L’Amérique étant civilisation de l’audiovisuel, regarder la télévision constitue toujours une bonne façon de prendre sa température. Justement, la télévision américaine oscille entre infinie légèreté et extrême gravité selon que l’on passe des reality-shows abrutissants aux inquiétants news reports de grands networks.

Ces derniers jours, au delà du sujet récurrent des Mid-Term Elections dont il est régulièrement question dans ces chroniques, on retrouve les mineurs chiliens en haut de l’affiche et la crise économique dans tous les headlines. Une autre affaire cristallise les peurs et divise l’Amérique : celle du centre islamique qui doit se construire non loin de Ground Zero. Le sujet donne lieu à d’interminables débats et occasionne quelques dérapages comme celui de Bill O’Reilly, fameux polémiste conservateur officiant sur Fox News.

Sur le plateau de The View, talk show féminin où l’on retrouve notamment Whoopi Goldberg, Bill O’Reilly venait exposer ses vues sur l’installation de la fameuse mosquée qui déchaîne les passions. Après avoir avancé le fait que 70% des américains rejetteraient le projet d’installation d’une mosquée près de l’endroit où les tours jumelles se sont effondrées, Bill O’Reilly poursuit et prononce en plein brouhaha cette phrase lourde de sens : « Muslims killed us on 9/11 » (Les musulmans nous ont tué le 11 Septembre.). Stupéfaction ! Devant le scandale suscité par cette phrase suivra le départ de deux des chroniqueuses de The View, le tout sous un mélange de vivas et de huées du public.

L’extrait a fait le tour des chaines. L’Amérique entière a vu en live ou en différé cet épisode. Face à la pression grandissante des chroniqueuses désormais revenues sur le plateau, Bill O’Reilly corrigera quelque peu ses propos : ce sont bien des musulmans fanatiques qui ont détourné des avions et foncé sur les tours jumelles… Toute la journée sur Fox News, on commenta donc l’écart de langage tout en tentant de le minimiser. O’Reilly pensait-il vraiment ce qu’il a dit ? Sa langue a surement fourché. « O’Reilly is a good guy » a t-on ainsi entendu. Reste que ce dérapage s’il est choquant n’est peut-être pas si dramatique pour la Fox et son présentateur vedette : l’Amérique redneck, la frange non recommandable du parti républicain et autres membres du Tea-Party ne regardent Bill O’Reilly que pour son franc-parler et les débordements qu’il occasionne. Ils ont été servi…

Bien heureusement, la télévision américaine ne tourne pas autour de Fox News. Les idées progressistes sont même majoritairement représentées lorsqu’il s’agit de talk-show, spécialement ceux de seconde partie de soirée. Jay Leno, Conan O’Brien et surtout Jon Stewart utilisent tous cet humour satirique bien particulier pour véhiculer leurs idées démocrates. Plus intéressant encore, le cas de Stephen Colbert (ancien membre de l’équipe du Daily Show de Jon Stewart) qui parodie chaque semaine les talk-show conservateurs dans son Colbert Report. On y voit l’humoriste drapeau américain à la main cuisiner ses invités selon la bonne morale puritaine et tous les thèmes qui lui sont liés (anti-avortement, bigoterie, dénonciation des thèses de l’évolution, désintérêt pour les affaires extérieures). De l’aveu même de Stephen Colbert, le personnage qu’il interprète est « un idiot de haut-vol, bien intentionné mais très mal informé ». Le résultat est hilarant surtout lorsqu’on comprend qu’il s’agit d’une caricature de Bill O’Reilly (dont nous évoquions plus haut le récent dérapage). A l’heure actuelle, le Colbert Report est surement ce qu’il y a de plus drôle et de plus subversif à la télévision américaine. De l’humour politique bien senti loin, très loin de l’omni méchanceté lassante de quelques chroniqueurs français.

Un dernier mot enfin au sujet du Town Hall Meeting de Barack Obama devant une assemblée d’étudiants jeudi 14 octobre. La retransmission de l’évènement était assurée par MTV et BET. Il convient de s’attarder sur ce choix original. On sait à quel point le vote de la jeunesse fut force motrice de la campagne du candidat Obama. On sait également combien ce dernier a su capter le vote des plus jeunes électeurs grâce à son utilisation intensive de l’Internet et des nouveaux médias (Facebook, Twitter). A la veille de Mid-Term Elections qui s’annoncent compliquées pour les démocrates, voir le Président américain s’adresser aux jeunes et les encourager à s’inscrire sur les listes électorales relève évidemment du calcul politique. Mais au-delà des pures visées électoralistes de la manœuvre, voir Obama s’adresser sur deux chaines à dominante musicale dont l’une, BET (Black Entertainment), est ouvertement communautaire est une chose intéressante et surtout très éloignée des habitudes françaises. Venir parler aux jeunes là où ils viennent trouver leurs « produits culturels » est capital, surtout lorsqu’on apprend que la proportion des jeunes afro-américains et latinos qui dorment en prison est très largement supérieure à celle qui fréquente les universités…

 

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