Avec Bug Made in France, Olivier Poivre d’Arvor, écrivain et diplomate, directeur de France Culture, réussit un tour de force : écrire sur le déclin français, montrer comment les États-Unis ont remporté la « guerre culturelle », expliquer enfin précisément les logiques conduisant à la torpeur hexagonale en matière de création, tout cela sans jamais que le propos développé ne soit lassant. Car l’écueil du déjà-vu-déjà-lu en matière de pensée du déclin paraissait, avant lecture, insurmontable tant le déclin culturel de notre pays avait déjà été traité par diverses plumes de Droite comme de Gauche, par des étrangers francophiles et autres self-hating nationaux invariablement, insurmontablement pessimistes.
Dans ces conditions, devant l’abondance de littérature consacrée, que dire de plus sur le déclin et comment donc le faire ? Sous un angle original, celui du diplomate français qui au gré de ses pérégrinations africaines, américaines, toulousaines (!) chronique la chute de sa culture. En écrivant également, non pour les Français qui ont déjà entendu ce discours et le connaissent par cœur car, ils en sont finalement les victimes (et souvent les premiers responsables) mais aux Américains, ces grands bénéficiaires de notre endormissement généralisé. L’essai commence d’ailleurs par un glaçant « Ave César, ceux qui vont mourir te saluent » bientôt politiquement-correctement révisé en « Namaste » bouddhiste afin de ne pas trop vite heurter les lecteurs les plus patriotes!
Allons au fait, sans excessives circonvolutions. Le déclin est bien là et l’on n’y pourrait (presque) rien changer. Écrit dans une langue vive et moderne – presque américaine dans l’esprit – Bug Made in France se lit et se comprend en deux temps. En premier lieu, celui du constat. L’auteur commence par lister tous ces champs d’activités dans lesquels notre pays a pris un cruel retard : la création artistique (comprenant cinéma, musique, littérature, théâtre) qui ne serait dans son immense majorité qu’un produit hyper subventionné existant grâce au bon-vouloir magnanime de la subvention étatique. L’Internet, évolution technologique majeure sous-estimée par la France du Minitel et bientôt supplantée par Google, Yahoo, Wikipedia, le MP3, l’iPhone, le Blackberry, l’Ipad et autres tablettes Ipad et Kindle à-tout-faire. Enfin, plus géopolitique, le recul de la Francophonie, la faiblesse de notre Politique extérieure et l’antiquité de nos reflexes diplomatiques. L’auteur finissant (nous achevant) par quelques sombres passages sur l’explication des torts cette fois continentaux en matière de politique culturelle européenne. Voilà pour le sombre tableau. Passé le temps du chiffre et de la statistique, vient le temps de la réflexion. Pourquoi donc notre grande et si belle culture perd du terrain jusqu’à ne plus exister aux yeux du monde ? Car elle est rigoureusement élitiste. Difficile d’accès. Qu’elle se mérite… En France la culture ne se vit que comme privilège. Rappelons-nous à ce titre les mots justes, tellement français, de Pierre Bourdieu : « le désir de culture est un désir cultivé ». Voilà bien la racine du problème selon Olivier Poivre d’Arvor, cette fascination d’une culture vécue comme privilège, difficile d’accès par principe alors qu’en face, les Américains exportent un way of life infiniment plus souple et sans contrainte, une quasi-culture clé-en-main ! Résumons donc : d’un coté la vision française d’une culture qui se mérite, se transmet « du maître souverain à l’élève avide de savoirs ». Cette idée aussi que le concept français de Culture est « nécessairement (chose) un peu, beaucoup, passionnément difficile. Que c’est du travail, de l’effort et pas du loisir. Que, donc, ce n’est pas pour tout le monde ! ». De l’autre, du coté américain, en agaçante et presque totale contradiction, cette culture du Cool génialement simpliste. Poivre D’Arvor écrit à destination des Américains: « La culture, avec vous, c’est devenu simple, agréable, c’est quand on veut, aussi longtemps ou brièvement, chacun pour soi, c’est une chose puis une autre, puis une autre encore, ici et ailleurs, sans contrainte, toujours renouvelée, avec du son, des images, du texte et un écran, le plus souvent, bien sûr ». La culture en chantant… Évidemment, face à la conception américaine, l’idée élitiste de Culture française ne séduit plus, il faudrait en effet être fou sadique et masochiste pour vouloir appliquer les solutions intellectuelles d’hier au monde de demain !
Et pourtant il fut bien un temps où l’Europe, le Monde parlaient et réfléchissaient en français. Si cela n’est plus possible aujourd’hui c’est bien car notre pays n’est plus depuis longtemps l’origine de la pensée et du progrès. Voyez comme la France accueillait hier le monde. Voyez maintenant comme ils sont rares les créateurs à se précipiter aujourd’hui à Paris, Lyon, Marseille pour créer. Considérez donc Saint-Germain-des-Près, jadis lieu d’effervescence et de débat, s’enfonçant désormais dans un destin de quartier musée : on y croise peu de créateurs et beaucoup trop de profitants vaniteux. S’il n’y avait qu’une image à garder du déclin culturel et artistique de la France, ce serait sûrement celle-ci. Comparé à une ville de New-York, capitale du monde où l’on retrouve toutes les cultures assemblées, comparée à une Silicon Valley carrefour de synergies construisant aujourd’hui le monde de demain, on est saisi d’effroi. Nous, Français, ne sommes plus qu’un confetti culturel alors que nous étions pourtant précurseurs de cette modernité qui désormais nous échappe. À qui la faute ? Selon Olivier Poivre d’Arvor, d’abord aux Américains qui mènent, même s’ils s’en défendent, une véritable guerre culturelle par les moyens de Soft Power pour asseoir un monopole d’influence à l’échelle de la planète. L’idée se défend parfois. Elle est souvent excessive. Que les choses soient claires pourtant : l’essayiste ne verse ni dans l’antiaméricanisme primaire ni dans le conspirationnisme facile. Il l’écrit lui-même : « Je veux bien croire d’ailleurs que la Maison Blanche ne soit pas derrière ce tsunami silencieux d’une puissance unique dans l’Histoire du monde, j’accepte l’idée que le Président Obama et ses prédécesseurs, malgré ceux qui goutaient à la guerre des étoiles, ne se sont pas réunis, un matin, dans leur bureau ovale, pour décider que le monde allait tourner rond et sans échappatoire possible autour d’eux […] ». La faute donc aux Américains plus combattifs, novateurs et géniaux mais également aux Français qui n’ont pas su renouveler leur propre modèle. Une partie du problème réside véritablement dans cette absence de renouvellement, cette remise en question perpétuelle dont nous ne sommes plus capables alors qu’elle fait quasiment office de règle outre-Atlantique. Je contesterais à Olivier Poivre d’Arvor son ordre de classement des raisons de la capitulation française. Le monde parlerait davantage français si seulement notre pays produisait des artistes capables de parler au monde. Wikipedia se trouve être d’origine américaine mais finalement il aurait pu être d’inspiration française. Il aurait pu l’être si seulement on trouvait dans notre pays plus d’héritiers de Diderot et de d’Alembert. Rien a priori ne l’empêchait sauf le talent pur qui ne s’exprime pas ou ne peut pas s’exprimer dans nos contrées. Pareil pour notre musique, notre littérature, notre cinéma. C’est d’abord de la faute des Français si la France échoue à être universelle et malheureusement le mouvement ne semble pas vouloir s’inverser si l’on considère la montée constante des extrêmes politiques dans les sondages.
Dans Bug Made in France, Olivier Poivre d’Arvor propose en plus de son regard sur l’état culturel de notre pays quelques embryons de solutions. Parmi elles, la meilleure utilisation du formidable potentiel de la Francophonie (spécialement de l’Afrique où la pratique du français donne un second souffle à notre langue) et l’appui sur un projet culturel européen fort. On pourra au choix tout reprendre de sa démonstration ou n’en sélectionner que quelques passages incontestables. Reste qu’en lisant les mots de celui qui fut dix années durant responsable de la politique culturelle au Quai d’Orsay, on a l’impression de lire bien plus qu’un avis strictement personnel mais plutôt la voix d’un ambassadeur éclairé qui jouerait franc-jeu et abandonnerait un temps les habiletés du langage diplomatique pour nous décrire une vérité dérangeante. Rien que pour cela, Bug made in France est unique. Et pour la piqûre de rappel que l’essai nous administre, Bug Made in France mérite d’être lu, commenté, débattu.
Bug Made in France, ou L’histoire d’une capitulation française
Olivier Poivre d’Arvor
Editions Gallimard
Pourquoi faut-il que la vivacité de la culture française soit mesurée à la force de son « influence mondiale » ? C’est cela la vraie question. L’analyse qu’un Olivier P. d’Arvor peut faire de la culture française est à considérer du point de débat où Poivre se situe. Que croit-il qu’il est ? Qu’a t-il fait ou cru faire pour le bien de la culture française avant qu’il ne soit l’analyste du déclin de la culture française ? Il s’est voulu (jusqu’à ce que on lui préfère un autre à la tête de Culture France) le grand conquérant du territoire culturel français hors de France. Le bilan de l’AFAA et de Culture France, sous Poivre d’Arvor montre bien que la préoccupation culturelle des cultureux français est la conquête de territoires culturels plutôt de développement culturel. Une culture qui se développe en vivant et en croyant en elle même évolue forcément et puisqu’elle évolue, elle se renforce et s’impose. Ce n’est pas le contraire qui arrive. La France culturelle (institutionnelle) pense qu’il faut conquérir des territoires pour ensemencer et développer la culture française (parfois en niant les cultures des territoires conquis) et se faisant elle emploie des méthodes qui rappellent, hélas d’autres conquêtes… La culture américaine ne nie pas les cultures (en l’occurrence la culture française) elle s’impose aux français et aux autres sans intention colonisatrice mais avec sa force acquise sur son propre territoire en raison de ce qu’elle représente pour tous les américains.
Gilles Hertzog
Je n’ai pas lu, faute de temps ces derniers temps, le livre de Poivre. Et c’est donc sur ce qu’en dit cet article que je réagis.
Que la culture américaine (exception faite de la culture universitaire américaine absolument sans égale), dont l’essentiel est une sous-culture de masse, soit d’un accès facile et puisse donc aisément (hélas) s’exporter, en quoi cela en fait-il pour autant un modèle en soi ? Qui y a-t-il là qui doive nous faire déprécier la culture française, parce qu’elle serait trop « haute » et donc pas de taille à lutter, inexportable ? La diffusion, le succès, seraient-ils les plus larges, les plus partagés, sont-ils des critères d’excellence ? Que le vulgaire, le sexy, le trash, le djeunes’, le « live », la Zik, le jeans’ l’emportent sur le culturé, sur l’art, le livre, le pensé, l’érotique, le pantalon, le vin, rien que de très normal. La seule chose est de s’en protéger, pas de rêver à le concurrencer, encore moins de renverser le courant. Les individus comme les peuples, coupés de la culture « haute », en raison de la domination sociale ou politique où ils se sont trouvés, et qui sont jetés en deux générations dans la modernité mondialisée et le monde des choses par le capitalisme consumériste, vont très normalement (très tristement ; je le ressens comme chacun) au plus facile, qui est en même temps le moins cher, le plus à portée de main, le plus clinquant, le plus basique et le plus « universel ». Rien que de très normal, même si c’est, de l’Inde aux Inuits, à en pleurer. C’est certes une immense perte, une immense catastrophe que cet arasement universel au détriment de la beauté, de l’écologie et la richesse du monde. Un même monde marchandisé, fait des mêmes paysages urbains et d’hommes toujours plus semblables, s’ébauche d’un bout à l’autre de la planète. Mais nous n’y pouvons plus rien. La guerre, au plan mondial, est perdue. L’Amérique, la culture américaine, ses moeurs sont sur-dominants. Il ne sert plus à rien de le déplorer pour nous, qui sommes encore (relativement) épargnés. Je plaindrais plutôt l’immense majorité des Américains, aliénés à la société du spectacle, écrasés par la désublimation répressive qu’a analysée Marcuse, même si leurs moeurs culturels l’emportent sur nous et se déversent d’abondance dans le reste du monde. Et je plains bien plus que nous tous ceux qui, dans le monde, balancent allègrement des pans entiers de leur moeurs et de leurs cultures, dans une extase de liberté nouvelle et d’accès à la modernité (« Ah, boire enfin du Coca-cola, respirer la liberté ! ») pour revêtir, sous couvert d’universel, les sous-oripeaux de l’américanité marchande. Je n’ai pas le moindre complexe vis-à-vis de la culture américaine, qui n’a jamais produit l’équivalent d’un Proust ou d’un Jean Genêt ou, oui, d’un Godard, mais « seulement » et au mieux un Woody Allen. Je n’envie pas grand’hose de l’Amérique, où, ce qu’elle a de meilleur et d’estimable, vient d’Europe (et d’Afrique). Je préfère « ma » culture française minoritaire, élitiste et chic, à leur sous-culture démocratique, et je me moque bien (tout en riant jaune) que la France soit devenue ultra-minoritaire dans le monde. Que l’américanisme domine le monde, tant pis pour le monde. La seule question, c’est : peut-on limiter ici, à domicile, par de la contre-culture « française » l’envahissement de la sous-culture américaine. Or mettre des lignes Maginot, des remparts, qui plus est culturels, n’a jamais empêché une invasion, qui plus est, parfaitement indolore et « soft ». C’est là où le cercle devient vicieux. Une culture complexe ne se défend d’une guerre culturelle qu’en se mettant à la hauteur, en répliquant avec la même puissance culturelle que la culture qui « l’agresse ». Il faudrait que la « Culture France » s’exporte autant ou presque que la Culture Amérique, pour refouler l’entrisme de cette dernière ne serait-ce qu’en France. Or c’est, par nature impossible : une culture « basse » l’emportera toujours sur une culture « haute », le facile sur le difficile, le simple sur le complexe, l’Entertainment sur la culture stricto sensu. A moins de copier l’Amérique, style Luc Besson (et la copie sera toujours moins bonne que l’original) et de nous situer sur son propre terrain et donc de ne plus nous distinguer en rien -et alors, à quoi bon ?-, nous sommes donc condamnés à un destin culturel de résistants et d’Happy Few. Pourquoi pas ? Sauf que, faute de riposte à sa mesure, à la mesure de l’adversaire, la sous-culture dominante grignote chaque jour son ainée dominée et que celle-ci se réduit peu à peu à une peau de chagrin, à quelques ilots plus ou moins protégés et protégeables. On a vu cet été dernier une gigantesque Pub Coca-Cola recouvrir toute la façade du palais des Doges à Venise. Sans que la foule des estivants, eux-mêmes coca-colisés, n’y trouve plus rien à redire. C’est ce dernier fait qui était tragique, bien plus que sa cause.
@ Sophie. Il n’est pas question de « dénigrement » de la France, je crois. L’auteur ne demande qu’à mettre en valeur la culture française.
Et le constat est indéniable. Les USA ont écrasé l’influence de la culture fançaise dans le monde.
Il faut maintenant penser une culture française 2.0.
L’explication est un peu courte : la culture américaine est facile d’accès et peu contraignante tandis que la culture française est plus complexe , nécessite un bagage conséquent.
Cela n’a aucun sens car ici on mélange les deux branches de la culture : la culture dite savante et la culture dite populaire. On compare la culture savante française à la culture populaire américaine ce qui nous donne évidemment l’avantage. La culture populaire française est tout aussi simple d’accès qu’Outre-Atlantique, nous ne sommes pas les derniers quand il s’agit de se placer au raz des pâquerettes. La culture savante américaine est extrêmement riche et n’a pas à rougir devant la nôtre. New-York regorge de musées et de salles d’expos mondialement connus et les universités américaines trustent le classement de Shangaï.
Quand cinéma français qui serait en perdition, la France se classe tout de même au troisième rang mondial en terme de production, derrière l’Inde. Pas si mal vu les mastodontes économiques et démographiques qui nous précèdent.
Le dénigrement de la France n’apporte rien. La francophonie ne pourrait être victorieuse face aux déchets digestes américains. Toutes les langues dites minoritaires en pâtissent. Pourquoi il serait différent avec la France????
L’idée d’appartenir à une communauté linguistique en perte de vitesse n’a aucune espèce d’importance.
La pensée a la faculté de s’alimenter et de s’exprimer dans toutes les langues.
A quoi sommes-nous attaché?
C’est la Renaissance italienne qui a permis à la France d’aller vers un XXVIII ème siècle lumineux.
Les cultures sont mouvantes, suivons le mouvement. New York n’est déjà plus le phare culturel, mais elle a ensemencé la nouvelle Shangaï…
Un jour peu être reprendrons-nous le relais ?… c’est peu probable sous cette forme … D’ailleurs la culture de réseau risque de lisser la géographie des cultures…
C’est une guirlande autour du monde qui s’organise et ses ampoules s’allumeront dans un ordre aléatoire suivant le bouillonnement de la créativité… nous ne pourrons plus nous venter d’une quelconque nationalité… et c’est tant mieux !!!
Il est vrai que la façon dont les américains appréhendent leur rapport à la culture est bien plus simple que la France.
J’y ai habité et ils ne font pas, comme nous, de différence entre « divertissement » et « culture ».
La culture c’est AUSSI divertissement.
En France la « culture » n’est que pour les intellectuels. C’est un tord.
Tandis que nous avons Godard eux ils ont Woody Allen. Là est toute la différence.
Qui parle de capitulation ? C’est ne pas croire en la formidable capacité d’une langue à vivre dès lors qu’elle est soutenue. Et c’est là l’objet d’une attention qui ne faillira pas, soyons-en convaincus.
Je ferai un parallèle avec les langues régionales qui résistent aujourd’hui en France. Le français a failli les tuer toutes, mais une résistance s’organise… Et comment ne pas croire que les français ne résisteront pas ? D’autant que nous sommes tous plus ou moins fâchés avec les langues étrangères.
S’il y a une langue en danger, c’est bien l’anglais, déformé par des millions de locuteurs qui baragouinent une langue qui n’est pas la leur.
Les anglais et les américains seraient-ils vainqueurs contre tous ? Pas les américains qui, dans leur grande majorité ignorent tout du monde, jusqu’à ne pas savoir placer l’Europe sur une mappemonde. Ou alors c’est l’ignorance qui l’emportera sur la connaissance ?
Je veux bien qu’on cède au pessimisme parfois, mais non non et non !!!