Le dernier opus d’Eric Reinhardt déchaîne quelques passions : c’est normal, il parle de sexe, et il en parle bien, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
Le roman met en scène une liaison torride entre Victoria, figure féminine du capitalisme moderne, outrancier, et David Kolski, un hésitant, bordé par des valeurs, soucieux d’être encore un homme. La voracité du vagin, de droite, contre les états d’âme du pénis, de gauche…
Mais « Le système Victoria » est aussi un livre sur le désir, la jouissance, l’impossible qui la borde. Car David Kolski a beau bander comme un turc, jamais il ne jouit. Pied de nez à cette maîtresse qui peut tout s’offrir, sauf le sperme de son amant pauvre ? Protestation virile contre l’infini de la jouissance féminine ? Stupéfaction, voire effroi devant ce gouffre aux audaces mortifères ?
Une fois, une seule, Kolski se laisse jouir en Victoria. La sanction ne se fait pas attendre : cette ultime éjaculation précède très exactement la fin tragique de l’héroïne – annoncée dès les premières pages. Comme s’il s’agissait de prouver la fonction salvatrice de son refus de jouir.
Mais il y a plus. Non content de cette encoche aux bonnes mœurs sexuelles, Kolski dépeint avec une talentueuse précision les failles de son désir, ces trous d’air qui parsèment le chemin qui le mène à Victoria. Plus les rendez-vous se succèdent, plus Kolski se rend compte que « quelque chose d’indéfini frottait sur la roue de mon désir ou actionnait une mystérieuse pédale de frein toutes les fois que mes pensées essayaient d’avoir envie du rendez-vous », au point même qu’ « il arrivait que je m’y rende en n’ayant pas envie de le vivre ».
De Gide, le grand sanctificateur du mariage blanc, Lacan soulignait la profonde aristocratie de son désir : le sexe ne serait qu’une façon grossière de colmater la dérobade du rapport sexuel. Reinhardt n’est pas plus Gide que Kolski n’est Donjuanesque. Mais par son refus de jouir, son héros pourrait témoigner, à sa façon, du rapport singulier, aristocrate, qu’entretient tout écrivain au désir et à la mort.
A tout le moins, la peinture tout en finesse des écueils Kolskiens – torsions du désir, impossible jouissance – confère au « Système Victoria » un statut particulier, celui d’une sorte d’abécédaire du désir dans sa modernité, tel qu’il fut notamment articulé et scandé par Lacan. Plutôt que de faire silence sur ses impasses, Reinhardt en fouille tous les recoins avec une admirable lucidité.
Il y a une forme de capitalisme bien plus titanique, au proudhonisme vert de rage. On ne le voit pas avancer, normal, il n’avance pas. Son projet? Abolir le droit de propriété. Son objet? Récupérer la terre entière. Cette voracité-là ouvre grand sa gueule en «Bouh!» en roulant des yeux à la Y’a d’la joie! Je me souviens d’un film avec Rufus et Marie-José Nat, sur la déportation. Ils avaient eu l’idée sublimement yiddish d’écrire sur leur affiche : «L’humour juif, c’est comme l’humour allemand… l’humour en plus.» Ça marche au poil avec «écolo», – l’entendre au sens de catho, ou pseudo-catholique. En même temps… je crois que ma dernière barre, je me la suis tapée devant une rediff du flot de crocodile qui s’apprêtait à engloutir son exex-fufututur BeauBeau-PapaPapa d’lala Répépépépépéppppp… Ach!!! Quand ça veut pas v’nir…
Rien de plus comique qu’un mauvais tragédien. À ceci près que le rire, d’où qu’il sorte, est communicatif. Mais il ne faudrait pas trop sortir du sujet. Restons-en là, si vous voulez. Et las, une chose est sûre. Ce n’est pas avec la déesse-KO-phobie qu’on arrêtera le fall-us.
J’achète pas!