Une des difficultés des temps où nous vivons consiste sans doute en l’ambiguïté qui règne quant aux catégories.
Nous sortons d’une époque qui aime délimiter le front de chacun, aspire à séparer les corps d’armée: l’un sera à l’artillerie, l’autre à l’infanterie, le premier sera universitaire, le deuxième, journaliste, le troisième, homme politique, le quatrième, écrivain, le cinquième rêveur…
Mais certains réussissent à être tout cela à la fois, au grand dam des critiques acerbes, qui ne comprennent pas la cohérence présente derrière cette diversité, cette cohérence qui est la personne humaine.
Guillaume Métayer fait partie de ce clan très restreint, et rare.
Dans le domaine universitaire, il a accompli le parcours le plus honorable qui soit: normalien, agrégé des Lettres, docteur ès Lettres, il est aujourd’hui chargé de recherches au CNRS. Et dans ce champ d’action, il s’est révélé un des spécialistes de Voltaire les plus avisés, les plus savants, et, ce qui vaut bien plus encore, les plus créatifs.
En janvier sortira, chez Flammarion, la version réécrite, pour publication comme ouvrage lisible par tous, de sa thèse, qui, la première, a montré combien Nietzsche a été un amateur passionné du penseur français du XVIIIe siècle -une étude qu’a préfacée l’académicien Marc Fumaroli, qui, au-delà de ses prises de position publiques, demeure un des meilleurs spécialistes au monde de l’âge classique et des Lumières.
Une étude qui montre combien l’Allemand était français, jusqu’au bout des ongles. Une recherche universitaire qui, à partir de la discipline qu’est la littérature comparée, aspire à créer des ponts entre les savoirs, entre les écritures, entre philosophie et littérature, entre critique et travail académique.
Tant que nous sommes dans la partie « Université » de son parcours, Guillaume Métayer va aussi bientôt, ainsi que le notait Michel Crépu dans la Revue des Deux Mondes, consacrer une recherche aux positions politiques d’Anatole France.
Mais une question se pose: ce garçon, entre Anatole France et Voltaire, ne serait-il pas « empêtré » dans la froideur sèche d’une république des professeurs en déshérence?
La réponse est claire, et jusque dans l’extrême: non. D’une part, il a poursuivi ses activités dans des parutions plus ouvertes que les colloques scientifiques, collaborant notamment au Magazine littéraire.
De l’autre, il a été jusqu’à rejoindre des cabinets ministériels, dont, récemment, celui de Frédéric Mitterrand, qui parlait de lui en les termes les plus élogieux, dans un portrait publié par Le Monde Magazine.
Avant de se rendre compte que la véritable clef était, non dans l’agitation permanente de l’action, mais dans l’équilibre difficile et précieux entre la solitude et la foule, dans la compagnie de quelques uns, formule sacrée de l’ « otium », ce « loisir intelligent » des Latins, comme on le traduit en khâgne.
Enfin, et pour compléter ce portrait, Guillaume Métayer, à ses heures perdues, s’il y en a, est traducteur: après avoir « porté » l’œuvre du poète hongrois contemporain Istvan Kemény, il s’est lancé dans la transposition en français de morceaux choisis du légendaire Attila Joszef, qui vécut à Paris et fut la figure majeure de la littérature en Hongrie, au début du XXe siècle.
Ce volume, intitulé Ni père ni mère, et publié tout récemment aux éditions Sillage, est un pur joyau. Il a rarement été donné de lire plus belle poésie, et plus sensible translation, dans la lignée de la « traduction d’art » que Joszef pratiqua lui-même.
Le texte du poète doit bien évidemment être magnifique, mais la transposition en est superbe:
Les salades dans la rosée du soir
Frissonnent et murmurent sourdement.
Elles pourraient s’envoler avec des cris stridents
Mais elles lissent leurs plumes, avant de se rasseoir.
Ou, pour citer un autre passage, hommage à son ami le poète Andor Németh
D’une goutte d’eau bien pure
frottez-lui les yeux –
depuis trente-six ans que l’attend
à genoux le chameau aux bosses bleues.
Bravo le traducteur, et bravo l’artiste. Ah oui, on a oublié de la dire: à ses heures perdues, Guillaume Métayer est poète.
Qui donc a cru pouvoir parler, pour l’aujourd’hui, d’ « individus unidimensionnels »?