Contrairement à sa légende impure, le porc est une merveille de netteté, de charme et de complétude. Sade, en prison, a envie d’en manger, il écrit donc à sa femme en l’appelant « porc frais de mes pensées ». Mozart était très amateur de « carbonade », et c’est peut-être l’une d’elles qui l’a empoisonné à Vienne. Claudel, enfin, dans son apologie Le Porc, n’oublie pas de rappeler que le sang de porc « sert à fixer l’or ».
Le dictionnaire nous dit que « porc », appliqué à un être humain, veut dire « homme sale, débauché, glouton ». Quelle erreur ! La viande de porc est la variété et la délicatesse mêmes. Voilà un animal alchimiste qui transforme toute ordure en or. Le comportement pig est un ratage de ce processus d’une finesse extrême. J’ai peu à peu abandonné le bœuf pour le porc, en ne gardant, comme viandes, que la tête et le ris de veau. D’une certaine façon, j’allais vers la Chine qui, comme on sait, a son Année du Cochon.
Le porc, cette perle. Tout est bon, chez lui, rôti, côtelettes, jambon, jambonneau, saucisson, saucisses, travers, pied. Le féminin de porc, « truie », ne convient pas. Il faut dire porce. Dans Une saison en enfer, Rimbaud dit qu’il « a aimé un porc ». Je peux exprimer, sans me vanter exagérément, que j’ai aimé bien des porces, je veux dire des femmes vraiment mangeables, ce qui n’est pas si courant.
Demandez à ma femme, Julia Kristeva, de vous préparer une palette de porc, avec des rondelles d’ananas et des clous de girofle. Ce plat est une splendeur. Vous buvez en même temps un margaux, et la perfection est là. Le rôti de porc, selon moi, doit se manger froid, et le choix de la moutarde compte. Pour les amateurs impénitents de mayonnaise, c’est le moment de l’employer savamment.
Le saucisson va avec le whisky, ils s’appellent.
Et maintenant vous allez nous dire que vous aimez la choucroute en hiver ? Évidemment.
Avec le porc, vous êtes d’emblée dans la grande culture occidentale, en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie. Comment ne pas évoquer le jambon très fin (le San Daniele), et le mot d’entrée, prosciutto, avant le dîner ? Le jambon de Parme vous fait penser à Stendhal ? Vous avez raison. Le porc, enfin, se marie on ne peut mieux avec les pâtes : goûtez-moi cette carbonara.
On m’a compris : le porc est rejeté ou haï à cause de son infini. Je garde quand même le poulet, mais il faut qu’il soit préparé, une fois par an, dans l’île de Ré, par Valérie Solvit. Sinon, poisson, et encore poisson.
Mais ceci est une autre histoire.
encore un plaidoyer pour DSK, y en a marre…
Quel mal j’ai eu à convaincre l’un de mes cousins que la proscription du porc n’avait jamais eu pour mobile de détourner les ventres d’une chair propice au développement bactérien, mais parce que les cochons se reproduisent comme des lapins, que l’interdit d’En Haut n’avait eu pour effet que de forcer les exodés à s’interdire la facilité d’un élevage optimaliste, et par la force des choses, à transgresser l’interdit de là-bas, c’est-à-dire, la chair des multiples divinités zoomorphiques adorées en Égypte! Un autre de mes cousins, qui au cours de sa vie a sans doute moins souvent ouvert une Cacherout qu’un porc, m’assura néanmoins des dangers que représentait la (ou plutôt l’une des) bête(s) intouchable(s) de la Bible, à laquelle il suffisait d’une moindre perturbation environnementale anté ou post-mortem pour faire d’elle un vrai petit laboratoire sur pattes. Alors, est-ce que cela doit aboutir à une cachérisation du droit international ou à une autre réaction? et j’en viens maintenant à votre suggestion… Peut-être le porc oblige-t-il, en même temps qu’on l’élève, à ce que l’on cultive pour lui un certain raffinement.
Oui, pas mal, j’apprécie. Mais ne pas oublier, de Liu Xiaobo (prix Nobel de la paix emprisonné en Chine), « La philosophie du porc » (Gallimard): « Deng Xiaoping a acheté la mémoire des masses avec ses promesses d »aisance relative’: comment faire pour que les porcs s’endorment quand ils sont rassasiés, et mangent quand ils se réveillent » (texte écrit en septembre 2000)