Le monde entier a été surpris par les événements qui ont surgi ces dernières semaines dans le monde arabe. Ce monde arabe considéré par paresse intellectuelle et préjugés théoriques comme un ensemble historiquement condamné à l’autoritarisme, au piétinement des droits élémentaires, à la prédation des richesses et aux discours démagogiques. Cette vision a été balayée non seulement dans un petit pays comme la Tunisie, à la jeunesse éduquée et aux femmes imprégnées de modernité, mais aussi en Égypte, le plus grand pays arabe, aux masses miséreuses considérables et à l’armée si puissante. Et alors que les jeunes, en premier lieu, mais aussi toutes les classes d’âge et tous les milieux sociaux sont descendus dans les rues et ont obtenu leurs premières victoires, d’abord vaincre la peur, personne n’avait rien vu venir. Et surtout pas la capacité dans ces deux pays d’aboutir au départ de leurs autocrates respectifs.
Ce mouvement a des répercussions dans de nombreux pays. Au Soudan la mobilisation pour les libertés et contre l’austérité est réprimée sévèrement par un pouvoir ayant à sa tête Béchir, accusé par la Cour Pénale Internationale de crimes de masse. Au Yémen, en Algérie, en Jordanie… l’agitation bouillonne, initiée par la jeunesse locale utilisatrice du web.
La classe politique française qui avait ses habitudes et ses proximités avec les dictateurs et les profiteurs de ces régimes est bousculée. François Fillon et Michèle Alliot-Marie ne sont pas les premiers, loin s’en faut à avoir profité de cette « hospitalité » durant leurs vacances. Mais ni le Premier ministre ni la chef de la diplomatie française n’avaient anticipé la déferlante contestatrice sur leurs lieux de villégiature. Ce qui en dit long sur l’indigence de l’information réelle en possession des plus importants décideurs politiques.
Le plus haut sommet de l’État ne pouvait être éclairé par les enquêtes des journalistes ou les analyses des experts qui se succèdent maintenant sur les plateaux de télévision et aux émissions de radio, mais qui n’ont jamais soupçonné l’exigence démocratique qui travaillait en profondeur les sociétés arabes. Et la maîtrise d’Internet par les jeunes urbains à travers tout le monde arabe symbolise fortement l’irruption de cette région dans la mondialisation.
Les anciens patrons du Quai d’Orsay, eux aussi conviés à débats et tables rondes, relayés complaisamment par « les spécialistes » de la région, ont eux aussi vu leur certitude de la « centralité exclusive » du conflit israélo-palestinien pour la rue arabe voler en éclats : les manifestants réclament le pain et la liberté.
Rappelez-vous le mépris avec lequel les autorités gouvernementales et leurs conseillers qualifiaient de « droits-de-l’hommisme », l’insistance des militants et d’organisations qui luttent pour le respect des droits fondamentaux en Afrique, en Asie… Souvenez-vous de tous ces supplétifs intellectuels des régimes autoritaires, issus des rangs de la gauche comme de la droite, y compris dans les milieux humanitaires, qui nous contaient à l’instar du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, que ces droits ne sont pas universels car occidentaux.
Comment ne pas saluer l’aspiration des manifestants aux droits démocratiques essentiels : la liberté d’expression, le désir d’élections libres, de plus de justice sociale et de moins d’arbitraire à tous les niveaux de la société…
Évidemment, il est légitime de se soucier de l’instrumentalisation de cette aubaine démocratique par des forces profondément réactionnaires comme les Frères musulmans dont on ne connaît pas la force réelle. Mais en vérité, personne ne sait vraiment ce qui va se passer.
Alors que faire ?
Tous ceux qui aspirent à la paix et au développement dans le monde arabe devraient accompagner et encourager cette évolution pour ne pas dire cette révolution. La longue marche vers des régimes plus démocratiques, plus partageux des richesses ne sera pas linéaire. Sans doute même y aura-t-il des arrêts et même des retours en arrière. Mais plus rien ne sera plus jamais comme avant. Le vieux monde arabe est en train de mourir mais on ne voit pas encore comment sera le nouveau.
Les sociétés civiles occidentales ont une contribution majeure à y apporter. Les échanges à travers les technologies modernes de l’information et leurs réseaux sociaux peuvent fortifier l’élan des jeunes arabes et leur soif de communiquer et de s’informer, les associations et les ONG peuvent contribuer à l’émancipation des femmes et aux droits des personnes ; les universités devraient établir des programmes ambitieux de coopération avec leurs homologues arabes, la presse et l’édition devraient stimuler l’éclosion de nouveaux organes d’expression indépendants dans la région…
La tâche est immense et il est urgent d’agir. N’insister que sur les réserves et les appréhensions d’une mainmise islamiste sur la révolte arabe n’aide en rien la situation sur le terrain et risque de désespérer les protagonistes notamment les jeunes qui aspirent aujourd’hui à un véritable État de droit. Ce serait en réalité favoriser la prédation de ce mouvement par les puissances les plus obscures.
Oui, les peuples arabes devaient de toute façon en passer par cette étape révolutionnaire. Ce que l’expérience historique nous autorise à rappeler sans faire la fine bouche, c’est deux choses. La première est que toute révolution est menacée par essence d’une dynamique extrémiste contraire à la liberté. La seconde est que ce sont les droits de l’homme qui sont l’essentiel, et non le vote majoritaire qui peut meur être soit conforme soit hostile.
[…] Lien de l’article: https://laregledujeu.org/2011/02/15/4736/revolte-arabe-leur-espoir-et-le-notre/ […]