Cette année, la Comédie Italienne, le « seul théâtre italien en France » (qui a ouvert ses portes en 1980, comme tous les theater goers le savent), a mis au centre de sa saison « Arlequin valet de deux maîtres » de Carlo Goldoni, à l’occasion du quinzième anniversaire de la mort de Giorgio Strehler. C’est lui qui conseilla et poussa Attilio Maggiulli à ouvrir cette salle un peu spéciale, au cœur de Montparnasse. Et qui lui donna, entre autres, les costumes, le tricorne et les perruques de sa propre mise en scène de la pièce de Goldoni (représentée à Paris au début des années 70).
La Comédie Italienne est un « théâtre de salon », plus précisément, un petit théâtre « à l’ancienne », à savoir un théâtre sans scène, où les spectateurs se tenaient debout… La Comédie Italienne d’aujourd’hui leur offre, bien sûr, des fauteuils tout à fait confortables… Mais comme jadis, l’auditoire et la scène ne faisant qu’un, les comédiens se mêlent naturellement au public…
La Comédie Italienne, sise au 17-19 rue de la Gaité à Paris, occupe en réalité d’anciens locaux du commissariat de Police du quartier. La Comédie Italienne a su mettre à profit cet espace clos et comme replié sur lui-même pour interroger l’espace scénique en tant que tel. Scène et auditoire pris ensemble dans le mouvement « en constellation » des acteurs. Les comédiens doivent à tout instant rivaliser de savoir-faire pour se ménager l’espace nécessaire à leur jeu (Spielraum, disent les philosophes allemands).
Solitaire, inaccessible, le protagoniste de ce théâtre est avant tout le mouvement lui-même. Ce primat du spatial l’emporte sur tout le reste – et notamment les costumes traditionnels – fussent-ils flamboyants – de la Comédie Italienne. A regarder les habits des comédiens, l’on dirait qu’ils sont pour eux comme une seconde peau. Bien que toujours costumés, c’est un peu comme s’ils étaient nus et démasqués ! Happés par un mouvement dont ils s’imprègnent à chaque instant.
Goldoni Strehler et Maggiulli savaient combien l’intrigue d’Arlequin valet de deux maîtres est ténue : Arléquin arrivé au bout de son dédoublement range dans la malle de Florindo, un portrait (que celui-ci avait donné à Béatrice) et, dans celle de son autre maître(sse), Béatrice bien sûr, le livre de comptes de Florindo, contenant des lettres que Béatrice lui avait écrites… La découverte que chacun des deux maîtres fait de cet imbroglio devrait les porter au désespoir… Au contraire, elle anticipe sur la reconnaissance mutuelle des deux amants. Et tout est bien qui finit bien.
Or, le plus intéressant dans cette représentation d’Arlequin valet de deux maîtres en tant qu’elle se produit et se joue physiquement dans un théâtre « de salon » « à l’ancienne », c’est que, pour des raisons d’espace, aucun des spectateurs n’est jamais dupe des manigances d’Arlequin, pas plus que du coup de théâtre des deux malles échangées. Non, tout est visible, tout est mis à plat sur cette scène. Laquelle promeut l’invisibilité d’une représentation où tout le monde est d’emblée mis à nu, à tout instant et à chaque fois. Maggiulli m’assure que seuls les enfants sont surpris et pris au jeu de cette représentation (dont le texte est particulièrement dénué de contenu !). Si les adultes ne le sont pas, c’est parce qu’ils participent au démasquage des différents personnages – lesquels, par le Mouvement permanent de la représentation, sont mis à nu devant nos yeux d’adultes qui ne voient littéralement rien.