A l’initiative de la France, de l’Allemagne et de l’Union Européenne une réunion des pays donateurs en faveur de l’aide humanitaire au Soudan s’est tenue le 15 avril à Paris. Près de 2 milliards de contributions ont été enregistrées. C’est un succès encourageant, mais encore loin des 3.8 milliards nécessaires selon l’ONU pour ce pays dévasté par une guerre civile impitoyable. La Conférence a été convoquée en l’absence des belligérants soudanais. Elle a été doublée d’« un séminaire » des acteurs de la société civile soudanaise avec un statut non officiel.

La réelle difficulté est de pouvoir utiliser cet argent sur le terrain. L’accès humanitaire est difficile, dangereux et dans certaines zones impossibles. En l’absence d’accord entre les belligérants pour un cessez-le-feu, tout progrès humanitaire substantiel est illusoire. 

Pourtant il y a urgence absolue. Selon l’ONU,18 millions de personnes font face à une insécurité alimentaire grave et 730 000 enfants souffrent de malnutrition aigüe, tandis que 8 millions de personnes ont été déplacées. Les marchés et les stocks alimentaires sont pillés. Le système de santé est en grande partie détruit. Les enfants meurent de dénutrition ou faute de vaccins, les femmes sont victimes de viols. Les villages brûlés, des milliers de morts et la quête éperdue d’un refuge pour des centaines de milliers d’habitants au Tchad, en Egypte ou au Sud-Soudan voisins, rappellent les pires heures au Darfour. Ces éléments rendent indispensable une approche régionale de l’aide ce qui implique coordination internationale et souplesse pour une action transfrontières et l’ouverture de corridors humanitaires sécurisés.

Vingt ans après, le Darfour brûle toujours. L’incendie a gagné maintenant tout le Soudan. Et les pyromanes restent les mêmes : ce sont les Forces Armées Soudanaises (FAS) dirigées par le général al-Burhan et les Forces de Soutien Rapides (RSF) menées par le général Héméti (un ancien chef des Janjawid, la milice armée des tribus nomades arabes du Darfour qu’il a transformé en une véritable armée grâce aux subsides de différents trafics et sa conquête de mines aurifères). Les deux s’affrontent pour le pouvoir absolu et ils saccagent le pays.

Comment le Soudan en est-il arrivé là ?

Depuis le Coup d’Etat de 1980, ce pays multi-ethnique et multireligieux est gouverné par l’armée aux mains d’Islamistes proches des Frères Musulmans. Le maréchal-président, Omar el-Béchir a instauré une dictature militaro-islamiste. Il a ignoré toutes les demandes de décentralisation et de partage des richesses des zones périphériques et a mené le pays à une succession de catastrophes. La clique au pouvoir a usé de violence et de prédation aux seuls profits des clans arabes de la Vallée du Nil où se trouve Khartoum, la capitale.

Le Sud du Soudan, après une lutte sanglante durant plusieurs décennies, a obtenu une partition en 2011, emmenant avec lui une grande partie des ressources pétrolières. Les Noubas du sud-Kordofan, victime des atrocités du régime, sont en situation d’autonomie armée et évoquent maintenant leur indépendance. 

L’enrôlement de miliciens issus des tribus nomades arabes du Darfour et de pays voisins, les Janjawids, a été un élément déterminant pour chasser de leurs terres ancestrales les cultivateurs noirs africains four, zagahawa et massalit, aboutissant à un nettoyage ethnique. Koffi Annan, alors Secrétaire Général de l’ONU, avait qualifié « d’enfer sur terre » la tragédie des civils. Les habitants du Darfour ont subi des exactions de masse à un point tel que la Cour Pénale Internationale (CPI) a lancé un mandat d’arrêt à l’encontre de Béchir et de plusieurs dirigeants, les accusant de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et, pour Béchir, de génocide. Des meurtres innombrables continuent à y être perpétrés, en particulier ceux récents de 10 000 à 15 000 civils Massalits par les RSF à El Génina. Le président kényan, William Ruto en charge de l’association des pays de la Corne de l’Afrique, l’IGAD, a constaté dès juin 2023 « qu’il y avait déjà des signes de génocide ». « Nous avons devant les yeux les résultats de ce climat d’impunité » a regretté le procureur de la CPI.

La gestion calamiteuse du pays et les difficultés économiques ont entraîné à la fin de l’année 2018 une immense mobilisation, notamment chez les jeunes, les femmes et les organisations professionnelles. Cette « révolution soudanaise » pacifique a suscité des grands espoirs de changement démocratique. Les manifestions monstres et la désobéissance civique, d’abord réprimées dans un bain de sang, ont finalement conduit l’armée à déposer Béchir et à l’incarcérer le 11 avril 2019. Il demeure néanmoins sous sa protection dans un hôpital militaire et n’a pas été extradé vers la CPI.

Un gouvernement dirigé par un économiste, Abdallah Hamdok, a fini par être mis en place. Mais les militaires du général al-Burhan, alliés à Héméti et ses miliciens, n’entendaient pas lâcher le pouvoir et son système de domination autoritaire. Ils ont miné l’action réformiste du gouvernement de Hamdok. Celui-ci a fini par démissionner, en déclarant que « la survie du Soudan était menacée ». Il avait raison. Le général al-Burhan à l’issue d’un putsch militaire en octobre 2021 a dissous le gouvernement transitionnel et pensait avoir pris l’ascendant sur Héméti.  Erreur ! Les deux camps en uniforme finirent par s’opposer frontalement et déclenchèrent une guerre civile destructrice.

La communauté internationale est paralysée face à la plus énorme crise de déplacés et une famine galopante, alors que les regards sont tournés vers l’Ukraine et Gaza. L’ONU et ses agences humanitaires sont défaillantes pour endiguer le chaos. Les initiatives diplomatiques variées échouent et gagneraient à se rassembler pour gagner en efficacité. 

D’évidence le Droit International Humanitaire est bafoué par les protagonistes qui ont une longue tradition d’exactions à l’encontre des civils. Sous l’égide de l’Arabie Saoudite et des Etats-Unis, ils s’étaient pourtant engagés à Jedda en mai 2023 à le respecter…Des sanctions devraient se multiplier sur les responsables.

Les Emirats Arabes Unis et le groupe russe de Wagner, qui lorgne sur les mines d’or, appuient les miliciens RSF d’Héméti. Les FAS de al-Burhan reçoivent armes égyptiennes et drones iraniens. Un premier pas utile serait un embargo international sur les livraisons d’armes.

Sur le terrain, avec des moyens précaires, des volontaires organisent une solidarité de proximité comme des soupes populaires ou des soins de base que le président Macron a salués, soulignant que « cette force et ce courage obligent chacun d’entre nous, et cette jeunesse, et à travers elle, l’ensemble de la population, doit savoir que nous sommes très clairement à ses côtés ». Regroupés sous le nom d’Emergency Response Room, ce mouvement de citoyens, très actif, mériterait non seulement des paroles de soutien mais aussi un appui matériel. Avec les forces d’opposition politiques, ils représentent le seul espoir d’un changement vers la paix, la démocratie et un Etat de droit pour tous les Soudanais et Soudanaises.


Dr Jacky Mamou, président du Collectif Urgence Darfour

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