« Avec la plus grande énergie ». L’expression, relayée par la presse, est extraite du discours que François Hollande a prononcé aujourd’hui à l’issue de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. Le contexte est celui de la lutte contre l’antisémitisme. C’est de cette lutte que François Hollande affirme qu’elle sera conduite « avec la plus grande énergie ». Par la bouche de son président, c’est la France personnifiée qui s’y engage. François Hollande est libre de ses mots. Le superlatif « la plus grande », il ne l’ignore pas, pèse aussi le plus lourd. La rafle aujourd’hui commémorée mobilisa elle aussi l’énergie conjointe et considérable de la police et de la gendarmerie française. « La plus grande énergie » ne peut donc signifier que cela : si grandes que soient les forces que parviendrait à rallier l’antisémitisme dans ce pays, il lui sera opposé une force encore plus grande. La formule se veut-elle rassurante ? Elle l’est, sans l’ombre d’un doute. Elle l’est un peu moins pour qui s’arrachant à la solennité du moment, expose son oreille à tous les vents.
Il y a un mois et demi seulement, le philosophe Michel Onfray faisait paraître dans le Point un article de plusieurs pages intitulé « Jean Soler, l’homme qui a déclaré la guerre aux monothéismes ». Moitié recension d’un livre, moitié exercice d’admiration de son auteur, Michel Onfray s’y inscrit en faux contre « l’accusation d’antisémitisme qui accueille le plus souvent ses recherches (celles de Jean Soler) », prenant soin d’ajouter : « Elle est l’insulte la plus efficace pour discréditer le travail d’une vie, et l’être même d’un homme ». En filigrane de cette déclaration, se profile une question redoutable : le mot « antisémitisme » renvoie-t-il dans la France d’aujourd’hui à quelque chose de réel ou n’est-il plus, pour l’essentiel, qu’une vulgaire et blessante « insulte » ? De la réponse à cette question dépend le sens qu’il convient de prêter aux déclarations de François Hollande.
Si l’antisémitisme est une réalité ou a une réalité, l’engagement du président conserve toute sa gravité et sa grandeur. Si en revanche il apparaît que l’antisémitisme a peu ou prou disparu, et que ce qu’on appelle parfois sa résurgence ne procède que d’une série d’abus de langage, il nous incombera de regarder la formule de François Hollande comme une simple politesse de circonstance. Mais pour pouvoir répondre à cette question, il faut d’abord en poser une autre. Cette question est : qu’est-ce que l’antisémitisme ?
L’antisémitisme est en vérité d’abord une catégorie discursive. Avant les crachats, les coups, voire les balles, le gaz, l’antisémitisme est une certaine manière de parler mal des Juifs, d’en parler le plus mal possible. Attirer sur les Juifs la quantité de haine la plus grande possible, c’est la fin que l’antisémite se pose. De la réalisation de cette fin, dépend son propre salut – quoi de plus normal en effet que de haïr ceux qui sont haïssables. Tout le reste – moyen en vue de cette fin – est justifié par avance. Or, il faut se rendre à l’évidence. Dans son article du Point, Michel Onfray dit du mal des Juifs. Il ne se contente pas d’en dire du mal. Il recourt, pour ce faire, à un stratagème particulièrement odieux, à savoir colporter des contre-vérités en les faisant passer pour des vérités dérangeantes. Michel Onfray écrit par exemple que dans la religion des Juifs, « l’amour du prochain ne concerne que le semblable, l’Hébreu, pour les autres, la mise à mort est même conseillée ». Cette affirmation est fausse. La loi biblique, relayée par la casuistique rabbinique, préconise en effet – ou du moins prévoit en certaines circonstances et sous certaines conditions dont il m’est impossible de restituer ici la teneur – la mise à mort de l’idolâtre. A quoi il faut, par souci de la vérité, ajouter deux choses. La première est que le terme « idolâtre » n’a rien à voir avec la distinction entre Juifs et non Juifs ou entre Hébreux et nations du monde. Un individu juif par la naissance peut être convaincu d’idolâtrie comme inversement, le fait d’être né en dehors de la communauté d’Israël ne prescrit en aucune façon le statut d’idolâtre. La seconde est que la tradition rabbinique a très tôt statué sur l’inapplicabilité de telles lois. Il y a une troisième chose à dire, qui excède ce point précis, qui vaut pour la Bible en général, et c’est que – pour reprendre les mots qu’un de ses plus éminents commentateurs appliquait à l’œuvre de Nietzche – « elle contient tout et le contraire de tout ». Il y a donc quelque malhonnêteté à feindre qu’elle est un obscur monument d’intransigeance en laissant dans l’ombre son versant éclairé.
Michel Onfray, citant Jean Soler sans marquer la moindre réserve, écrit également ceci : « Le nazisme dans Mein Kampf est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu ». Au prisme d’une telle thèse, la rafle du Vel d’Hiv apparaît tout au plus comme une histoire de famille particulièrement macabre. Non tant comme « un crime commis en France par la France » – selon les termes de François Hollande – que comme un crime inspiré par le « modèle hébraïque » et dont, par une cruelle ironie de l’Histoire, furent victimes les tenants de ce modèle. Je souhaite citer pour conclure un dernier extrait de l’article de Michel Onfray :
« Toujours selon Jean Soler, le monothéisme devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui. »
Je ne soupçonne François Hollande d’aucune espèce de duplicité. Je me sens néanmoins tenu de lui dire qu’aussi longtemps que de tels propos pourront paraître dans un journal à grand tirage sans encourir la moindre sanction, je crains que « la plus grande énergie » ne soit pas en France du côté où il le prétend.
en réponse à votre article, il est une évidence, celle que lorsque on est juif et qu’on lit onfray et soler ,
on ne peut qu’être étonné et inquiet
ma sensibilité n’est pas forcement la même qu’un non juif , qui va pouvoir réfléchir aux idées émises, sans bases de connaissance sur le sujet, et qui ne va pas avoir ce frémissement , ou ce malaise , en sentant cet antisémitisme, quel autre mot? sans vergogne , affirmé dans ces propos
alors Onfray , mutin de Panurge (sic) des salons où pour briller , il faut blesser, l’Autre
J’ajoute une précision concernant la «mise à mort de l’idolâtre» préconisée par la Tora. Cette prescription ne vise que les B’nei Israël. L’idolâtre en leur sein transgresse le premier grand commandement. À ce titre, souvenons-nous des acrobaties juridiques opérées par le Sanhédrin afin que soient contournées les lois ordonnant l’exécution de la peine capitale, dont Rabbi Tarphon et Rabbi Akiva allèrent jusqu’à confier leur opposition de principe à son application… Si les Hébreux s’étaient lancés dans une guerre d’extermination des nations, la Tora eût pu en effet devenir le Livre de chevet d’Adolf Hitler. Mis à part la guerre de conquête des terres du futur royaume de David à laquelle toute guerre fondatrice d’une nation, celle de Clovis comprise, n’avait eu jusque-là ou n’aurait par la suite rien à envier, les guerres des Juifs seront toujours des guerres intertribales, avant et pendant le premier temple, ou même intersectaires, lesquelles précéderont et aux dires de Flavius Josèphe, débuteront de l’intérieur la destruction du deuxième, la plupart vécues comme des guerres de résistance à des états de collaboration, et enfin et surtout, défensives, contre les Amalécites, contre les Babyloniens, contre les Séleucides, contre les Romains.
Il y a évidemment un langage d’un autre temps, des images d’un autre temps liées à des situations d’un autre temps, mais c’est le fond de la pensée qu’il m’est sommé d’atteindre, alors je me risque à creuser, au cas où cela vaudrait le coup. Par exemple, si Sedôm disparaît dans les flammes, ce n’est pas à cause de son idolâtrie, mais en raison de son inclination au mal. Ce n’est pas davantage pour ses pratiques sexuelles mais pour la façon dont ses hommes sont prêts à en soumettre d’autres sous la menace aux pulsions qui les tenaillent.
«Où sont les hommes qui sont venus vers toi cette nuit?
Fais-les sortir vers nous : pénétrons-les! (Genèse 19, 5)»
Comment Loth donnerait-il ces étrangers, dont il doit ignorer jusqu’au bout qu’ils sont des anges qui le mettent à l’épreuve afin que la passage de l’épreuve ait bien lieu, à tous les Sedômim venus entourer sa maison? Il leur propose en échange ses deux filles vierges. Cela sous-entend-il que son aversion pour l’homosexualité est telle qu’il préfère sacrifier la chair de sa chair plutôt que se faire le complice d’une telle abomination, ou bien plutôt, que le Dieu unique impose à ses serviteurs de se sacrifier eux-mêmes dans le cas où ces derniers seraient soumis au dilemme ultime, lorsque le crime, ce dernier causant du tort à l’âme et mettant l’existence de celle-ci en péril au-delà du concevable, serait seul à même d’épargner leur vie terrestre? Sedôm est punie pour ses péchés, non pour avoir transgressé les lois toraniques mais pour avoir méprisé les lois noachides pratiquées par l’ensemble des hommes postdiluviens. Quand d’autres parashot rapportent des appels guerriers lancés à l’encontre d’ennemis qualifiés d’«idolâtres», l’idolâtrie de ces derniers est mentionnée pour les identifier, en aucun cas dans le souci de justifier par cela qu’on les passe par le fil de l’épée. Si tel était le cas, Èstér aurait assassiné le grand roi, son époux.