Jivkov et des Ceausescu ont traité leurs concitoyens roms comme des sous-hommes jusqu’à ce que l’homme reprenne le dessus et entrevoie son salut sous forme de belle histoire, celle d’une nation ayant rendu, à ce que l’on dit, son bien à l’Homme, autant qu’au Citoyen. En tant que ce que nous sommes censés incarner à leurs yeux, l’odieux sort que réservent quelques uns de nos frères à quelques autres de nos frères non seulement nous concerne, mais concerne la France avant toute autre nation. La France, bêlante de sa belle antériorité, serait en cela bien inspirée de donner le la aux nouvelles recrues de l’Orchestrange lennoneuropéen. On a toujours un peu honte de lâcher une fausse note à découvert. Marquons donc un soupir surplombé d’un point d’orgue, et montrons aux persécuteurs de Roms que leurs têtes de Turcs sont plus sociables qu’ils ne le sont eux-mêmes, démontrons-leur que leur problème rom est un leurre-problème, qu’il leur appartient au sens où il provient d’eux, et faisons en sorte qu’ils sachent qu’en UE un bouc émissaire tsigane ne mettra jamais plus ses pattes fendues dans le plat encéphale d’un vampire des carpettes! Il ne faudrait pas que demain se transforme en Iliade l’odyssée doublement millénaire de l’espace Schengen.
Le bas fond du rêve.
Il faut le citer pour le croire. C’est dans le « Nouvel Obs » qui est au PS ce que le Figaro est à l’UMP (un organe officiel indépendant). Et c’est signé de son rédacteur en chef Roland Jofrin.
« Le maintien indéfini de campements ou de squats insalubres menace la santé et la sécurité même de ceux qui y vivent, notamment les enfants et les personnes âgées. Il arrive un moment où les autorités doivent prendre leurs responsabilités, sauf à être accusées de non-assistance à personne en danger. »
« Non assistance à personne en danger »!!! C’est donc cela le changement.
Donc, si un jour vous voyez débarquer chez vous des CRS casqués, matraques à la ceinture, lacrymogènes en pendentif et autres Tasers sous le gilet… Please don’t worry! C’est pour votre santé.
La ratonnade pour non assistance à personne en danger, il fallait quand même l’inventer.
Les Roms viennent de Londres. Ce ne sont pas tout à fait des Européens. Leur endonyme fut adopté à Londres, en 1971, par l’Union romani internationale dans l’espoir d’unifier sous son appellation et ainsi protéger des menaces éventuelles dont une trentaine d’années auparavant elles avaient eu atrocement à souffrir, l’ensemble des populations issues de ce peuple venu d’Inde du Nord il y a huit cents ans, dont la littérature européenne abonde et en souligne via sa diversité l’indéniable uni)versali(té, des Gitans aux Tsiganes, Nouchs ou Manouches, Romanichels, Sinti et Bohémiens que certains d’entre nous ont été, et quelquefois demeurent. «Rrom» (homme accompli et marié au sein de la communauté) traduit un héritage ethnique et culturel commun à plusieurs communautés conscientes de leurs racines tout comme le mot «Juif», en Diaspora, inclut les traditions séfarades et ashkénazes après en avoir induit les sous-groupes dont un Pied-Noir et un Tunisien connaissent l’extensibilité. Les uns comme les autres n’oublient pas au moment où ils se retrouvent nez à nez ou se renvoient dos à dos qu’ils possèdent un petit quelque chose en partage. Le peuple rom possède ce trait de «personnalité» que dès l’Antiquité l’on reconnut au peuple juif d’être capable de s’éparpiller sans pour autant s’évaporer. Il mérite qu’on écarte de lui deux, trois malentendus dont l’accélération naturelle rendra impossible une contestation en bonne et due forme de la politique menée à son endroit. Les Roms de Roumanie sont-ils des citoyens roumains comme les Juifs de France sont des citoyens français ou bien doivent-ils être conçus et perçus tels que les Juifs l’étaient par les citoyens des États qui accueillaient jadis leurs lumières et leurs ombres avec plus ou moins d’agrément? La première proposition implique que l’on traite de la question des travailleurs roumains et bulgares sans lui coller à la peau une dimension discriminatoire qu’une régulation des déplacements de population ne comprendrait pas de l’intérieur de l’espace Schengen. Si quatre-vingt-dix mille hommes et femmes (par nation ueuénne) décidaient par le plus grand des hasards d’aller s’installer à Bucarest ou Sofia cet été, – je ne sache pas que l’inverse se produise; le modèle induit au principe, ici, la liberté, – aussi libre soit assurée la circulation des Européens sur leur propre continent, nul doute que leur sens de l’hospitalité en prendrait un coup. Quatre-vingt-dix mille Tsiganes roumains sont venus s’installer en Europe occidentale. L’UE a réagi au phénomène en prévoyant que, jusqu’en 2014, Roumains et Bulgares ne jouiraient pas du principe de libre circulation européen et qu’un titre de séjour et une autorisation de travail seraient désormais requis pour ceux de leurs ressortissants qui envisageraient de travailler légalement dans un pays de l’Union. Ainsi donc, en tant que Roumains ou Bulgares, des Roms en situation irrégulière ne peuvent pas être victimes de discrimination. Si maintenant les Roms devaient bénéficier d’un statut à part au sein des nations sédentaires d’Europe, le crime serait avéré, mais en bénéficient-ils? J’allais dire, peu importe, car la bulgarité d’un Tsigane ne lui enlève pas sa caractéristique principale, un mode de vie lié à une culture vive que la résistance aux persécutions n’a fait que raviver. La tsiganité du Rom ne change pas davantage quoi que ce soit au problème que représente une politique brutale de reconduite aux frontières du Manouche des autres, qui en l’espèce doit être assimilé à notre chère fraternité, citoyens-frères des Roms de France. La question centrale demeure donc, l’Europe souhaite-t-elle conserver une part de nomadisme? Si oui, tout reste à faire. Si l’on s’intéresse aux pays où les nomades croisent l’existence des sédentaires, les deux entités sociales y doivent vivre l’une avec l’autre en bonne intelligence. Leurs rencontres temporaires sont puissamment réglementées. Il n’y a pas plus métronomique qu’une caravane touareg. De plus, la venue d’un campement hétérotrophe sur un territoire autotrophié doit rapporter quelque chose aux deux parties mises en relation. Dans mon enfance, je me souviens de la sonnette du rémouleur les jours où son triporteur passait devant nos portes. Quelle place une économie mondialisée accorde-t-elle encore aux artisans et artistes roms? Et si vous me répondez : «aucune» (a majuscule et point final), j’y souscris en ajoutant ceci que la question est primordiale si l’on souhaite réellement harmoniser les relations entre indigènes et étrangers, qu’importe où ils se croisent. Voulons-nous que l’Autre par excellence dont les nations superposables sont l’expression ultime survive à la pulvérisation que lui prépare la face noire de la mondialisation, par le biais d’une hyperindividuation de la machine-humain? Quelles concessions sommes-nous prêts à faire en sorte qu’une culture puisse conserver sa place au sein de la culture mondiale? Que les dirigeants européens s’assoient autour d’une table et invitent auprès d’eux un chef de l’intra-État rom, puis que chacun voie ce qu’il a à apporter aux autres dans la situation critique à laquelle nous nous confrontons tous! Le nomadisme est une richesse incomparable en regard de la précarisation sociale à laquelle Homo sapiens est confronté depuis le tournant de ce troisième millénaire chrétien et néanmoins peu charitable. Le nomade est en cela un atout maître parmi la multitude des sédentaires terrifiés à l’idée que leurs existences puissent d’un instant à l’autre basculer dans la léproserie quart-mondiste. Tout sédentaire est un exilé potentiel. L’obligation de migrer en vue de subvenir à ses besoins vitaux concernera bientôt la totalité des habitants de la planète économique. Notre monde est en pleine mutation. Ne croyons pas qu’il mutera sans nous, et par instinct de conservation, montrons-nous capables d’attribuer la place qui leur reviendra aux citoyens du futur!
Je rature le barbarisme «ueu[énne]» dont je ne sais d’où il est sorti, et le remplace par le néologisme «ueusienne».
P.-S. : Je vois bien le risque de radicalisation communautaire que ma proposition laisse planer sur un continent dont chaque citoyen d’origine étrangère, quelle que soit la nationalité qu’il ait embrassée, pourrait très vite se mettre en tête de revendiquer à l’image des Roms, qui un intra-État belge, qui un intra-État turc, et ainsi de suite jusqu’à constituer une planète communautariste, régressive et fondamentaliste où chaque identité se verrait retirer par elle-même la liberté de se construire, ne sachant plus se concevoir qu’au travers d’une généalogie. Sauf que le sujet que j’aborde n’est pas celui de l’immigration sédentaire.