Depuis quelques jours, suite à un article du Figaro, la rumeur a surgi d’un changement de direction à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. En d’autres termes : après quatre ans en fonction, Olivier Py et son équipe ne seraient pas renouvelés pour un nouveau mandat.
Cette rumeur, si elle devait se confirmer, ne manquerait pas de poser de nombreux problèmes, et ce, au moins, dans deux perspectives fondamentales.
La première est un point de forme : la rumeur a surgi en début de semaine, enflé depuis, et serait sur le point de crever, avec une décision de l’exécutif, cette fin de semaine. Une semaine, une semaine seulement pour changer le directeur d’une institution publique comme l’Odéon, une semaine sans consultation publique, sans processus de réflexion, sans véritable débat, sans audition, c’est bien bref – pire, c’est laisser place au soupçon d’un manque de démocratie. Pour finir, cela n’a que peu à voir avec ce que la tutelle doit offrir à un établissement comme le théâtre de l’Europe : une confrontation de visions, des candidatures clairement affichées, des affrontements publics d’idées. Toutes choses qui avaient eu lieu en 2007, où deux conceptions profondément différentes s’étaient opposées, et où, pour finir, celle d’un Olivier Py fasciné par le texte et éminemment politique, avait triomphé. En 2011, il semble que l’on sache ne pas vouloir de lui ; en revanche, il est bien difficile de définir clairement ce par quoi on le remplacerait. La sélection semble se faire, dans le silence des esprits, contre quelqu’un, et non pour une vision.
Or –et ce serait le deuxième aspect, lié au fond – Olivier Py n’est pas Olivier Py. Ou pour le dire autrement : il n’est pas seulement Olivier Py, le dramaturge, le metteur en scène disputé dans toute l’Europe pour ses audacieuses réalisations d’opéra, celui qui vient de proposer dans le théâtre qu’il dirige un merveilleux adagio mitterrandien. Non : Olivier Py a profondément changé le théâtre de l’Odéon, pour en faire un lieu, non seulement de théâtre, mais du théâtre dans la ville et dans la vie.
Car c’est incontestable : il propose, dans le temple de Barrault, une vision de ce que doit être la vocation théâtrale. Si présenter l’Europe au théâtre, c’est-à-dire offrir une scène parisienne à des spectacles venus d’autres pays, a un jour été en France une idée neuve, ce fut dans les années 1990. Aujourd’hui, et c’est tant mieux, l’Europe est partout.
Par conséquent, il a appartenu à Olivier Py, dans son projet, de définir une nouvelle conception, d’actualiser le rôle d’un théâtre européen : c’est de ne plus tenir compte de la frontière entre Français et « autres Européens ».
Qu’il s’agisse des auteurs associés, de l’Anglais Howard Barker, au Grec Dimitris Dimitriadis, voire bien sûr au Français Valère Novarina, qu’il s’agisse du nouvel artiste associé, cet auteur-metteur en scène attendu dans toute l’Europe lui aussi, Joël Pommerat, le choix est toujours sûr, révélateur et pertinent – même pour Novarina, présenter une œuvre en hongrois, dans une mise en scène de l’auteur, est-il si évident ?
Cette fin des frontières, l’actuelle direction de l’Odéon l’a aussi favorisée en offrant aux nouvelles générations un véritable tremplin : que ce soit celle d’Olivier Py lui-même, celle de Joël Pommerat, de Stéphane Braunschweig, de Giorgio Corsetti, de Warlikowski, bien d’autres, qu’il a montrée et directement associée à ce théâtre, que ce soit, celle, surtout, des plus jeunes gens, avec le Festival Impatience, offrant une grande scène aux nouvelles compagnies.
Cette ouverture, c’est celle, au fond, d’un théâtre dans la vie : d’un théâtre qui est aussi, et peut-être surtout, lieu de littérature, de pensée et de recherche. Là où George Steiner, Giorgio Agamben, Slavoj Zizek, Peter Sloterdijk, vont s’exprimer. Là où Mahmoud Darwich, pour la dernière fois, se présente à ses lecteurs dans la vie de son corps. Là où le meilleur de chaque rentrée littéraire est lu, théâtralisé, dans un dialogue entre l’acteur et l’auteur. Là où des colloques célèbrent et étudient Genet ou la tragédie grecque.
Un théâtre dans la vie, un théâtre dans l’espace public : de là proviennent tant des décisions controversées du directeur, tant de ces décisions qui font que l’Odéon respire aujourd’hui. Car s’il est dans la vie, il est dans la ville : est-il besoin de mentionner les nombreux partenariats qui ont permis au théâtre d’être ouvert entre Noël et le Jour de l’An, avec des spectacles de jeunesse pour les enfants qui ne partaient pas en vacances ? Besoin de mentionner les associations avec des lycées, qui ont permis à un théâtre que d’aucuns considèreraient comme expérimental de trouver dans les adolescents ses spectateurs les plus passionnés ? Enfin, est-il encore nécessaire d’évoquer les productions hors les murs, par lesquelles Olivier Py a innervé de théâtre, du texte d’Eschyle, les espaces les plus inattendus ? Et ce depuis trois ans déjà…
Succès critique. Succès public – avec des taux de remplissage considérables. Succès politique, enfin. Ou plutôt, et surtout, succès démocratique, succès de l’espoir en la réceptivité du plus grand nombre.
Les rumeurs qui grondent aujourd’hui, ces rumeurs d’un changement contre le changement, apparaissent bien sombres. Les conditions dans lesquelles la décision semble se prendre, loin de tout débat, de tout espace public, sont si éloignées de la vision du théâtre que défend, à ce jour, l’Odéon, si éloignées qu’elles donnent naissance à un paradoxe frappant.
Envisager de remplacer une direction qui œuvre avec passion pour une démocratie du théâtre, dans ces conditions particulières, semble bien peu démocratique.
Ne serait-ce que l’envisager est dommage. Espérons que cela n’aille pas plus loin.
Sur le fond, tout à fait d’accord, Olivier Py a réussi un travail remarquable à l’Odéon. Mais, tout de même, son ouverture aux réalisateurs européens, la MC93 le fait à Bobigny depuis 10 ans dans un silence critique un peu assourdissant… je vous signale qu’Arpad Schilling y a montré pratiquement tous ses spectacles en hongrois (puisque vous en parlez), dont certains comptent parmi les plus belles choses que j’ai pu voir au théâtre. Donc défendons Olivier Py contre une décision arbitraire et injuste (et incompréhensible) mais avec les bons arguments…