Dans son admirable Livre de cuisine que tout amateur de bonne chère devrait posséder et lire régulièrement, Mme E. Saint-Ange nous affirme que « le chateaubriand est un morceau de filet pris dans le cœur, c’est-à-dire en plein milieu, dans le centre même d’un filet de bœuf entier ». Elle ajoute, précision ultime : « comptez de 20 à 24 minutes pour que le chateaubriand soit à point : juste rosé au centre et bien juteux ». Naturellement, on peut diminuer le temps indiqué pour obtenir une viande moins cuite. Du temps où les abattoirs de La Villette envoyaient des bêtes à la mort sans discontinuer, il y avait alentour des restaurants spécialisés dans la viande de boucherie. L’un particulièrement, le Cochon d’Or, retenait l’attention des amateurs. Là, les cuisiniers savaient que la règle d’or pour servir un entrecôte – je tiens au masculin, comme Mme Saint-Ange – est de le laisser reposer autant de temps qu’il a mis à cuire. Non, il ne faut pas l’envelopper dans du papier d’aluminium, qui lui donnerait un goût de viande bouillie ; le recouvrir d’une assiette suffit amplement. Ils n’oubliaient pas, pendant la cuisson, de badigeonner régulièrement la viande avec du beurre clarifié pour éviter une fâcheuse carbonisation. Bref, dans ce restaurant tout était réuni pour plaire à ceux qui n’étaient pas touchés ni par la grâce de ce qu’on a appelé la nouvelle cuisine ni par la décoration des assiettes sur lesquelles des marmitons se penchent en se prenant pour des artistes. Mais y a-t-il encore des marmitons ?

Dans ce restaurant, je suis allé parfois avec François Mitterrand. Il ne prenait pas d’entrée – il savait ce qui viendrait – et préférait attendre. Car il fallait attendre. Quand le chateaubriand arrivait accompagné de ses pommes soufflées, suivi de l’indispensable sauce béarnaise, on comprenait qu’on n’était pas venu pour rien. De fait, comme on dit dans les guides, cela valait le voyage. Mais pour dire le vrai, François Mitterrand préférait les restaurants de poissons. Ce n’est pas le propos du jour. Je peux le regretter, car alors j’aurais parlé de sa passion pour les huîtres – il allait en Hollande seulement pour les fameuses Zélandes – et de tous les poissons qu’il aimait tant. Que de repas à La Cagouille, chez Le Duc, à La Marée, chez Mincheli, et bien sûr à l’Assiette, chez Lulu, qui, sans rien lui demander, apportait des plateaux débordant d’oursins, d’huîtres, de palourdes ! À La Cagouille, il disait que les coques ressemblaient à celles que préparait sa mère. Il était charentais comme moi et, comme moi, les appelait des sourdons.

Mais revenons à la viande. Je me souviens d’un pot-au-feu inoubliable cuisiné par Jack Lang. Je ne sais pas si Jack avait lu Mme Saint-Ange, mais je peux dire que nous avons passé là une soirée merveilleuse et que François Mitterrand fit honneur au plat plus que n’importe qui.

3 Commentaires

  1. Beurk

    Allez passer une journée dans les abattoirs, après on verra si vous avez toujours le même appétit …