Du 13 au 15 juin, le Dalaï-Lama donnait à Toulouse un enseignement spirituel doublé d’une conférence publique. Aucune rencontre officielle n’a été prévue, ni avec le président de la République ni avec quelque ministre de la République en exercice que ce soit. Etait-ce pour ne point déplaire aux autorités chinoises ?… Les chanceliers allemands n’ont jamais craint, pour leur part, de rencontrer le chef spirituel tibétain dont on sait que son rôle politique est essentiellement symbolique. Âgé de soixante-seize ans, il a eu la sagesse de se démettre de tout pouvoir politique en dissociant définitivement le pouvoir politique du pouvoir religieux. C’est désormais Lobsang Sangay, juriste, qui a été élu au poste de Premier ministre du gouvernement en exil (depuis 1959).
En outre, vient de paraître Appel au monde signé par le dalaï-lama. L’ouvrage a été conçu en trois parties : I. La lutte pour l’indépendance (1961-1979). II. La voie médiane, ou le défi de la paix (1980-1990). III. Génocide culturel au Tibet, la fuite en avant (1991-2010). Par ses analyses politiques et historiques fort riches, Sofia Stril-Rever, éditrice et interprète de l’auteur, montre les avancées et les reculs des dirigeants chinois face à la question tibétaine et l’évolution des prises de positions internationales. Elle étaye les paroles du dalaï-lama sur les répressions et les violences extrêmes subies par les Tibétains au cours des cinquante dernières années, rappelant au passage quelques-unes des tortures infligées aux opposants par la police chinoise : les tristement célèbres séances de thamzing mises en place par le Parti maoïste dont le but était de détruire la personnalité, le jugement et la volonté de la victime. Elle raconte les suicides de ces victimes, suicides parfois de tous les membres d’une même famille. Elle rappelle la grande folie meurtrière de la Révolution culturelle qui broya et anéantit soixante à soixante-dix millions de personnes parmi lesquelles des dizaines de milliers de Tibétains.
Aujourd’hui et après les graves émeutes de 2010, la situation des Tibétains s’est sans doute quelque peu assouplie, mais ni la détermination des résistants et des moines, ni la non-violence prônée par le dalaï-lama n’ont donné de résultats suffisants.
Le 10 mai 1980, le dalaï-lama s’exprimait ainsi : « Vingt ans ont passé. Ce fut une expérience choquante, sans précédent dans l’histoire du Tibet. Jamais nous n’avons subi de destructions d’une telle ampleur. Tout notre patrimoine religieux, notre culture et nos valeurs ont été anéantis. Jamais, pendant des siècles, on ne vit au Tibet ce spectacle effroyable de pauvreté abjecte, de misère et de désespoir, d’indigence et de famine. »
Si les paroles du dalaï-lama sont comme toujours fortes et admirables, on peut reprocher à cette édition l’oblitération systématique des références élémentaires qui contextualiseraient le propos. Les paroles du chef spirituel publiées dans ce livre sont d’ailleurs en importance largement moindres que les analyses de Sofia Stril-Rever, ce qui du point de vue éditorial est une tromperie vis-à-vis du lecteur.
Revenons donc à la parole du dalaï-lama. En 1981, il notait : « Dans le passé, la politique chinoise au Tibet a consisté à nous mettre du sucre brun sous les yeux et de la cire à cacheter dans la bouche, comme dit notre proverbe. On nous a présenté de courageuses exagérations, agréables à entendre et impressionnantes. Mais en réalité les Tibétains n’ont fait que subir torture et répression. Dans ces conditions, il est normal qu’ils tentent de se libérer de leurs souffrances, parce que tel est le droit légitime de tout peuple. Si le mode de vie des Tibétains avait été sauvegardé et s’ils étaient plus heureux, nous n’aurions rien à redire. » (p.146)
Un nombre grandissant d’intellectuels et d’avocats chinois se sont engagés pour la cause tibétaine depuis 2008, comme l’écrivain Wang Lixiong. Ce qui marque un changement notable dans la perception chinoise du drame tibétain.
De tous les leaders religieux contemporains, le dalaï-lama est sans doute celui qui a le plus adapter les traditions ancestrales du bouddhisme tibétain à l’évolution de la civilisation. Sans recourir au prosélytisme, il a réussi à faire du bouddhisme et du bouddhisme tibétain en particulier, une école de sagesse valable pour l’humanité. Si quelques intellectuels ont pu dire qu’il y avait plus de profondeur et d’intelligence dans Augustin que dans l’enseignement du dalaï-lama, nous avons envie de leur répondre que le père de l’Église, tout saint qu’il soit aux yeux des catholiques, eût sans doute été à sa place bien moins porteur d’un message universel de paix et de non-violence.
Dans le monde actuel, où les religions ont si souvent tendance à se communautariser, le dalaï-lama offre l’exemple unique d’un chef religieux, capable à la fois de s’ouvrir au monde et d’apporter depuis plus de quarante ans une parole bouddhique ancrée dans la tradition des plus grands maîtres indiens et tibétains.
Il y a loin de la volonté de puissance de la Chine à la volonté de non-violence de cet homme désarmé et exilé, citoyen du monde par sa souffrance et son témoignage et héraut de la survie d’un peuple menacé dans son essence. Mais qui entendra donc son Appel au monde ?
Michaël de Saint-Cheron1
1 Publiera en septembre Gandhi. L’anti-biographie d’une grande âme aux éditions Hermann.
Voici un poème que m’inspire votre article, en réponse au livre du Dalai-Lama : « Appel au monde ».
Le monde de l’information nous montre…
Un monde en manque…
En manque de respect
En manque de Paix
En manque de tolérance
En manque d’insouciance
En manque de politesse
En manque de gentillesse
En recherche de reconnaissance
En recherche de confiance
Un monde en manque…
En manque d’argent
En manque de temps
En manque de liens
En manque de pains
En manque de repères
En manque de Pères et Mères
En manque de tout
En manque d’un Nous
En recherche de liberté
En recherche d’identité
Un monde en manque…
En manque d’Amour
En manque de…toujours.