Et voilà que de nombreux regards se portent aujourd’hui sur Marine Le Pen. Son discours ferme sur la sécurité, sa dénonciation de l’islam radical et de l’effacement de la République, son opposition à la dilution de la souveraineté nationale, ont un écho réel dans le pays mais aussi dans un certain électorat juif.
Compte tenu des naïvetés passées et pour éviter de mordre trop facilement à de nouveaux hameçons, il n’est pas superflu d’examiner plus précisément où se situe réellement Marine Le Pen sur les sujets qui préoccupent souvent l’électorat juif.
Sous la direction de Marine Le Pen, le Front National a-t-il rompu avec sa tradition antisémite ? S’oppose-t-elle réellement à l’islamisation antisémite de la France, illustrée par l’émergence d’un Mohamed Merah ? Est-elle prête à affranchir la relation entre la France et Israël des biais pro arabes issus du gaullisme ? Et au-delà des déclarations conjoncturelles, les desseins à long terme de Marine Le Pen sont-ils conformes aux vœux de beaucoup d’électeurs juifs pour la démocratie française ?
Dédiabolisation ou « délepénisation » ?

Dès son élection à la présidence du FN en janvier 2011, Marine Le Pen mettait en tête de ses priorités la « dédiabolisation », la normalisation de sa formation, seule issue pour étendre le périmètre de ses alliés traditionnels. Elle dû mettre de l’eau dans le vin du FN, modérer le ton des déclarations, arrondir son vocabulaire et argumenter un peu plutôt que vitupérer.
Sur le fond, pour coller à l’air du temps, les positions du FN se firent avec elle, moins tranchées sur l’avortement et l’homosexualité. Mais Marine Le Pen devait surtout convaincre qu’elle mettait un point final au racisme, la marque de fabrique de son parti. Comme directrice de campagne de son père pour les présidentielles de 2007, elle avait fait confectionner un jeu d’affiches illustrant la diversité des électeurs potentiels du FN. L’une d’entre elles représentait une jeune maghrébine. Mais sa démarcation soigneusement contrôlée du discours de son père sur la Shoah allait être plus décisive. Elle refusa par exemple que les chambres à gaz aient été un « point de détail », déclarant même au Monde : «Le nazisme fut une abomination. Il m’arrive de regretter de ne pas être née à cette période, pour avoir pu le combattre».
Le passage de la parole à l’acte se résuma à l’exclusion de quelques militants coupables de déclarations antisémites, de fréquentations compromettantes, ou photographiés le bras tendu dans le salut nazi. Il y eut aussi une poignée de mains à un ambassadeur israélien, une tentative de voyage dans l’État hébreu et quelques perches tendues aux Juifs français.

Tout ce qu’il y a de cosmétique, de minimal, et de formel dans le tournant de la fille du fondateur du FN, saute aux yeux. La composition des cercles dirigeants du FN depuis les débuts et le style de la « percée » qui en a fait un parti redouté, sont des données lourdes et accablantes. Jean-Marie Le Pen a bâti la notoriété de sa formation et cimenté ses rangs en moquant, niant, et ridiculisant sans répit l’indicible douleur de l’histoire récente des Juifs. Il a été l’éditeur des chants et des discours nazis bien des années après leur défaite. Il a soutenu toutes les expressions du négationnisme.

Comment quelques déclarations d’apaisement ou sourdement flatteuses pourraient-elles masquer que la « dédiabolisation » n’est qu’une tactique et qu’un vrai changement aurait exigé en lieu et place une « délepénisation »? Une authentique délepénisation devrait amener le FN à rédiger des études sur l’antisémitisme et le racisme dans sa propre doctrine et ses déclarations, à retirer ses responsables impliqués dans cette infamie, et à soumettre systématiquement ses nouveaux membres à des sessions de formation à l’histoire du judaïsme et de l’antisémitisme français.

Nous en sommes très loin, d’autant que le naturel revient au galop et que les gens de confiance sont trop rares pour que l’on renonce aux vieilles complicités.
D’abord il y a le style. Marine Le Pen reste fidèle à ce goût du décalage sémantique que l’extrême droite a hérité du nazisme. Elle parle de « mondialisme », elle dénonce les « banksters » anglo-saxons de la finance, elle fustige Mme Lagarde, « l’Américaine à passeport français ». Il faut dire qu’Éric Besson en disait autant de Sarkozy avant son départ du PS. On comprend que deux petites semaines après son élection à la tête du FN, Marine Le Pen ait adoré le bal des Burschenschaften, le jour anniversaire de la Shoah. Elle était en compagnie du chef du FPÖ, ce carrefour de l’extrême droite autrichienne, des antisémites et des nostalgiques du nazisme. Elle profitait de l’occasion pour inaugurer son mandat de présidente du FN, en rencontrant à Vienne les frères de toujours de son parti, les dirigeants de plusieurs formations de l’extrême droite européenne ?
Elle était dans la marmite où elle est née, dans le milieu de vie où elle a grandi. Le responsable d’une bonne partie de la communication du FN et l’un de ses conseillers de l’ombre, est un certain Frédéric Châtillon, ancien président/fondateur du GUD, le mouvement étudiant d’extrême droite. Ce leader de la droite française la plus radicale est un très ancien ami du général syrien Tlass évoqué plus haut, le bras droit sanguinaire de Hafez el- Assad qui a maté la ville de Hama au prix de dizaines de milliers de mort en 1982. Tlass est aussi un grand éditeur de littérature antisémite traduite en arabe. Farouche adversaire de l’État juif, Chatillon a amené le GUD sur des positions antisionistes extrêmes. Ami du Hezbollah, il anime aujourd’hui le site Infosyrie de soutien à Bachar el Assad. Il a participé à la manifestation parisienne en faveur du régime syrien en octobre 2011, et ,face à la vague insurrectionnelle, il déclarait à Bachar el Assad en mars 2011 : « Le lobby sioniste (aux ordres duquel est la presse française) rêve de déstabiliser votre magnifique pays. »

Avec un tel ancrage idéologique, incarné par des amis de cette eau, et sans aucun travail de fond, comment donner une autre signification que tactique aux rares propos où Marine Le Pen se démarque des philippiques antisémites de son père ?

Pour un autre regard sur le Proche-Orient – Avril 2012 (Extrait) – Jean-Pierre Bensimon

Campagne : Chaque jour une idée pour faire baisser le Front National

Les modalités de contribution :
Pour participer à la campagne « Chaque jour, une idée pour faire baisser le Front National », la Règle du Jeu ouvre ses colonnes à toutes les bonnes volontés. Pour ce faire, il suffit d’envoyer un texte, un dessin, une vidéo, une idée, votre idée, pour contrer le Front National à l’adresse suivante : redaction@laregledujeu.org.

Les meilleurs textes et dessins, les propositions de qualité, novatrices, ou juste drôles, seront publiés chaque jour sur laregledujeu.org
A vos claviers, à vos stylos, à vos plumes, la lutte contre le Front National commence maintenant !

3 Commentaires

  1. Bonjour,

    Enquête fabuleuse, vous venez de remporter un point Godwin, félicitation. Je vous invite à déposer votre candidature à nos bureaux d’investigation, L’international Tous Risque Agency.

    Cordialement

    H.P

  2. Klaus Altmann ou Georg Fischer sont demeurés identiques à eux-mêmes d’un bout à l’autre de leur métamorphose nominale. Ils auront même renforcé les identités de Klaus Barbie et Alois Brunner de par ces pseudonymes qui avaient, dans leur cas, pour unique vocation de maquiller des crimes qu’un désir profond de rédemption aurait assumés. Le changement de couleur à la face de Marine Le Pen ne viendra pas de ce qu’elle aura donné un autre nom au même parti, mais bel et bien de ce qu’elle trouvera un nom pour un autre parti. Qui plus est, la crédibilité dans ce nouveau rôle impliquerait au moins de la part des anciens membres ou dirigeants de l’Ignoble qu’ils s’en aillent en claquant la porte. Si la fille souhaite maintenant qu’on ne la punisse plus pour les crimes de son père, qu’elle exécute elle-même la peine qu’elle estime qu’il mérite!

  3. On peut effectivement se laisser aller à imaginer une délepénisation du Front national, preuve à l’appui, et décharger publication et promotion d’études des formes particulières d’antisémitisme et de racisme qu’ont générées les courants nationalistes français depuis la naissance de la nation et de l’État au sens Nouveau Régime du terme, on peut aussi souhaiter que les théoriciens sérieux ou fumistes, – quelle différence? – de ce Front qu’on nous a seriné «national» avec un tel aplomb, martelé «national» à une telle fréquence que j’aurais pu en arriver à apercevoir sa haine dégouliner au fronton de ma France, reçoivent un arrêté d’expulsion les sommant de quitter sur le champ leur forteresse de fiel, et qu’on n’admette, dorénavant, en tant que membre futur du Front et bientôt membre du futur Front que les seules personnes qui se seraient volontairement soumises à une formation rigoureuse dans les domaines de l’Histoire du Judaïsme et de l’Antisémitisme au travers des nations que touche la Diaspora, savoir, toutes les nations, – l’existence et la persistance du peuple juif est incompréhensible sans une compréhension approfondie de la conscience que chacun de ses membres conserva de son appartenance à Israël durant dix-neuf siècles d’errance. Il faudrait en saisir l’apparent paradoxe via la notion de double identité, avec en corollaire la prévalence nécessaire pour la communauté nationale dont telle ou telle génération diasporique a fait le choix de partager le futur, et par voie de conséquence, le passé (ceux aux côtés de qui l’on vit ont bien le droit de savoir si dans le cas limite où l’on aurait leurs vies dans un viseur, chacun de leurs compatriotes opterait auprès d’eux pour l’attitude des fils du capitaine Dreyfus). Mais à dire vrai, le fait qu’il me prenne de désirer cela, de rêver à cela, de me souvenir de mon rêve en levant les paupières sur ma gueule de bois, m’oblige déjà à mettre le tout dans une autre question.
    À l’idée duquel d’entre nous serait-il venu de déshitlériser le nazisme en vue d’en dédiaboliser le parti?
    Helga Goebbels, si sa mère n’avait profité qu’elle fût endormie pour placer dans sa bouche une ampoule de cyanure avant de se buter elle-même avec son cher et tendre, n’eût qu’une seule chose à faire pour nous prouver, le temps venu, qu’il n’y avait aucun risque qu’elle poursuivît jamais la guerre totale proclamée par son père, une chose toute simple, bien plus rapide à réaliser qu’une réorientation positive du regard des nations vis-à-vis du Nazi allant jusqu’à la bénédiction de son nom même, une chose qui eût été la plus simple qui soit, et en même temps la plus efficace qui soit. La plus efficace car la plus radicale. Cette chose, qui par ailleurs est par définition à la portée du premier venu, un pas. Un pas en dehors du cercle blanc contenant la svastika. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Nul n’irait demander à l’AWB d’exiger de ses membres qu’ils soient férus de zoulouisme. L’idée même qu’un Nazi se voie ainsi attribuer le titre de docteur ès Talmud ferait se hérisser les cheveux sur nos têtes. Nazisme et judaïsme ne doivent en aucun cas être confondus l’un avec l’autre de même que demeure bien distincte la semelle de crêpe du cloporte qu’elle broie. Que maintenant nous en soyons à attendre de Le Pen qu’elle judaïse son propre parti témoigne à mon avis de ce que nous finissons par perdre tout espoir de le déraciner de cette nation dont il est le dernier à se sentir la race «in». Le Reichskriegsfahne est le Reichskriegsfahne. Prenez les barres horizontales de l’F, la supérieure, faites-en une boucle, que vous allez rabattre et accrocher au centre de la verticale avant que de faire pivoter, sans l’arracher, la barre centrale jusqu’à ce qu’elle touche la ligne d’appui, et forme une diagonale… Le FN, c’est la Pétain en moins penaude, la Révolution nationale sans la germanisation. Le Pen cherche à se dédiaboliser? Qu’elle applique deux de ses ongles tout en haut de sa tête d’enterrée, appuie très fort tout en les enfonçant dans sa terre tant aimée, puis, que telle un point noir, enfin, elle quitte son Front!