Je lis ce qui s’écrit, tous ces jours-ci, sur Bernard-Henri Lévy. J’observe l’incroyable chasse à l’homme déclenchée contre lui pour une obscure histoire d’auteur sous pseudonyme qui l’aurait prétendument piégé. Et je trouve que le débat intellectuel tombe vraiment, en la circonstance, sous le niveau zéro (le journal Libération n’a-t-il pas été contraint de fermer tous ses forums de discussion « accrochés » aux articles de et sur Bernard-Henri Lévy, tant ils étaient envahis de commentaires antisémites ?).
Je suis plongée, à l’instant où j’écris ces lignes, dans Pièces d’identité (Grasset, 1 340 p., 29 €), qui est le plus gros des deux livres publiés, il y a quelques jours, par lui. J’ai retrouvé la passion et la voix de l’un de ceux qui m’ont soutenue jusqu’au bout, et au-delà, sans jamais douter ni se lasser. J’ai retrouvé ses textes théoriques, souvent polémiques, parfois injustes, mais toujours stimulants, sur la gauche, son avenir, ses valeurs, sa nécessaire reconstruction.
J’ai lu ses analyses prémonitoires, parues pour la plupart dans la presse américaine et inaccessibles à l’essentiel des lecteurs français, sur celui qui n’était encore que le très futur président Barack Obama. Mais j’y ai trouvé tant d’autres richesses sur des sujets qui me sont peut-être moins familiers, mais qui passionnent infiniment et dont je serais consternée qu’ils passent à la trappe de ces polémiques mesquines et injustes qui le poursuivent à chacun de ses livres, mais qui me semblent, cette fois-ci, prendre une importance inédite et se nourrir d’une cruauté nouvelle.
Les pages sur Romain Gary, par exemple, sont bouleversantes de vérité. Le portrait d’Alberto Moravia, ce grand vivant et grand écrivain antifasciste, est saisissant. J’ai énormément appris au fil des 300 pages, qui sont le coeur battant du livre, et qui s’intitulent Le Génie du judaïsme. J’ai aimé ses pages sur Jean Genet à Tanger. J’ai dévoré la série des grands reportages qui ont mené cet infatigable globe-trotteur d’un bout du monde à l’autre. Et tout cela sur quatre ans seulement !
Ces mille trois cents et quelques pages comme témoignage de quatre années, seulement, de travail tous azimuts et frénétique ! Et je ne parle pas de la partie proprement philosophique du livre : ces portraits de Louis Althusser qui fut, dans sa jeunesse, le maître de Bernard-Henri Lévy et des jeunes de sa génération… cette réflexion sur le Mal dont ce serait tellement bien que s’inspirent les politiques… ou bien ces pages sur Spinoza, « le philosophe qui donne de la joie »…
C’est drôle, quand même, tous ces roquets qui lui reprochent une ligne sur le désormais fameux « Botul » et qui, avec ce reproche, tiennent ou croient tenir une bonne raison de « trapper » Spinoza, Althusser, le psychanalyste Jacques Lacan, le charismatique commandant Massoud ou le mystérieux Emmanuel Levinas ! Moi qui connais pourtant bien BHL, j’avoue avoir été toujours entraînée par l’ampleur de son érudition, l’élan de ses curiosités et, à chaque fois, son esprit de nuance. Intellectuel « mondain » ? Ou « médiatique » ? Ce n’est pas le Lévy que je connais. Ce n’est pas non plus celui que je retrouve au fil de ma lecture et que je recommande à celles et ceux qui ont envie d’avancer.
Qu’il me soit permis, pour finir, de citer un texte qui n’est ni de Lévy ni de moi, mais d’un illustre socialiste : « J’ai connu Bernard-Henri Lévy, écrivait-il, dans une page superbe de L’Abeille et l’Architecte, alors qu’il venait d’entrer à Normale supérieure. Je me flatte d’avoir pressenti en ce jeune homme grave le grand écrivain qu’il sera. Un danger le guette : la mode. Mais la souffrance, amie des forts, le sauvera. Tout l’y prépare. Je ne m’inquiète pas de ce goût de plaire qui l’habite et l’entraîne aujourd’hui hors de son territoire. Quand il s’apercevra qu’il possède en lui-même ce qu’il cherche, il reviendra à sa rencontre. Le voudrait-il qu’il n’échapperait pas au feu qui le brûle. Il a déjà dans le regard, ce dandy, de la cendre. Peut-être me trompé-je, peut-être cédera-t-il aux séductions du siècle au-delà du temps qu’il faut leur accorder. J’en serais triste. J’accepte qu’il dépense encore beaucoup d’orgueil avant de l’appeler vanité. J’ai apporté de France avec moi La Barbarie à visage humain que j’annote pour mes chroniques. C’est, à l’image de son auteur, un livre superbe et naïf. Superbe par le verbe, le rythme intérieur, l’amère certitude qu’il n’est qu’incertitude. Naïf par l’objet de sa quête, qui le fuit dès qu’il en approche. Le mouvement dialectique monte haut. » L’auteur de ces lignes, c’est François Mitterrand !
Ce texte a trente-deux ans. Mais il n’a pas pris une ride. Le Bernard-Henri Lévy que je connais, dont je sollicite parfois les conseils, l’homme droit et engagé que j’apprécie profondément, c’est exactement, au fond, celui qu’avait pressenti François Mitterrand. Ça vous étonne ? Moi pas.
En somme, 32 ans après, le constat est que BHL s’est engouffré, noyé même, dans les pièges que Mitterrand voyait déjà le narcissisme du sujet lui tendre. « Mondain », « médiatique », dans « la mode » jusqu’à l’obsession, aucune de ses productions n’a l’intérêt de ses premières oeuvres. Il faut sans doute être de son sérail pour lui trouver aujourd’hui les mêmes qualités que madame Royal. A nous autres qui ne pouvons que le lire, « la meute », il ne montre plus que ce très mauvais côté.
D’un autre côté ce texte est amusant. Si « la meute », stupide et inculte, haineuse et facile à berner, existe vraiment, c’est elle qui a donné en 2007 les rennes du PS à une idole communicante plutôt qu’à d’austères et compétents politiques. Avec le succès que l’on sait, pour l’élection et sa suite. Finalement ce texte de madame Royal est sans doute un exercice d’auto dérision ou de masochisme.
Tout cela est très louable, sauf que ce faisant, Ségolène Royal se trompe de livre. BHL n’a pas cité le faux Botul dans « Pièces d’identité » mais dans « De la Guerre en philosophie », ce qui n’a rien à voir. «
Ah, amour, quand tu nous tiens!
Elle a du courage la Royal de défendre Bh… Faut dire que lui assi la défend alors qu’elle est au plus bas. Il lui écrit ses discours, elle vole à son secours sur l’affaire botul… Des liens plus qu’étroits, moi je vous le dis!
Chère Ségolène Royal,
Cet article vous honore et vous range, avec BHL, parmi les irrédentistes, solitaires mais superbes, que la meute – prompte à lyncher au premier mot d’ordre, pourvu que son auteur soit aigri, rassis et veule – pourchasse sans relâche. Lyncher qui? Les « enjuivés » de la pensée, les rebelles dans la république des sots, ceux qui dédaignent sans faiblir les maîtres à penser que cette république se choisit au mépris du génie français, et tous ceux qui ont raison contre les inépties à la mode et qu’il faut faire taire à tout prix. Vive Botul, qui montre la confiance de BHL dans ses misérables contemporains dont la farce n’atténue en RIEN, au contraire, la justesse de ses vues.