« Je suis malheureux quand je n’écris pas ». François Bott n’est pas masochiste. Alors, il écrit. Il n’arrête pas. Le premier jet à la plume sur des petits carnets. Il note ce qui lui semble intéressant. «La matière première de ce que je vais écrire ». Ce qu’il appelle « faire un casting du réel ».

Guillotiné

Cet homme semble avoir tout lu. Une manière de Pic de la Mirandole des lettres, tout en simplicité, en élégance, en joie de vivre désenchantée. La bonhomie amusée d’un Bernard Frank, l’érudition fraternelle d’un Jean-Jacques Brochier, la curiosité malicieuse d’un Raphaël Sorin. Discuter deux heures avec François Bott, c’est repartir avec l’étrange impression qu’on vient de se taper la lecture d’une cinquantaine de romans, qu’on a partagé la table avec Larbaud, Nimier, Blondin et Vailland. On se régale. Et Bott possède une autre qualité et pas des moindres: il est picard. Il se souvient de Vorges, près de Laon, de la dureté des mœurs des habitants, une petite maison au sol en terre battue où vit une famille avec sept enfants. Des parties de foot dans les champs. Un fait divers l’a marqué. Un bouvier de 23 ans, de Vorges qui, le 7 avril 1947, blesse d’un coup de fusil au genou un fermier de 40 ans, fermier, avant de l’assommer à coups de crosse (le handicapant à 100%), puis blesse grièvement son épouse de 38 ans, de trois coups de serpe dans la tête. Surpris par leur fillette de 5 ans, il la tue à coups de serpe «ne voulant pas faire d’elle une orpheline», avant de fouiller la maison et d’empocher 1500francs. Le bouvier prétend avoir voulu se venger du couple qui aurait refusé de lui vendre des œufs durant la guerre. Il sera guillotiné le 13octobre1948. Le futur journaliste est impressionné. Il se souvient de tout. De Laon, de Montcornet où réside un de ses oncles, blessé de 14-18, qui a vécu 40 ans dans un fauteuil. De Reims où il vit jusqu’en 1952. François Bott est un élève brillant qui doit beaucoup à M.Masson, son professeur de lettres qui lui donna le goût de la poésie et de la littérature. À chaque bonne note, on lui offre un livre. Il dévore les bouquins : Malraux (La condition humaine), Dumas (Les Trois Mousquetaires), Camus (L’Étranger), Sartre (« Mon maître à penser ; je connaissais par cœur L’être et le néant »). Prévert, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud… Un beau jour, un de ses cousins lui fait découvrir Drôle de Jeu et Les mauvais coups, d’un certain Roger Vailland. Coup de foudre. Il lit tout.En1963, devenu journaliste, Jacques Lanzmann, rédacteur en chef de Lui, lui confie une interview de Vailland. « Il me reçoit gentiment, touché par le fait que je connaisse tous ses livres.Il me reconnaissait un peu comme son fils.Une rencontre magnifique ». François Bott restera proche de Vailland jusqu’à sa mort, et sera également un proche d’Élisabeth Vailland, l’épouse du grand romancier. Son autre père littéraire, c’est Cioran. Il se souvient des soirées chez lui, au 21 de la rue de l’Odéon; au début des seventies. Bott loue le style net de Cioran. « C’était l’héritier de La Rochefoucauld, de Chamfort… Chez lui, on écoutait du fado.Il était farceur…». Brillant élève oui. Bac littéraire en1951, au lycée de Reims, deuxième bac à Janson de Sailly (comme Déon) avec Labro et Dabadie. Hypokhâgne à Henri IV, abandonne khâgne à mi-chemin car trop absorbé par la confection d’une revue littéraire et politique: Exigence, assez PSU et contre la guerre d’Algérie. En1958, il travaille comme journaliste à France-Soir, celui de Lazareff, fait du rewriting pour Jeune Afrique (où il fait la connaissance de Roger Grenier et Françoise Giroud), puis il se retrouve aux pages littéraires de L’Express en compagnie de Michèle Cotta. Et il décide de fonder un vrai magazine littéraire qui sera baptisé… Le Magazine Littéraire. Il fera quelque temps plus tard, la connaissance de Jacqueline Piattier alors qu’il vient de publier son livre sur Roger Vailland. « Je ferais une double page dans Le Monde ; ça plaira et je resterai 28 ans d’abord comme sous-chef de service, puis comme chef de service.» Lorsqu’il quitte la rédaction du quotidien du soir, il y assurera la chronique d’histoire littéraire pendant cinq ans. Ensuite, il se consacrera à l’écriture de nombreux livres dans des genres divers (essais, romans, chroniques, etc.).Avec une gourmandise rare: «Écrire, c’est éprouver le plaisir, la magie de refaire le monde avec des mots. C’est redistribuer les cartes», sourit-il en rallumant sa pipe.

« Nostalgiques de l’amour que nous n’avions pas connu »

François Bott se souvient des dimanches qu’il passait au Stade de Reims (celui de la grande époque: Kopa, Fontaine, Jonquet, etc.), en compagnie de son père, passionné de football, médecin, adjoint au maire, chargé des sports, membre de la SFIO. Après le match, ils se rendent au cinéma L’Accin voir des Laurel et Hardy. Il se souvient aussi de ses vacances de septembre passées chez sa grand-mère, à Vorges, près de Laon. « Ma mère nous préparait des macaronis au gratin. J’avais très peur de l’automne. Le froid venait. À Reims, il faisait plus froid qu’à Paris ». À partir de mai, il rêve de Deauville car son grand-père corse, conservateur des hypothèques à Pont-Lévêque, y possédait une immense villa. « Quatre frères, trois cousines germaines et un cousin germain: les plus belles vacances de ma vie ! » (Il raconte cela dans son livre Les étés de ma vie, paru chez L’Arpenteur-Gallimard.) « Nous avions deux pièces en bas que l’on avait transformées en boîte de nuit. C’était en 1947. Robic venait de gagner le Tour de France. On était complètement fauchés. Ma mère disait : « Du moment que vous avez la culture, vous avez tout! » Quand il faisait mauvais, à Deauville, dans le grand salon, des jeunes filles mélancoliques écoutaient du jazz. On buvait du calva, nostalgiques de l’amour que nous n’avions pas connu. »

Bio express

* 26 juin 1935 : naissance à Laon (Aisne), rue du 13-0ctobre, dans l’ancienne Maison des impôts.
* 1958 : entre à France-Soir.
* 16 avril 1959 : se marie avec Danièle, à la mairie du XVe.
* 26 octobre 1959 : naissance de son fils Olivier.
* 11 novembre 1962 : naissance de sa fille Florence
* Février 1968 : entre au Monde comme chef-adjoint de Jacqueline Piattier ; il lui succède début 1981.
* 1969 : sort son livre Les Saisons de Roger Vailland chez Grasset.
* 11 janvier 2003 : naissance de Jules, son petit-fils.
* ? : la date de sa mort qu’il dit ne point connaître.

Article paru dans le Courrier picard le 11 décembre 2011