Régis Jauffret fait l’objet d’une assignation de la famille d’Edouard Stern, tué, le 28 février 2005, par Cécile Brossard – qui a été définitivement libérée le 10 novembre 2010.

Il est demandé, sept mois après sa publication, l’interdiction pure et simple de son roman, « Sévère », inspiré par cette affaire, et paru aux Éditions du Seuil le 4 mars 2010.

Or « Sévère » est, sans conteste, un roman. C’est à dire une oeuvre de fiction. C’est à dire un texte qui, même si l’imaginaire se nourrit toujours du réel, n’entend évidemment pas rendre compte de manière factuelle de la réalité.

De nombreux articles, des livres à prétention documentaire, souvent injurieux ou diffamatoires envers la victime, ont été publiés depuis le meurtre sans avoir fait l’objet d’aucune plainte. Et c’est à l’œuvre de fiction, au travail de l’écrivain, qu’est étrangement réservé le douteux privilège de cette attaque et de cet appel à l’interdiction.

Si cet appel était entendu, si le Tribunal décidait, comme on le lui demande, de sanctionner Jauffret et son roman, s’il refusait à cet artiste l’élémentaire liberté sans laquelle il n’y a plus d’art, le livre disparaîtrait des librairies comme des bibliothèques; un acte de censure en bonne et due forme ruinerait l’œuvre d’un auteur comme elle le faisait à une époque que nous pensions, dans les pays démocratiques au moins, à jamais révolue; un précédent se créerait, auquel nous ne nous résignons pas et qui rappelerait le temps où l’on voulait brûler – pour ne parler que des plus grands – les livres de Jean Genet ou de Pierre Guyotat.

C’est pourquoi nous nous adressons, ici, à celles et ceux qui ont introduit cette plainte. Nous leur demandons solennellement de revenir sur une décision si évidemment attentatoire à cette liberté de créer à laquelle ils ne peuvent pas ne pas être, eux aussi, attachés. Nous leur demandons de renoncer à une initiative judiciaire qui constituerait un navrant et terrible précédent.

En demandant l’interdiction du roman, on ne répare pas le crime, on en commet un autre – contre l’esprit, celui-là.

Christine Angot, Frédéric Beigbeder, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Philippe Djian, Michel Houellebecq, Bernard-Henri Lévy, Jonathan Littell, Yann Moix, Philippe Sollers.

9 Commentaires

  1. Le bon sens serait de défendre la liberté des écrivain.
    Dommage qu’il ait besoin de pétition pour ça!

  2. Non à l’interdiction d’un roman en toute impunité, oui mille fois oui à l’expression de la fiction en toute liberté et à l’interprétation de la réalité par un grand et si bon romancier.

  3. au nom de la liberté de la création et de la fiction, je signe cette pétition de soutien à Régis Jauffret

  4. Solidaire avec la liberté…d’expression !!! ( et non, comme c’est de mode, de prôner la liberté de sonner l’hallali envers quiconque voire de « libérer » la parole de quelques négationnistes…).

  5. On ne voit pas en quoi une oeuvre littéraire qui donne à voir quelques facettes d’une réalité complexe… donc à comprendre, voire à compatir (au sens noble, littéral) serait plus attentatoire à l’image de la famille Stern que les divers articles produits par la presse au moment de l’affaire. La liberté d’information peut certes déranger mais c’est un droit reconnu, en tous cas dans certains pays. Même s’il arrive d’en pâtir.
    Il semblerait que la liberté d’expression de l’écrivain inquiète beaucoup plus, ce qui rassure paradoxalement quant à l’importance – parfois moquée – des intellectuels, écrivains, artistes…
    Raison de plus pour soutenir Jauffret. Et tous les autres.

  6. Je souscris également à cette ardente requête.

    Le livre de Régis Jauffret est une œuvre visuelle soutenue par une prose habilement maîtrisée. Ce livre met en lumière une vérité trop niée : le roman est un prisme qui donne à voir mille interstices de la réalité, mille portraits d’un unique visage.

    C’est cette dé-multiplication qui est salvatrice. C’est cette opération de l’Esprit Sain – celui qui se donne la joie d’écrire – qui forme le rituel inaliénable de l’art du roman.

    Comme le souligne Umberto Eco dans le Nom de la rose (quatrième jour), si les livres ne parlent pas de l' »être réel », ils nous consolent en parlant de l' »être possible ».

  7. Je prie à l’instar des personnes nommées ci-dessus de renoncer à une initiative judiciaire contre Régis Jauffret
    merci

  8. En peinture, un portrait n’est pas une photographie, il en est de meme en littérature,la famille Stern a un comportement illogique .Je soutiens Mr R.Jauffret.