Enfin.
Ratko Mladic a été arrêté à Belgrade.
Le Boucher des Balkans sera transféré à la Haye pour y être jugé.
Selon toute vraisemblance, il finira donc ses jours en prison.
Et il faut bien dire qu’un poids de moins pèse sur la conscience européenne.
On en désespérait…
1992-1995. L’armée de Belgrade et les milices serbes dépècent ce petit pays multi-ethnique sans défense, au cœur de l’Europe, qu’est la Bosnie.
A leur tête, cet homme, ce tueur fou.
Bilan : 200.000 morts ; deux millions et demi de réfugiés ; un pays dévasté.
Trois ans durant, et quarante ans après Auschwitz, l’Europe laissa faire.
Les hommes jetés dans la Drina glacée, les centaines de fusillés de Zvornik, les femmes violées de Visegrad et Vogosca, les torturés à mort des camps de Manjaca, Omarska, Luka, Trnopolje, Keraterm, les dix mille morts du siège de Sarajevo, les populations affamées de Bihac, les jeunes de Tuzla fauchés un soir de juin, les 8.000 disparus de Srebrenica en juillet 1995 – tous vont, enfin, recevoir justice posthume pour leur martyre.
Et nous, Français de tous bords, Européens d’alors, volant, la rage au cœur, au secours de la Bosnie soumise à embargo, nous allons voir enfin laver le déshonneur de nos démocraties qui négocièrent avec cet homme, jusqu’à Srebrenica.
Affrontant, les mois à venir, à la Haye, un passé qui, dans nos cœurs et dans nos têtes, ne passait pas depuis quinze ans, l’Europe, justice faite, pourra, enfin réconciliée avec elle-même, accueillir en son sein le pays qui nous fut cher, la Bosnie-Herzégovine, pour peu que la minorité serbe vienne à résipiscence; puis, elle pourra, par-delà les blessures de l’Histoire, admettre, pour finir, à la table commune, le peuple serbe, libéré de son dernier fantôme.
Oui, enfin.
Gilles Hertzog
Des centaines de réfugiés sortent d’un tunnel, uniquement des femmes et des enfants et des vieillards. Un garçon de douze, treize ans, attiré par le trou noir de l’objectif, y plonge son regard plissé par le soleil sans que cela n’entraîne la tension des zygomatiques. Le reporter du JT de l’A2 précise : «Les Serbes les ont fait sortir des autocars quelques centaines de mètres plus tôt, et leur ont dit : «Partez!» C’est ça, dit-il, le nettoyage ethnique», reprenant la formule de l’autre Karadžić, Vuk Stefanović, acteur et historien du soulèvement de 1805 contre les Ottomans dont le premier prénom, «loup» en serbe, commémorait le fait qu’il avait survécu tout seul à ses six frères et sœurs. Apparaît dans le tube un homme en tenue militaire, slavement jovial, pouces à la ceinture, puis tapotant la joue d’un petit blondinet. «Le général Mladić y apparaît comme un homme sensible, distribuant lui-même du chocolat en même temps qu’il organise lui-même… l’exode.» Masure demande à Giles Rabine, en direct de Sarajevo, comment la chute de Srebrenica est ressentie par les habitants. Rabine, le visage défait, lui fait part de l’amertume générale, du sentiment d’avoir été trahis par l’ONU «parce qu’à Srebrenica, les Bosniaques avaient joué le jeu, ils s’étaient laissé désarmer, et ils s’étaient mis sous la protection de l’ONU.» Il a bafouillé la première syllabe du mot «protection».
Comment un homme, dont le père avait été crevé, âme et corps, par la fourche à deux dents des Ustaše, put se laisser séduire par les méthodes purgatives du docteur Karadžić? Tout avait commencé par un règlement de compte à O.K. Hrvatska, et puis, on prend goût à la jouissance de survivre à son propre royaume de morts. On est Ratko Mladić. L’orphelin ordonnant à ses fils d’aller euthanasier toutes les têtes de bétail dans l’enclos des mâles de Srebrenica, le virus AO (A-Orthodoxe) ayant besoin de cellules cérébrales sur lesquelles se fixer; le ventre des femelles, qui ne sont que ce ventre, pouvant être ultérieurement purifié d’une simple injection d’orthosemence. Or, toute conception fondée à partir de concepts débiles se destine, après moult expériences foirées, à disparaître dans un manuel d’Histoire des Sciences au chapitre : DÉJÀ RATÉ. Le sang des morts coule toujours dans l’aorte au docte, à vive allure et vers le seul aval qui soit, quelqu’en fût l’amont. Il aurait même fait quelques tours de piste pied au plancher, dans la journée de jeudi.
Mais outre les martyrs, ce qui est mort à l’été 95, c’est l’idée d’une armée de la paix capable de mettre au pas les fouteurs de guerre. Le casque bleu est devenu ce qu’il était, un inspecteur des travaux finis, ou à faire par le casque vert, le camouflage céleste n’étant qu’une vue de l’esprit.
Avoir eu raison, c’est ce qui faisait de Malraux, Malraux ou bien d’Aron, Aron. Vous étiez quelques uns à dire non. Quelques visages. Quelques noms. Ceux qui les écoutaient et les lisaient alors n’en oublieront aucun quand même il serait de bon ton, à l’heure dandyesque, de se pincer le nez en prononçant l’un d’eux.
Traduction : Il faut choisir son camp. On ne peut pas bannir quand ça nous chante, les injonctions sanguinaires de Mladić et l’instant d’après, les injonctions sanguines de Finkielkraut.