Depuis longtemps, je lis toutes les autobiographies qui tombent dans ma boîte aux lettres. Certaines à peine décryptées tombent illico dans ma poubelle. L’art de parler de soi sans assommer le lecteur avec son ego en or massif n’incite qu’à une seule règle : avoir du style et le talent du conteur. Sans doute, tels des enfants fiévreux attendant Morphée au fond du lit, nous aimons lorsque la nuit tombe, qu’une personne aimée nous fasse la lecture d’une voix douce et apaisante.

J’aime les histoires vraies. Je les trouve mille fois plus imaginaires et plus passionnantes que les romans. La vie des hommes est un filon inépuisable pour les auteurs, les scénaristes et donc pour les « grands films ».

Ne nous étonnons pas que le cinéma puise largement son inspiration dans le biopic (Biographical motion true Picture), pour sacraliser les aventures humaines et mettre en fusion le témoignage et la fiction : c’est le cas de Papillon, Bird, La Liste de Schindler, Lovelace, Lawrence d’Arabie, Amadeus, Titanic, Ray (Charles), JFK, Aviator, Tucker, Un Homme d’Exception, Catch Me If You Can, Van Gogh, Thérèse, etc…

Hélas, le cinéma comme l’autobiographie littéraire verse dans les mêmes défauts : la vanité mythomane ou la glorification du moi, celle du personnage statufié en héros et en légende immaculée. À cet exercice de l’éloge gratifiant, Sacha Guitry lui a donné un titre universel et définitif : Les Mémoires d’Un Tricheur.

Moi, j’aime les défauts de mes semblables. J’aime quand ça suinte le linge sale, les pansements infectés et les auréoles sous les chemises. Les premiers de la classe, les éphèbes conquérants, les divas sanctifiées et les figures des destins historiques me pulsent dans les sphères intergalactiques de l’ennui édulcoré.

J’ai tenté les bios de Bob Dylan et de Joan Baez jusqu’à la cinquantième page et j’ai arrêté : j’avais l’impression de lire du thé.

Je me souviens avec jubilation des mémoires d’Errol Flynn (My wicked, wicked days), de Keith Richards et celle, plus récente de Françoise Hardy, remarquablement écrite et racontée. Avec des scènes d’anthologie et un regard sur soi ni complaisant, ni à charge. Deux bios, plus légères mais néanmoins pertinentes et valeureuses car rédigées par des hommes de plume et d’esprit : celles de Jean-Marie Périer (Enfant Gâté et Oncle Dan) et Thierry Ardisson (Confession d’un baby-boomer).

Heureux hasard car ils sont les deux enfants illégitimes de Daniel Filipacchi, notre sujet d’aujourd’hui :

Voilà un homme rare que j’eusse aimé fréquenter et écouter. Quitte à sacrifier et à échanger – pour cette rencontre – les 10.000 personnes à qui j’ai serré la main depuis mon enfance et qui ne m’otn rien appris (à part Truffaut, Liza Minelli, Brialy et quelques autres).

Dans notre époque rutilante, empressée, largement commentée et dénuée de pudeur, rare est le silence, invisible est la discrétion, coupable est la non-autopromotion.

Puisque tout le monde parle, écrit (même moi), chante, danse, se raconte, s’interviewe, bavasse à la télé, chronique, brille sous les projecteurs, se iPhone, se iPad, se filme, se Tweete, se Facebook, se YouTube et se My Space, nous voilà strangulés dans les filets poisseux de la culture du néant-numérique, du néon-médiatique en surchauffe et du grand vide contemporain. Le temps qui reste, nous le passons à faire le tri ; et ces heures précieuses, nous sont décomptées sur notre présent, donc sur notre avenir puisqu’il se rétrécit.

Daniel Filipacchi, donc. Ex-paparazzi, ex-couteau suisse (homme à tout faire chez Match), ex animateur radio et ex … de femmes, belles, improbables, sévères, tendres, idiotes, fondantes, culottées (ou déc…) mais délicieusement indispensables.

D’abord, la photo de couv’ sous le titre « Ceci n’est pas une autobiographie » ; on découvre le beau visage d’un gamin facétieux, aimé et aimant, curieux et insolent.

1928 : Daniel est né la même année que Gainsbourg, Jeanne Moreau, Stanley Kubrick, Roger Vadim ou Andy Warhol.

Dan a eu la chance d’être élevé par des parents intelligents, tolérants et spirituels au cœur d’une époque qui l’était moins, les années trente. Une première guerre sanguinolente venait de se terminer et une seconde encore plus funeste s’annonçait.

Mais Filipacchi grandit vite et bien (j’aime cet accéléré biographique) définissant à chaque décade 1950, 60, 70 (Dan déteste le mot décennie) les angles magiques et soyeux de son quadrilatère idéal : le jazz, les femmes, les affaires et l’art contemporain.

Comme ses prestigieux artistes, cités ci-dessus, il est insatiable sur les rencontres, les voyages, les défis, et l’évolution d’un monde toujours en marche et en rupture opportuniste.

Comble de l’élégance et de la bienveillance, Dan ne s’offusque jamais quand une nouvelle génération pointe son nez. Au contraire, il la pousse et l’encourage, l’air de rien car l’empathie est naturelle et l’espèce humaine souvent prévisible (et son contraire).

Il a un flair de chasseur de truffes, détectant autant les âmes pépites (fleuron de ses entreprises) que les nuisibles toxiques qui cherchent l’adoubement ou, pis encore l’amitié floutée. Son indépendance ne sera jamais négociable.

Lui, le musicologue encyclopédique, ethnologue des clubs de Harlem, des dancings de Chicago ou des Minstrel Shows de la Nouvelle Orléans, passe des harmonies complexes et inspirées des ténors du jazz aux jeunes loups impatients et maladroits du rock n’roll sans jamais dénigrer la fébrilité basique de leurs trois accords (mi la si).

Quand il invite Johnny, alors âgé de dix-sept ans, à Europe 1, Daniel comprend de suite et sans condescendance l’avidité débridée et conquérante de cette génération imprégnée du rêve américain. Pour les photographier sous toutes leurs coutures, il missionne le minot Jean-Marie Périer qui a le même âge et les mêmes envies. Grace à lui et ses mémorables clichés, l’âge d’or des yéyés et de la pop ne quittera jamais son adolescence infinie. Et Daniel n’est jamais loin : il aime les filles au charmant minois qui chantent bien mais qui doutent de leurs vingt ans. Sylvie Vartan, Sheila et France Gall, bien avant qu’elle ne croise Michel Berger.

Daniel est un voyageur qui ne s’arrête jamais. Quand l’endroit lui plaît, il achète une maison, y installe sa nouvelle fiancée, puis s’en débarrasse contre un Magritte ou deux Fernand Léger (la maison, pas la demoiselle !)

À bord du paquebot l’Île-de-France, en vogue vers New York, il invente l’histoire d’amour de Titanic, entre Rose et Jack, bien avant James Cameron. Daniel tombe amoureux de Mariana Hadzopulos, une splendide Aphrodite de 19 ans, autant héritière que les rivaux Niarchos et Onassis. La pauvre petite fille riche est embarquée par le vilain Dan, dans les sous-sols poisseux du navire, des seconde classes jusqu’aux soutes, pour une sarabande effrénée. À ses trousses, le papa vindicatif et ses sbires, recherchent un certain « Philip Paqui ».

L’homme raconte bien sur 433 pages mais ne dit pas tout. Ses amitiés secrètes avec le chanteur Christophe. Il clôt brusquement des chapitres dont l’éditeur a dû tenter d’annoter d’un marqueur feutre rouge: « Intéressant ! Pouvez-vous développer ? »

Non. Daniel Filipacchi ne développe que lui-même et ses longues jambes car un autre continent l’attend et s’ennuie sans lui.

Moi, j’espère un tome Deux. Dan a conclu son histoire par un (À suivre)… Tiendra-t-il parole ? Il est probable que ce second opus se titre : Ceci N’est Pas La Suite.

Daniel Filipacchi, Ceci n’est pas une autobiographie, XO Editions, 448 pages, 20 euros, ISBN : 978-2845635630