Octobre 008. Une petite galerie new-yorkaise fait sensation en exposant les travaux d’artistes qui tous ont en commun d’avoir choisi pour médium de la viande crue, veinée d’un beau gras nacré. Certaines pièces sont conservées dans des vitrines réfrigérées pour éviter la corruption, d’autres, pour lesquelles la putréfaction fait partie de l’esthétique, sont laissées à température ambiante. Nous ne sommes pourtant pas dans le Meat District, mais à Chelsea, dans le haut lieu de l’art contemporain. Il ne peut donc s’agir de chefs-d’œuvre d’artisans bouchers experts en meat design. Ce que l’on voit, ce sont bien des œuvres d’art. Le titre de la manifestation ne laisse aucun doute à ce sujet : Meat Art Gallery Show.
Et puis ces surprenantes sculptures font toutes, chacune à leur manière, un clin d’œil à l’histoire de l’art. La tasse avec cuillère et soucoupe taillées dans un rosbif de Betty Hirst est un hommage au Déjeuner en fourrure de l’artiste surréaliste Meret Oppenheim, tout comme son drapeau américain fait de bandes de bacon et de tranches de bavette bien saignantes en est un à la série des drapeaux de Jasper Johns. Les chaussures de chair et de lard d’Adam Brandej’s louchent du côté des souliers de Van Gogh, et les fers à repasser, séchoir à cheveux et autres objets hétéroclites de Simone Rachel, du côté des maîtres du Pop Art. Provocation ? Mauvais goût poussé jusqu’au dégoût ? Que penser de cette sanguinolente déclinaison du Food Art ?

À l’origine : la performance de l’artiste féministe Carolee Schneemann intitulée Meat Joy (1964). Des femmes et des hommes dénudés se roulaient sur le sol en une chorégraphie sauvage et érotique au milieu de cuisses et de carcasses de poulets, pour célébrer tout à la fois le caractère sacré et primitif de la viande, et la sensualité de la chair. Cette transe cannibale où passait l’ombre de Dionysos, le dieu écorché vif par les Bacchantes, rappelait que la viande est Eros et Thanatos, hypostase de la vie et charogne.

« Rien n’est plus réel que la chair », disait le peintre De Kooning. Mais rien de cette réalité-là n’est plus réel que ce qu’en dévoile le travail de l’équarrisseur, comme l’ont bien compris les Rembrandt, les Rubens, les Soutine, tous ces amoureux de la chair qui ont trempé leur pinceau dans le sang des quartiers de bœuf pendus à des crocs de boucher. La viande est la réalité sans fard de la chair. 
Matériau vivant bien qu’il soit mort, telle est sa nature paradoxale, dont les peintres de vanités ont exploité le symbolisme.

Les natures mortes aux pièces de viande étaient là pour nous rappeler la brièveté de la vie. Memento mori. Souviens toi que tu dois mourir. Souviens- toi que tu n’es que cette matière rouge et grasse dont les vers se régaleront. Le message a eu tendance à disparaître quand le sujet représenté s’effaçant derrière l’acte de peindre, les quartiers de bœuf, sont devenus avec Soutine,
Francis Bacon (mais déjà Rembrandt ?) de purs morceaux de peinture.
Il a été repris par l’artiste d’origine tchèque Jana Sterback lorsque, sous le titre de Vanitas – Robe de chair pour albinos anorexique, elle a exposé en 1987 une « robe de viande » taillée dans cinquante livres de steaks crus. Mais au thème de notre mortalité en tant qu’être de chair, elle voulait ajouter une réflexion sur la condition des animaux et l’effet du temps sur l’évolution des œuvres.
Il ne faudrait pas confondre le travail de cette artiste engagée dans la réflexion sur la condition humaine, avec la provocation de Lady Gaga, laquelle fit scandale en 2010, pour avoir porté, lors de la cérémonie des MTV Awards, une robe réalisée à partir de morceaux de viande bien saignants.
 Depuis ses premières manifestations, le Meat Art n’a cessé de complexifier ses propositions éthiques et esthétiques (parfois jusqu’à la pure recherche du spectaculaire), mais il n’a jamais cessé d’exploiter, avec la symbolique attachée à la viande, tous les mythes dont cette chair musculeuse et rouge est porteuse. C’est le tragique d’une histoire dont la folie transforme les hommes en « chair à canon », que racontait sans fin l’artiste serbe Marina Abramovic lorsque, assise pendant des jours sur un tas d’os de bœufs, elle les raclait en chantonnant pour leur arracher leurs derniers lambeaux de viande. La performance s’appelait Balkan baroque et obtint le Prix international à la Biennale de Venise en 1997. C’est sa quête d’identité que traduit le Chinois Zhang lorsqu’il s’exhibe revêtu d’un gilet fait de côtes de bœuf. On pourrait multiplier les exemples. La viande est à la fois cosa mentale et ce matériau paradoxal dont la plasticité aura inspiré les artistes contemporains au plus près des grands gouffres

Un commentaire

  1. Bonjour,

    Je me permets de vous contacter pour vous informer de la publication d’un DVD sur le peintre Chaïm Soutine.

    Après trois ans de recherches à travers toute l’Europe, auprès de personnes l’ayant connu et de collectionneurs …. j’ai produit un film documentaire qui relate son parcours et son oeuvre.
    Il s’agit du seul film à l’heure actuelle traitant de cet artiste fascinant.
    Pour plus d’informations, visitez notre site internet
    Vous y trouverez un bon de commande à télécharger si vous souhaitez acheter ce DVD.

    http://www.lesproductionsdugolem.com/soutine_golem.html

    Si vous avez des questions n’hésitez pas à me contacter.
    Merci et à bientôt

    Murielle Levy
    Tél. : 01 43 15 08 03
    murielle.levy@lesproductionsdugolem.com