Voici cinquante ans, le 31 mai 1962, Eichmann fut pendu dans une prison de Tel-Aviv. Il fut donc stricto sensu le seul condamné à mort en Israël, même si la réalité du conflit israélo-palestinien relativise cette unique condamnation à la peine capitale.
Claude Klein, ancien doyen de la Faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem signe avec Le cas Eichmann vu de Jérusalem un ouvrage majeur. Beaucoup de livres furent écrits sur ce procès historique y compris en Israël avec l’ouvrage de Haïm Gouri, Devant la cage de verre.
Il est curieux de constater combien peu de procès furent à l’époque autant décriés non pas simplement par Hannah Arendt mais aussi par des Israéliens. Roger Errera parla dans la revue Critique d’un « procès inachevé ». La plupart des historiens regrettèrent qu’un procès international n’ait pu avoir lieu, qui aurait lavé les Israéliens de l’ambiguïté d’être à la fois juge et partie. L’une des plus graves questions que pose cette remarquable étude menée par Claude Klein est de savoir si oui ou non il y eut de la part d’Eichmann une haine spécifique contre les juifs ou si sa haine contre eux aurait pu viser n’importe quel autre peuple sans différence ? On comprend la problématique sous-jacente. On sait d’ailleurs qu’à partir de l’automne 1944, les Tziganes furent dirigés sur Birkenau pour y être également exterminés. Même s’il ne partage pas sa vision des choses et en particulier sa condamnation sans merci des conseils juifs (Judenräte) constitués à la demande des nazis pour effectuer les horribles besognes d’établir (un temps seulement) les listes des déportables, Claude Klein nuance les critiques souvent injustes à l’encontre d’Arendt. Il dissèque à vrai dire les actes du procès, depuis les paroles du président (Moshe Landau), de l’accusation (procureur Gideon Hausner), de la défense (Me Servatius), jusqu’à certains témoins phares. Si l’avocat fut allemand, tous les personnages capitaux du procès parlaient parfaitement l’allemand, à tel point qu’il arriva que Gideon Hausner parla parfois à l’accusé dans sa langue, sans penser que cela pouvait choquer.

Les pages sur le contre-interrogatoire entre l’attorney général (procureur) Hausner, qui manquait de charisme, et Eichmann sont non seulement centrales mais constituent aussi l’antithèse d’Hannah Arendt, qui n’assista pas à la joute. Les témoins furent tous saisis par la dialectique d’Eichmann, depuis Kessel jusqu’à Poliakov, qui fit remarquer combien la fourberie dialectique du nazi « fit ressortir, en mainte occasion, la perversité de son caractère ».

Puis Claude Klein analyse le caractère capital du procès de celui qui fut l’organisateur de la « solution finale » en Europe puis tout particulièrement en Hongrie à partir du printemps 1944. L’extermination des Juifs, dès 1942, est constitutive du rôle déterminant d’Eichmann, qui ne fut pas le falot, le pourvoyeur accidentel de ce qu’Hannah Arendt nomma « la banalité du mal », mais le pourvoyeur des camps de la mort nazis.

De lui, on peut dire qu’il fut « criminel envers l’humanité », pour reprendre la sentence quelque peu énorme que Robespierre lançait contre Louis XVI à la Convention, le 3 décembre 1792 et que cite en guise d’exposition à sa problématique Claude Klein.

Ce procès du chef nazi fut aussi premier, car depuis lors quel peuple massacré put juger à lui seul les criminels poursuivis pour génocide et pour crime contre l’humanité ? Après les Israéliens, seuls les Khmers purent juger leurs plus grands criminels avec cette particularité plus incroyable, c’est qu’ils étaient du même peuple qu’eux. Et parmi les rares responsables qu’ils jugèrent, seul Douch (ou Duch) écopa d’une peine à perpétuité.

En conclusion, Claude Klein s’interroge sur la valeur historique et philosophique du procès Eichmann dans une logique d’internationalisation du jugement à la fois des crimes de guerre et contre l’humanité au regard de l’instauration du Tribunal Pénal International, successeur de celui de Nuremberg. Puis le juriste de se demander si des dirigeants israéliens, lors d’un voyage officiel, ne pourraient pas un jour se trouver dans une situation de mise en accusation en raison de poursuites dont ils sont l’objet dans plusieurs pays ?

Les enjeux du livre de Claude Klein sont, on le voit, sont majeurs et d’une brûlante actualité.
L. Poliakov, Le Procès de Jérusalem, Paris, Calmann-Lévy, 1963, p. 88.