On meurt souvent en été.

Ce n’est pas moi qui le dis mais un dicton plein de sagesse populaire, de ce peuple qui va au bistrot avant de commencer sa journée de travail, vit « normalement » – au sens hollandien du terme – et commente le football et la politique accoudé au zinc comme on assiste à une pièce de théâtre en perpétuel renouvellement. De ce peuple qui se trompe peut-être à force de répéter ses adages comme autant d’absolues certitudes mais qui, en l’occurrence, avait raison. On meurt souvent en été répète le peuple qui lisait jadis le France-Soir de Lazareff par centaines de milliers (un million à la grande époque), souvenir désormais mythique et à jamais perdu : journal populaire par excellence, France-Soir, n’est plus. Il est mort au beau milieu de l’été quand personne n’a vraiment la tête aux actualités, tandis que la France pense aux vacances.

Lorsque le Tribunal de commerce de Paris prononce la liquidation du titre, lundi 23 juillet 2012, on voit apparaître dans la presse quelques brèves suivies de longs articles de décryptage. Unanime, le monde des medias salue ce confrère que l’on désosse tel un vieux paquebot (la marque, les locaux, le personnel) en guise de  funérailles. Pour autant, la nouvelle ne fait pas la Une des journaux car la mort de France-Soir était depuis longtemps attendue. Il ne s’agit pas d’une mort rapide mais plutôt d’une longue et pénible agonie. La nouvelle formule soutenue à grand renfort de millions dépensés sans vision n’avait, en effet, jamais trouvé son public. Pire, du courageux titre de presse lancé en 1944 par Pierre Lazareff, il ne restait récemment plus qu’un site Internet (encore en ligne) au design vieillot, dirigé par un Dominique de Montvalon en rupture avec l’actionnaire Pougatchev.

Finalement, lorsque les Français pleurent France-Soir, ils expriment surtout la nostalgie d’un temps où la presse était florissante et permettait d’influencer la société en même temps que de bâtir d’admirables fortunes. Cette époque est révolue. La France a changé de siècle et sa presse écrite subit désormais une profonde et violente crise. Vient alors le temps de la raison. Doit-on vraiment, comme la doxa semble nous l’imposer, pleurer la mort d’un titre qui s’est lui-même condamné à disparaître ? Peut-être pas… Car en 2012 et sans faire offense à l’équipe éditoriale du quotidien, France-Soir n’avait plus rien de l’esprit de la Resistance ni de celui de Joseph Kessel. Dans un climat d’hyper-concurrence et de défaite du print, l’accumulation de bourdes managériales se paie comptant. Les causes du naufrage de France-Soir sont claires : en vrac, une série de mauvaises décisions éditoriales et financières, de véritables non-sens stratégiques, sans oublier la perte d’un père fondateur qui laissera le navire France-Soir voguer sans véritable capitaine à la barre… Ajoutez à cela l’arrivée récente d’un jeune milliardaire russe aux idées marinistes faisant du quotidien son joujou. Le résultat ? Un titre qui ne sait plus parler à sa base historique de lecteurs mais surtout 75 millions d’euros injectés à fonds perdus (sans oublier l’équipe de journalistes, aujourd’hui à la dérive). Dans un ultime élan de reconquête, France-Soir avait bien essayé de retrouver ses lecteurs en engageant des figures aimées de la France populaire : Thierry Rolland, PPDA, Laurent Cabrol comme autant de transfuges-vieux loups de mer d’une première chaîne de télévision qui ne voulait plus de figures hautes en couleurs. Trop tard, le navire prenait déjà l’eau et tous pâtissaient de l’héritage de désastreuses plumes passées avant eux : Gilbert Collard, Jean-Marc Morandini et Alexandre Del Valle.

Ne nous y trompons pas : la perte d’un titre de presse constitue évidemment une tragédie. Seulement, lorsque l’équipage rivalise d’ingéniosité pour se saborder, on a du mal à pleurer le journal mort noyé.