C’était un matin de ce sale hiver. J’étais seul dans la maison, bien sûr. La machine à café, manière de boniche sans état d’âme, s’adonnait à sa tâche préférée en laissant échapper un ronronnement rassurant. Je jetai un coup d’oeil vers la baie vitrée de la véranda, et les aperçus. Un couple de tourterelles, sur la rambarde de la terrasse. Ils étaient mignons, se donnaient des coups becs brefs mais tendres qui n’étaient autres que des baisers. « Un amour en hiver. Ca existe encore, ça? » songeai-je tandis que Bébert, le matou qui partage mon existence, filait entre mes jambes pour aller, à son tour, contempler le spectacle. Je l’observais. Il avait des petits yeux sournois, un regard torve. Pas celui, féroce, brûlant, impulsif de l’instinct. Il regardait ce petit couple plumé avec une concupiscence malsaine qui ne laissait rien présager de bon. Se sentit-il observé par mes soins? Il sembla tout à coup mal à l’aise, et courut dans le salon pour se prélasser sur le divan.

Ce fut trois jours plus tard qu’il me ramena, coincé dans sa gueule, l’un des deux amoureux. Le mâle? La femelle? Je ne le saurai jamais. Sur la terrasse, les plumes volaient. C’était joli. Comme des flocons. Bébért plumait sa volaille, fier de me montrer sa proie. Un peu de sang coulait sur bec de la victime. Il s’écoulait doucement sur le dallage comme les larmes d’un type résigné au malheur. Aucun flux de colère; aucun flot. Plus de marée. Un écoulement de peine, de sang, paisible. Comme un écoulement nasal, comme la diarrhée lente d’un être qui se vide de sa vie de merde. Mais l’amoureux (se?) à plumes, il n’avait rien demandé. Cet écoulement, il ne l’avait pas souhaité.
− Fumier de Bébert! laissai-je échapper tout en hésitant à lui reprendre sa proie.
Je réfléchis, n’en fis rien, le regardait opérer, mon adorable commis boucher. Il attaquait une aile. Un muscle minuscule, couleur de marbre rose, saillait sous la neige comme le crâne de Marylou sous les coups de l’extincteur d’incendie.
Je retournais à mes lectures, à mon Tranxène, mon Prozac. Le lendemain matin, il pleuvait. Une pluie grise et gluante comme le foutre d’un dépressif. Le duvet collait à la terrasse. Je ramassais l’amoureux (euse?) et le jetai dans le bac à compost en pensant à Lavoisier. Rien ne se perd, rien se crée, tout finit par crever. Par crever.
Je profitai de l’embellie du lendemain pour me munir d’un balai, d’un seau et de lessive Saint-Marc et nettoyai la terrasse à grande eau. Ce fut à ce moment-là que l’autre, l’amoureux épargné, se posa sur la rambarde. Il devait chercher son conjoint.

***

Elle vint me dire bonjour le lendemain, juste pour voir si je vivais toujours.
− Je n’ai pas le temps de rester, dit-elle. J’ai du travail.
Et elle me félicita d’avoir si bien nettoyé la terrasse. Bébert, affalé sur le divan, regardait son ex-maîtresse d’un oeil sournois. Il devait se demander si je l’avais balancé. Et moi, je pensais aux duvets de la petite victime. Et aux plumes des boas de mon artiste, ma grande didiche qui s’était fait la malle et qui venait voir si le Tranxène ne m’avait pas encore chopé sur la rambarde de mon existence de merde.
− Fumier de Bébert!

Amiens, mercredi 29 février 2012.