Jusqu’à récemment le gouvernement soudanais clamait qu’il s’opposerait à la partition du pays, puis qu’en cas d’indépendance du Sud il renforcerait la charia dans le Nord, enfin il « signe » avec le président des régions méridionales un accord d’entente à priori. Il y a là à s’interroger.
Le premier élément de réponse est dans l’équilibre de la terreur économique : le pétrole est au Sud et le pipe line est au Nord. Le projet de pipe vers le Kenya n’avance pas et l’huile minérale ne se boit pas.
Deuxième élément, le Nord a à faire face aux conséquences de sa politique avec ses provinces à l’Est chez les Béja et à l’Ouest chez les Darfouris et se trouverait en difficultés s’il ouvrait aujourd’hui un nouveau front au Sud : il garde le souvenir des vingt ans de guerre sans succès (même s’ils ont fait deux millions de morts) avant que les pétroliers aient réussi à imposer en 2005 un calme qui leur permet d’exploiter la manne des hydrocarbures. Rappelons d’ailleurs le rôle du président du JEM (Mouvement pour la Justice et l’Égalité) aux côtés des forces soudanaises à l’époque : on s’entendait entre islamistes sur le dos des chrétiens noirs, les anciens esclaves.
Mais personne n’est dupe et surtout pas les signataires de cet accord qui le savent bien intérimaire. Le sudiste Salva Kiir annonce le départ des Darfouris armés de son territoire mais ce sont ses seuls alliés. Tout est une question de temps : le Nord ne laissera ni le pétrole ni les terres, premières productrices mondiales de gomme arabique (bien hautement stratégique) lui échapper. Le Nord a tellement l’habitude d’utiliser des supplétifs et autres Djandjawids qu’on va inévitablement les revoir prochainement dans les territoires du Sud et surtout autour d’Abeyei. Quelles sont les grandes manœuvres souterraines ? On a « entendu parler» dans la presse de réunions des rebelles du Darfour et de la présence d’agents britanniques (pas de français). John Kerry est passé à Juba… puis Béchir lui-même.
Bien sûr les « négociations » de Doha pour le Darfour devaient permettre de gagner du temps, de signer un papier qui aurait laissé les mains libres au tyran de Khartoum de se retourner contre le Sud mais même les groupes formés pour cela n’ont pas signé. D’ailleurs qu’avaient-ils à négocier sinon des prébendes car il n’est pas question de partage et de démocratie. De toute façon, ici on connait bien la valeur d’un accord, le SLM (Mouvement de Libération du Soudan) avait bien essayé à quatre reprises, le JEM aussi dont la signature lui avait valut comme autrefois le SLM (en 2003 et 2004) des bombardements sans parler de Minni Minawi… Puisque la manœuvre n’a pas réussi, il n’y a pas d’intérêt à poursuivre et le gouvernement soudanais s’est retiré du Qatar. Pour mémoire il n’y a (au pointage ONU de 2008) que 300.000 morts (il y en avait eu 2 millions dans la guerre avec le Sud) et 2,7 millions de réfugiés et déplacés pour lesquels le président Béchir avait gagné un mandat d’arrêt international pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime de génocide ; une paille !
George Clooney, dont il faut saluer le courage et la ténacité, va organiser avec Google un système de surveillance satellite public de la région pour suivre les expéditions et les exactions de l’armée soudanaise ; cette armée n’aura donc plus besoins des éventuelles données chinoises et russes pour suivre les déplacements de ses opposants ! L’enfer est pavé de bonnes intentions ; à force de ne pas vouloir prendre d’autre position que celle de la bonne conscience et ne pas prendre la mesure des causes politiques de la catastrophe humanitaire… on emboite inévitablement le pas des Nations Unies dont l’objectif n’est pas la paix mais le silence des canons.
Reste qu’il avait à Paris le président du SLM, un mouvement qui appelle à un Soudan démocratique et laïc, et qu’il y avait subi d’incroyables pressions pour aller à Doha… La France continue à appeler à des négociations dans une salle vide d’interlocuteurs. D’une part elle n’a jamais eu l’oreille du gouvernement soudanais et d’autre part n’a jamais aidé les résistants, pas même pour la formation de cadres ; bref, une politique perdant perdant. En la matière, la France est rarement en manque pour rater un métro. Elle a même salué le calme des élections soudanaises qui furent un tel simulacre que les observateurs internationaux avaient quitté le pays en signe de protestation. Au contraire de ce qu’on peut voir pour la Côte d’Ivoire il n’y a pas eu de grande crise pour le Soudan ni pour l’Iran ; ce doit être le courage des faibles à moins qu’il y ait d’autres intérêts.
*Richard Rossin est ancien secrétaire général de MSF, co fondateur de Médecins du Monde.
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