La répression a enfin une voix. Quelques jours après le dévoilement d’une vidéo exclusive montrant l’attaque dont ont été victimes les étudiants de l’université de Téhéran, Keyvan, habitant de la province iranienne de Mobarakeh (non loin de la ville d’Ispahan), vient d’envoyer au site internet de la radio d’opposition Radio Farda (radiofarda.com), un enregistrement assez spécial. Il s’agit d’un coup de téléphone qu’il aurait reçu une semaine après le 11 février, date du 31ème anniversaire de la Révolution islamique, que les manifestants de l’opposition ont tenté de détourner en nouvelle journée de contestation du Régime.

A cette occasion, Keyvan a contacté Radio Farda, et a laissé sur le répondeur de la station un message annonçant que le Réseau SMS avait été coupé dans sa ville, rendant très difficile l’échange d’informations entre manifestants. Or la personne qui se trouvait à l’autre bout du fil n’était pas n’importe qui… Il s’agirait en fait d’un « Etelaati », autrement dit d’un membre du service des Renseignements iraniens, très actifs ces derniers jours dans les arrestations et intimidations multiples des membres de l’opposition, mais aussi des citoyens iraniens « normaux ». Il faut dire que l’ensemble des lignes téléphoniques du pays sont sur écoute, grâce au généreux concours de la société finlandaise Nokia Siemens, qui a gentiment fourni à la République islamique des appareils d’écoute sophistiqués, s’accordant une place de choix dans ce fleurissant marché en devenir au pays des Mollahs.

En plus de dévoiler les méthodes assez brutales des services de Renseignement, dont l’activité a augmenté de façon exponentielle durant ces huit derniers mois, cet enregistrement permet de connaître le courageux Keyvan, qui ne vas pas hésiter à faire preuve de sang froid, d’humour et même à tourner en bourrique son agresseur, malgré les risques qu’il encourt.

Voici la retranscription entière de l’enregistrement :

(les propos de l’agent des Renseignements figurent en gras)

Comment allez-vous ?
– Merci (C’est la réponse d’usage en Iran)
Mme Ashraf Nouri est-elle la détentrice de la ligne téléphonique ?
– Oui
Comment allez-vous ?
– Merci.
Donc la ligne lui appartient, n’est-ce pas ?
– Pourquoi demandez-vous cela ? Oui.
Etes-vous Keyvan ?
– Oui, je suis Keyvan.
Comment allez-vous?
– Merci.
Je vous appelle du bureau local du Ministère de l’Intelligence (Renseignements iraniens). Ok ?
– Ok
Vous entendez ?
– Oui.
Ok, notez notre adresse et mon numéro de téléphone.
– Ok.
Ispahan…Rue Bozorgmehr…après l’intersection de la rue Golzar…le bureau local du Ministère des Renseignements.
– Et alors ?
Avez-vous noté ?
– Oui.
Maintenant, écrivez mon numéro de téléphone…222-43-18…Mon nom est Sohrabi.
– Ok, Brigadier Général Sohrabi, c’est ça ?
Oui. Soyez ici avant 15 heures, j’ai quelque chose à vous dire.
– Que souhaitez-vous me dire ?
Venez ici, et nous parlerons. Mais si vous ne venez pas, je viendrai jusqu’à votre porte et vous ramènerai ici.
– Ok, merci.
Ecoute ! Si tu ne te pointes pas, je viendrai jusqu’à ta porte et t’arrêterai. Je te préviens.
– Ok, j’ai enregistré tout ce que vous venez de me dire, et je vais le publier sur Internet.
Ok, tu peux l’envoyer où tu veux.
– Ok
Mais si tu ne te ramènes pas, je jure sur Dieu que je te scalperai.
– Ok
Et je souhaite que tu publies tout ce que je viens de dire. J’ai encore plus à te raconter…Si tu ne te pointes pas avant 15 heures, je te découperai
– Ok, merci.
N’oublie pas. A 15 heures, je t’attends.
– Je suis loin Monsieur.
Je me fous du lieu où tu te trouves.
– Comprenez-moi Monsieur. Je suis à Mobarakeh (Province d’Ispahan) et je ne peux être là à 15 heures… Je viendrai dans les jours qui viennent.
Ecoute ! Où que tu sois…
– J’ai simplement appelé (Radio Farda) et annoncé que le réseau SMS ne fonctionnait pas. Ai-je menti ?
Ecoute ! J’ai ton adresse. Si tu ne te pointes pas, je viendrai jusqu’à chez toi, te menotterai, et te foutrai la honte devant tes voisins. Je veux te parler.
– Je n’aurai pas honte, c’est vous qui aurez honte.
Ok, nous voulons avoir honte.
– Ok, alors faites-le.
Quand viendras-tu ?
– Je viendrai durant un jour travaillé (pas un week-end)
Quand ?
– Aujourd’hui je ne peux pas. J’ai des invités.
Quand viendras-tu ?
– Quel jour sommes-nous aujourd’hui ?
Nous sommes jeudi.
– Je viendrai dimanche (dimanche est un jour travaillé en Iran)
Dimanche à quelle heure ?
– Je ne sais pas…dimanche matin.
Quelle heure ? Je souhaite t’accorder une chance. Tu ne diras pas qu’on ne t’as pas informé ou demandé de venir par toi-même. Je suis en train t’accorder une chance.
– Vous me donnez une chance ?
Oui. Je souhaite que tu enregistres ma voix et que tu l’envoies là-bas (à l’étranger).
– Certainement, je le ferai.
Fais-le absolument.
– Ok.
Alors quand viens-tu ?
– Je vous l’ai dit, dimanche.
Dimanche à quelle heure ?
– Je viendrais quand je le souhaiterais, pas à l’heure que m’indiquerez. Je viendrai dimanche.
Ok, si tu ne pointes pas ce soir, je saurai quoi faire.
– Je viendrai dimanche.
Si tu ne viens pas ce soir, je t’arrête.
– Vous pouvez m’emmenez à la prison d’Evin (célèbre prison politique de Téhéran). Qu’est-ce qui peut être pire que cela ?
Si tu ne te pointes pas ce soir, je vais te montrer ce qui peut être pire. Au revoir.
– Au revoir.

Le site internet de Radio Farda* ne donne pas davantage de détails sur le sort de Keyvan, mais le récent envoi de son enregistrement laisse présager qu’il ne lui est rien arrivé de grave.

Consulter le site de Radio Varda (en persan)

Consulter la version anglaise

*Radio farda est la branche iranienne de la Radio Free Europe/ Radio liberty, émettant en persan à destination de l’Iran depuis Prague, et financée par le Broadcasting Board of Governors, l’agence indépendante du gouvernement des Etats-Unis, chargée du contrôle des télévisions et radios financées par le gouvernement américain.