Une sentence moyenâgeuse. Quel triste constat pour une civilisation qui a jadis été parmi les plus avant-gardistes au monde. Mais nous sommes en 2010. Et en Iran, en République islamique d’Iran, on lapide toujours.
Sakineh Mohammad-Ashtani a 43 ans. Le 15 mai 2006, cette Iranienne a été condamnée pour avoir entretenu « une relation illégale » avec deux hommes après la mort de son mari. La peine est terrible. 99 coups de fouets, une incarcération, mais surtout la mort, par lapidation.
En vertu du code pénal iranien, les relations sexuelles avant le mariage sont punies de 100 coups de fouet. Mais la donne change quand l’auteur est marié. Dans ce cas, c’est aux jets de pierre qu’il a droit. Le « coupable » est donc publiquement enterré, jusqu’à la taille s’il s’agit d’un homme, jusqu’aux épaules s’il s’agit d’une femme, qui ne peut donc rien face aux pierres lancées dans sa direction. Celles-ci doivent être suffisamment grosses pour la blesser. Mais attention, elles ne doivent pas non plus être trop grandes. Ceci n’est pas un ultime cadeau à la victime. Au contraire, cela a pour but de faire durer son supplice, qui doit être à la hauteur de celui qu’elle a fait subir à son conjoint. En effet, une pierre trop imposante tuerait la femme au bout… de deux lancers.
En 2007, malgré les protestations de la « coupable » qui affirme que ses confessions lui ont été soutirées par la contrainte, la peine de Sakineh Mohammadi-Ashtiani, qui est enfermée dans la prison de Tabriz (Nord-Ouest), est confirmée par la Cour Suprême iranienne. Selon l’association de défense des droits de l’Homme Amnesty International, elle a déjà reçu ses 99 coups de fouet.
Et Sakineh attend, avec angoisse, terrée dans sa cellule, qu’advienne son heure, une sinistre, honteuse et douloureuse heure. C’est alors que le dernier contact de Sakineh avec le reste du monde, ses enfants, décide de rompre le silence, malgré les menaces des autorités iraniennes. Leur dernière chance : avertir la planète entière pour mobiliser l’opinion et sauver leur mère.
À Paris, cette initiative rend sceptique. « C’est terrible. Mais que pouvons-nous faire ici, pour libérer en Iran, une Iranienne aux mains de geôliers sanguinaires ? ». Mais également à Téhéran, chez le peuple iranien. « Les Occidentaux ne feront rien. Ils ont toujours privilégié leurs intérêts économiques à notre douleur et, surtout, la négociation avec les Mollahs pour résoudre la crise nucléaire, peu importe les violations des droits de l’homme dont nous sommes victimes au quotidien ».
Mais on a appris avec le temps, que ceux qui ne font que parler tout en restant les bras croisés ont toujours tort.
La preuve, cette semaine, tandis que Sakineh pouvait être lapidée à n’importe quel instant, la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège sont montés au créneau pour condamner vivement cette sentence. Et c’est dans la bouche du ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, qu’ont été prononcés les mots les plus durs à l’encontre du Régime de Téhéran : la peine était « moyenâgeuse » et si elle était mise à exécution, cette lapidation provoquerait « dégoût et horreur dans le monde ». Et les Britanniques ne se sont pas arrêtés là…
Hier, le très sérieux quotidien britannique Times a lancé une campagne internationale pour faire annuler la lapidation et a publié ce matin une lettre ouverte signée par plusde 80 personnalités, dont l’ex-secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice, trois anciens ministres britanniques des Affaires étrangères et Jose Ramos-Horta, président du Timor Oriental et prix Nobel de la Paix. Les acteurs américains Robert de Niro et Robert Redford, le philosophe français Bernad-Henri Lévy et sa compatriote, l’actrice française Juliette Binoche, figurent aussi au nombre des signataires.
Ce n’est pas une première. Une telle mobilisation internationale en faveur d’un prisonnier iranien avait déjà eu lieu, en mai dernier, pour faire sortir de prison le cinéaste Jafar Panahi. Nous avions décidé de la lancer ici, à la Règle du jeu, sur le blog « Nouvelles de l’Iran libre », malgré les avis défavorables. Avec le Résultat que l’on connaît.
Et cette fois encore, la bonne nouvelle ne s’est pas faite attendre. Ce matin, l’ambassade d’Iran à Londres a révélé dans un communiqué, que « Selon les informations transmises par les autorités judiciaires compétentes en Iran, (Sakineh Mohammadi Ashtiani) ne serait pas lapidée ». Une victoire pour tous les citoyens du monde entier face à l’obscurantisme religieux. Une victoire encore plus précieuse pour les 800 prisonniers politiques iraniens toujours derrière les barreaux. Oui la mobilisation internationale est possible. Oui, les gouvernements occidentaux peuvent fermer les yeux sur leurs intérêts, se lever d’une seule voix contre l’ignominie et faire annuler une peine injuste et inhumaine en Iran.
« La campagne pour sa libération progresse bien », a ainsi déclaré hier Sajad, le fils de Sakineh, au quotidien britannique The Guardian. « On m’a donné la permission de lui parler et elle est très reconnaissante aux gens du monde entier pour leur soutien ».
Pourtant une terrible inquiétude subsiste. Vous l’avez bien lu, quelques lignes plus haut. J’ai bien écrit « annuler ». Et pas « libérer ». Car Sakineh Mohammadi Ashtiani demeure toujours en prison. Pire, son avocat a déclaré aujourd’hui ne pas avoir été informé d’un arrêt de l’application de la peine de sa cliente. Et lui n’est pas aussi enthousiaste que nous. « Ce communiqué comporte certaines ambiguïtés », a-t-il notamment expliqué. « Il ne dit pas si la peine a été cassée, si elle est remplacée par une autre peine, si ma cliente sera libérée, s’il y aura un autre jugement ».
Car si la lapidation a peut-être été annulée, rien ne nous indique qu’il en va de même pour la peine générale, à savoir la peine de mort, exécutée en Iran par pendaison. Voici pourquoi il est de notre devoir de ne pas abandonner Sakineh Mohammad Ashtiani, et de poursuivre la mobilisation internationale réclamant sa libération immédiate et sans condition.
Selon Amnesty International, au moins huit autres femmes et trois hommes courent le risque d’être lapidés en Iran.