En créant l’évènement de cette fin d’année avec leur film Intouchables à huit millions de tickets vendus, Eric Toledano et Olivier Nakache ont réussi l’exploit de combiner au sein d’une comédie de genre classique, le “Buddy Movie” (ou film de copains) un brûlot pertinent au scénario – façon mille-feuilles – dévoilant plusieurs niveaux de lecture.

L’handicap, fil rouge, amorce dynamique et constante de la dramaturgie, n’élude jamais ni le débat, ni la perception, ni la prise de conscience chez ce tandem irrésistible (François Cluzet & Omar Sy) que tout oppose, mais qui provoque au-delà du rire, le sentiment qu’ils sont solidaires de la fragilité de l’autre, sans jamais sombrer dans la pitié moraliste ou le voyeurisme compassionnel.

Un peu de tendresse dans ce monde de brutes ? Certes, mais saupoudré d’une grande dose de musique classique-pop et des riffs cinglants d’Earth Wind & Fire !
Voilà sans doute, le premier message… La première piqure de rappel : Stay Funky !
Nakache et Toledano ont trouvé la bonne hauteur, la note juste puisque le public rit, pleure et applaudit jusqu’au générique de fin.
Les séquences s’envolent sur des roulettes aussi fluides que se présente, avec un naturel déconcertant, l’évocation de sujets tabous (et pour les avisés, la défaillance politique envers ses sujets vulnérables) : la grande dépendance, l’intimité, le soin et la sexualité des handicapés, le recrutement d’auxiliaires de vie et leur non-formation, l’ignorance et la peur de la différence…

Évidemment, Cluzet (Alias Philippe Pozzo Di Borgo) aristocrate, tétraplégique, milliardaire qui roule en Maserati et voyage en jet privé représente (avec Larry Flint, le patron du magazine Husler) une exception, un vrai cas social inédit et c’est bien là, l’intérêt de la narration, mettre en scène le choc des cultures, l’infirme érudit, romantique et désespéré confronté à un Omar roublard, culotté et lubrique.

Les mauvaises langues (Libération et les critiques Gérard Lefort, Didier Péron et Bruno Icher) ont déclaré que cette oeuvre bonnasse façon “ Bisounours” était facile et caricaturale… Soit ! J’aimerais qu’ils nous pondent en retour, une campagne de com.’ sur l’handicap qui suscite autant d’adhérents et de retombées médiatiques.
La vraie question qu’ils ne posent pas est celle-ci : ce film fait-il avancer la cause de l’handicap et de la différence ?
Oui… Il sensibilise le plus grand nombre par le biais de l’humour et de la générosité : c’est une pédagogie qui porte ses fruits.
Le propos d’Intouchables n’est pas novateur mais son traitement, oui !
Au panthéon doloriste cinématographique, on recense des chefs-d’œuvres dont il est l’enfant légitime : Johnny Got His Gun (Les mutilés de la grande guerre), Rain Man (L’autisme), Né Un Quatre Juillet (Les vétérans du Viêt-Nam), That’s My Life Anyway (Tétraplégie et droit à l’euthanasie), Le Huitième Jour (La trisomie ), Forrest Gump (Retard mental), My Left Foot (Handicap physique), Le Scaphandre et le Papillon (Le locked in syndrom), Mar Adentro, Breaking The Waves, Fenêtre Sur Cour, Parfum de Femmes, Sam, je suis Sam… etc.
L’humanité ainsi avance et progresse : l’information, l’émotion, le point de vue, propulse grâce au cinéma, un message quand tant d’autres voies n’y parviennent pas.
Le film intouchables, au delà d’un public venu chercher un divertissement, et pour celui qui sait voir, suscite une réflexion sous-jacente politique puisqu’elle offre finalement davantage de questions que de réponses :
Quid de l’accessibilité et de la libre circulation de l’handicapé dans la cité ? *
Quid de l’assistance sexuelle aux grands handicapés ?
Quid du recrutement et de la formation des auxiliaires de vie ?
Quid de la recherche scientifique et de son financement ?
Et pourquoi a-t-il fallut attendre 2011 pour qu’un acteur noir décroche enfin, pour la première fois dans le cinéma français un rôle en tête d’affiche ?

* A l’heure de l’enjeu présidentiel et de la loi de 2005, ordonnant que tout édifice public (nouveaux chantiers et rénovations) soient aux normes de  l’accessibilité : pas de marches, portes larges, ascenseur vaste, toilettes adaptées, on constate que dans 80% des cas, la législation est bafouée, les organismes de contrôles inexistants et les sanctions ignorées.
Pis encore, inféodés aux lobbies du bâtiment et de la construction, les deux sénateurs UMP, Eric Doligé et Paul Blanc, viennent de publier un texte qui conteste cette loi et la dévalorise…
On va envoyer Omar Sy pour leur botter les fesses à ces politicards voyous …

5 Commentaires

  1. Il manque volontairement peut-être un grand film dans la liste « Cavalcade » qui a été à mon goût un des premiers à sensibiliser le public au handicap physique à notre époque (nouvelle génération du petit peuple à roulettes) en nous donnant connaissance de certains détails (même si un peu survoler) et en nous « obligeant » à admettre et vous en êtes la preuve bien vivante qu’en fauteuil on pouvait avancer à 100 km/h.

    C’est grâce à Cavalcade que j’ai eu envie d’en apprendre peut-être davantage en allant voir « Intouchables »

    A quand « Cavalcade 2 » ?

  2. Belle analyse qui montre qu’un bon film n’est pas dû au hasard et aux petites blagues…

  3. « La vraie question qu’ils ne posent pas est celle-ci : ce film fait-il avancer la cause de l’handicap et de la différence ? »

    Quelle jolie affirmation. Voilà la « vraie question », la seule et unique, comme la vérité elle-même : le but de toute oeuvre artistique est d’intéresser les gens aux nobles causes.

    Ça s’appelle très exactement « faire de la propagande ». Fi ! Quel vilain mot.

  4. Les critiques pinces du c…. demontent ce film car il fait rire le grand public, sous entendu que si le grand public se marre et adhere c’est signe que cela ne vole pas haut. Ce film est a la juste hauteur, messieurs face de grimace. Le scenario est bon, pas tirer par les cheveux, les acteurs magnifiques , l’un ne tire pas la couverture, ils sont sur le meme pied, excellent, et les dialogues succulents. Allez Messieurs les critiques qui critiquent mais ne comprennent pas, laissez nous regarder ce film avec delectation, tant pis pour vous.

  5. Un grand merci pour ce film, à la fois hilarant, généreux et très touchant… à voir et à revoir !!!