Malgré une féroce répression gouvernementale, le mouvement de contestation débuté il y a deux mois en Syrie ne désemplit pas et s’étend même à l’ensemble du pays. En ce nouveau vendredi de colère, baptisé « vendredi des femmes syriennes libres », des milliers de Syriens ont profité de la prière de fin de semaine, unique moment où ils ont l’occasion de se rassembler sans risque, pour manifester leur rejet du président Bachar el Assad et de son régime.
Depuis le poste frontière jordanien de Ramtha, situé à moins de cinq kilomètres de la ville de Deraa, berceau de la contestation désormais quadrillé par les forces de sécurité syriennes, on pouvait entendre hier, aux alentours de 16 heures, le son des tirs d’artillerie lourde des chars syriens pilonnant la ville, malgré la promesse gouvernementale de ne pas ouvrir le feu.
D’après des habitants de cette ville contactés sur place grâce à des téléphones portables équipés de puces jordaniennes, les manifestations ont éclaté à l’issue de la prière du vendredi en dépit de l’interdiction ordonnée par le gouvernement de pénétrer à l’intérieur des mosquées, une première en 1 400 ans. Les rassemblements ont été violemment réprimés par les forces de sécurité qui ont tiré à balles réelles sur la foule, notamment derrière la mosquée Al-Omary, la plus importante de la ville, selon des témoins présents sur place.
C’est dans cette ville d’un million d’habitants qu’a débuté la contestation le 15 mars dernier. Après deux mois de manifestations qui ont fait plusieurs centaines de morts, Deraa est désormais visée par un blocus de l’armée qui a coupé l’eau et l’électricité et empêche toute entrée de populations mais aussi de vivres dans la ville.
Mais les regroupements ne se sont pas limités à Deraa. A Haraa, ville située à l’ouest de la région de Deraa, des femmes sont sorties dans la rue, pour réclamer la libération de leurs maris arrêtés plus tôt dans la semaine. « Va-t-en ! Va-t-en Bashar ! » , ont-elles scandé, avant de crier « envoyez plutôt l’armée en Palestine et au Golan ! » (référence à Israël et au territoire du Golan qui appartenait précédemment à la Syrie).
Contrairement aux affirmations gouvernementales qui brandissent le risque de divisions ethniques et religieuses à l’intérieur du pays, des manifestations ont secoué hier la ville kurde de Koubani, située près de la frontière turque, où des centaines de personnes ont protesté en solidarité avec les habitants de Deraa, et scandé en kurde : « Azadi ! Azadi ! » (liberté, liberté).
A Hamah, à l’ouest de la Syrie, les manifestants ont crié :
« Le régime doit tomber », et « notre esprit, notre sang, nous sacrifions tout pour Deraa », en soutien à la ville martyre.
Toujours à Hamah,les manifestants ont scandé :
« Unie, unie, unie, toute la Syrie est unie » en réponse au spectre de guerre civile brandi par le Régime s’il était amené à chuter.
Toujours dans cette ville, située entre Homs et Alep, le portrait de Bashar el Assad a été déchiré et retiré d’un bâtiment officiel, sous les cris de « nous souhaitons la chute du régime ».
Dans la ville de Ghalat al madigh, située dans la région de Hamah, les manifestants se sont adressés aux soldats de l’armée régulière syrienne :
« nos braves soldats, brisez le mur syrien, nous voulons la chute du régime »
Selon plusieurs témoignages, des soldats de l’armée régulière auraient refusé ces derniers jours de tirer sur le peuple, et auraient par conséquent été abattus par les soldats de l’armée spéciale dirigée par Maher El Assad, le frère du président syrien.
Dans la capitale Damas, dans le quartier Al Meydan, en face de la mosquée Abou Ayoub, les manifestants ont profité de la fin de la prière du vendredi pour réclamer la chute du régime et la fin du blocus de la ville de Deraa.
Toujours dans la capitale, à l’intérieur de la mosquée Jamal Hassan, située dans le quartier Al-Meydan, les manifestants ont crié « Allah Akbar » (Dieu est grand), en signe de protestation. (ils ne peuvent se permettre de scander autre chose à l’intérieur d’une mosquée).
A Gabareb, ville située entre Deraa et Damas, les manifestants ont scandé :
« nous souhaitons ta chute Bachar ».
Dans la ville de Babes Al Sbah, située dans la région de Homs (centre), autre berceau de la contestation, bombardée mercredi par l’armée syrienne et désormais encerclée par les chars, des manifestants essuyaient hier les tirs de snipers embusqués les empêchant de traverser les rues.
« Dieu est avec nous », crient les manifestants. « Oh Dieu ! Oh Dieu ! Nous savons que tu aimes les martyrs. Nous sommes tous des martyrs », scandent-ils maintenant, en se préparant à rejoindre malgré tout les habitants situés de l’autre côté de la rue.
La ville de Babe Al Sbah est elle aussi privée d’eau et d’électricité depuis l’invasion de l’armée mercredi dernier, à l’image de ce qui s’est produit à Deraa.
Dans la ville d’Al KAtifdia, située au centre de la région Homs, les manifestants s’en remettent à Dieu pour les aider contre les « oppresseurs ».
A Saqba, dans la banlieue de Damas, les manifestants demandent la libération des prisonniers, et clament, en réponse aux accusations gouvernementales selon lesquelles les manifestants seraient des terroristes :
« nous ne voulons pas d’armes. Notre seule force est la vérité ».
Des manifestants à moto ont défilé et klaxonné en signe de protestation à Kafarnabel, ville située près de la ville d’Adleb, non loin de la ville d’Alep, au nord de la Syrie.
Contrairement aux affirmations de certains médias annonçant le retrait de l’armée de la ville de Baniyas, des contacts situés sur place affirment que la ville est toujours assiégée par les chars de l’armée.
Les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à pénétrer à l’intérieur de la Syrie, et n’ont d’autres choix que de couvrir les événements depuis la frontière, ce qui rend difficile la vérification indépendante des informations recueillies. Le poste-frontière de Ramtha est fermée côté syrien depuis maintenant trois semaines.
Près de six personnes ont perdu la vie hier lors de ce nouveau « vendredi de colère », à Deraa, à Kaboun, dans la banlieue de la capitale, Damas, et à Homs, dans le centre du pays, ont indiqué des militants syriens des droits de l’homme, au moment où le gouvernement de Bashar el Assad promet l’ouverture d’un « dialogue national » en Syrie dans les prochains jours.
Au moins 40 personnes, tous des civils, ont perdu la vie dans la ville d’Inkel, au nord-ouest de Deraa, après qu’une centaine de chars de l’armée sont entrés dans la ville mercredi, ont affirmé des habitants contactés sur place.
Armin Arefi