Cela a commencé avec ma mère.

Elle était cuisinière dans un château de Sologne, et elle me régalait de pommes de terre grillées arrosées d’une sauce piquante composée de vinaigre et d’aromates cueillis au potager, dont je n’ai jamais trouvé le secret. À son exemple, je suis entré comme commis de cuisine il y a trente-huit ans dans un tout autre château, ou plutôt un palais, et j’en suis le chef depuis sept années. Ce palais est l’Élysée.

La viande à l’Élysée, oui.

Je me fournis auprès de trois bouchers chaque année différents. En 2011, l’un fournit les Blondes d’Aquitaine, le second les Charolaises, le troisième la volaille, l’agneau et le veau. Comme tout acheteur public, je négocie les prix, et mes interlocuteurs – qui ne dédaignent pas la clientèle que nous représentons – se montrent ouverts à mon souci de la juste préservation des deniers publics (nous sommes soumis, comme tous les organes de l’État, à la procédure des marchés publics).

Les achats, à l’exception des tripes, ne discriminent aucune viande, de la joue et des queues de bœuf (que je fais apprêter feuilletées et grainées de sésame) à nos viandes « nationales », le filet de bœuf, le grenadin et le baron d’agneau et la poularde de Bresse. Ces quatre emblèmes : à l’attention particulière des hôtes étrangers, qui associent d’emblée ces must à la Gastronomie française

Soixante recettes de viandes, dont quinze de veau, évitent toute monotonie dans les menus, qu’avalise chaque jour le président de la République.

Si je mets mes fonctions entre parenthèses, mon amour des viandes va à l’onglet, l’araignée, la poire et la hampe.

Ah, la hampe poêlée, saignante ! C’est une viande longue, plate et fine, dont le « tissus » de ses filaments tout en largeur est comme une trame d’étamine sans sa chaîne. Mettez du vrai beurre dans une poêle, faites-le blondir, jusqu’à devenir couleur noisette. Saisissez la hampe une minute sur chaque face, de sorte que sang et moelleux demeurent dans leur enveloppe charnelle. Saupoudrez de fleur de sel de Guérande. Le bonheur est en vous.

Quant au rôti de bœuf, là encore le poêler à vif avant de le mettre au four, pour ne pas stresser la viande par un passage brutal du froid au brûlant mais, au contraire, « gainer » au préalable la pièce, la protéger avant l’épreuve de la fournaise, pour que le sang et ses jus naturels ne la désertent pas sous le choc thermique. La mettre alors au four, sans beurre, avec juste un peu de matière grasse. Et puis, là encore, laisser la pièce reposer à la sortie du four trente bonnes minutes avant de le découper, de sorte que les chairs, tiédissant, se détendent.

Le steak tartare, cette préparation si française qui, jadis, surprenait les palais étrangers, fait non moins partie des menus élyséens que les viandes cuites. Pour ne pas heurter certaines sensibilités, seraient-elles devenues rarissimes, nous l’apprêtons toutefois en aller-retour.

Je n’ai guère le temps de visiter les élevages d’où proviennent nos viandes. Mais chaque année, je me rends au Salon de l’agriculture, et le cuisinier que je suis se transforme en imagination  un peu en paysan, un peu en boucher. J’approche là la viande vivante.

Reste le monde des légumes qui lui font cortège.

Mais ceci est une autre histoire.