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L’ECOLOGUE ET SON MOLIERE
Après Jérusalem et Rome vint Copenhague. Las ! Le concile ne prit pas ; mais la foi sait attendre. Avant tout, il s’agit d’imposer de nouveaux mots. « Planète », « la planète » ; pourquoi nos ondes, nos écrans et ce qui nous reste de cervelle ont-ils tant grésillé de ce vocable, ces derniers jours ?
Les nuages s’amoncellent, tout autour de nous ; la pression atmosphérique promet de s’alourdir chaque jour un peu plus ; les glaces fondent, les espèces disparaissent, les hommes pullulent et polluent. Dans l’espace des pensées, où tous sans le savoir tissent ensemble leurs idées, leurs problèmes et leur Histoire, quelque chose s’est passé ; le grand vide laissé par les modernes a pris forme nouvelle, enfin. Après l’inquiétude, après l’angoisse vint une résolution, d’abord vague et timide, puis active, insistante, furieuse… mais vague, encore et toujours. Peu importe : la résolution était devenue révolution. Le premier signe collectif nous vint d’Allemagne : ce furent les Verts.
On devine que le mot d’écologie ne sera plus très longtemps adapté à tout ce qu’il charrie. On ne sait pas quel nom ça finira par porter. En attendant, il est un mot qui gonfle et s’amplifie, et qu’on sollicite chaque jour un peu plus ; c’est lui, le maître mot : la planète.
A défaut de vrais experts (il semblerait que cela n’existe pas), le mot ne mérite-t-il pas lui aussi sa petite météorologie ?
Il y eut d’abord un ciel sans nuage ; il était tout noir. C’était la nuit, et les étoiles rugissaient leur concert galactique. Focalisant et polissant sa lunette, l’astronome fut son premier locuteur : sachant regarder ce qui brille et ce qui ne brille pas, il découvrit, plus loin que la Lune, d’autres corps célestes qui ne brûlaient pas, mais recevaient seulement la lumière. La définissant ainsi, je dis son concept moderne ; car planeta, ou plutôt planêtès, fut le nom que les astronomes grecs donnèrent aux astres errants, par opposition aux étoiles, qui sont fixes pour un Aristote ou pour un Ptolémée.
A ce titre, la terre, censée elle aussi être fixe, n’était pas une planète ; centrale, elle demeurait immobile – posée. Mais vinrent les Copernic et les Galilée, munis de leur fameuse coupure épistémologique. Le mot changea de sens : la planète, avant tout, fut la nôtre. Nous tournions, nous errions, nous aussi.
Pour un temps, il y eut deux usages du vocable, concurrents à quelque égard : les planètes, au pluriel, qui désignaient la multitude des astres non « étoilés » ; et la planète terre.
Car parler de planète terre, c’est parler en physicien. C’est relativiser le nom singulier de la terre, c’est la compter comme l’individu d’une série, et non comme l’unique Gaïa, ou Adama, pour citer ses deux noms les plus prestigieux. Oh, le physicien n’empêche personne de la prendre encore très au sérieux, la terre susnommée ; ronde, elle peut être encore, pourquoi pas, l’objet de la sollicitude divine ! La planète terre est donc, si l’on peut dire, un nouveau prédicat de la terre ; elle est créée, nourricière, et une planète. Elle est regardée par le bon Dieu quand elle tourne ; rassurons-nous, il voit si bien que ça ne lui donne pas le tournis.
Qui d’autre parle ensuite de planète ? Ceux qui décident d’emprunter à la langue des physiciens : les philosophes, et les auteurs de science fiction. Les premiers, qui ont décidé de découdre (ne pouvant en découdre avec elle) la providence ; les seconds, qui proposent d’autres sols pour les hommes. Car la terre, pour nous, avant d’être une boule ronde, est un sol.
Soudain, comme une invasion venue d’une planète Mars, des signifiants nouveaux débarquèrent dans notre beau pays de France ; à côté des « Y a pas de souci », dans les cafés, dans les bureaux, les journaux, dans les interviews d’acteurs et de footballeurs, bref, dans la fine fleur de la pensée (puisqu’à présent on peut la confondre avec celle de nos modernes politiques et littérateurs – c’est donc que les footballeurs sont devenus des lettrés ?…) avoisiné par écologique, par environnement, puis même par des signifiants plus mystérieux encore (environnemental, développement durable…), tomba le nouveau et essentiel vocable : la planète, sans son nom siamois, terre. La planète tout court. Une scansion nouvelle s’annonçait.
Bien sûr, on fit encore quelques propositions complémentaires. Par exemple, au cinéma, on démarqua la planète blanche (désignant d’une synecdoque la splendeur polaire menacée) de la planète bleue, périphrase pour « la terre » germée dans les yeux, non des astronomes, mais des astronautes émerveillés par leur hublot. Soit, mais tout cela était passablement transitoire. La révolution advenue, dans le royaume des signifiants, pourrait se résumer ainsi : alors que la terre, jusque-là, était un terme principal dont planète eût été l’un des nombreux prédicats, ce fut la planète qui devint le terme principal, et la terre qu’on ravala honteusement au rang du prédicat.
Qu’est-ce qui identifie la population de notre vaisseau spatio-lexical ? Une double caractéristique, dont la conjonction est le geste même de notre époque ; pour continuer dans le détestable registre de la stylistique, on pourrait dire qu’on y découvre un oxymore perpétuel : du scientisme, et de la confusion.
Logie, dans éco-logie. Logie, ça veut dire que ça se range parmi les sciences. Bizarre : quel rapport y a-t-il entre la lutte pour la défense de ce qu’on appelait autrefois la nature (aujourd’hui, c’est la planète), et la science de la maison, que l’étymologie (ah ! Si on pouvait lui tordre le cou, à celle-là !) s’acharne à nous traduire dans ce lexème ! Qu’est-ce que c’est, une science de la maison ? En quoi les phoques, les bébés phoques et les trous de la couche d’ozone ont-ils quelque lien avec quelque maison que ce soit, quand bien même, comme dans l’économie, on parlerait de la maison de tous ?
Continuons : les fruits biologiques. Oh, pas seulement les fruits : les légumes. Les courgettes biologiques, les topinambours biologiques. Biologique est, croyons-nous, l’adjectif tiré de biologie. La biologie est la science du vivant. Fruit biologique signifierait donc : fruit produit de la science du vivant ; – nous soupçonnerions là, fortement, une métaphore, pour confuse qu’elle soit. Mais alors, qu’on nous dise que fruit biologique signifie qu’il a été épargné, par miracle, des assauts des pesticides et autres engrais artificiels : les bras, les cervelles nous en tombent !
Développement durable : ah, nous semblons emprunter là à la moins scientifique de toutes les sciences, l’économie. Développement, cela dit une expansion. Durable : dit-on que l’expansion durera ? Qu’elle peut durer ? Mais l’expansion économique n’a-t-elle pas toujours duré ? Ne frisons-nous pas le truisme, la lapalissade ? Non, nous dit-on. Ce qui dure, nous dit-on, ce n’est pas le développement, c’est la terre ! Pardon – la planète ; la planète qui ne sera pas violée, détruite, dévastée par le développement. Durable n’est pas tant une propriété essentielle du développement, qu’un effet qu’il produit dans son domaine ; que son domaine, autrement dit, peut durer. Mais qu’est-ce que c’est donc que cet adjectif ? ¨Pourquoi ne pas parler, je ne sais pas, moi, de développement mesuré, de développement restreint, de développement contraint ? Pourquoi choisir un adjectif qui ne marche pas ? Qui n’est pas vraiment qualificatif ? Pourquoi choisir un adjectif vaguement métonymique, confusément métonymique, qui criera l’amateurisme lexical, le va-vite ?
Croiser maniaquement le vocabulaire d’un savoir avec tout et n’importe quoi, tirer à côté du signifiant ; se contraindre, du cœur même de son concept, à ne rien dire qui soit clairement intelligible ; se donner l’apparence du souci de la vérité, en choisissant les mots et les adjectifs les plus pompeux, les plus alourdis par leur pose, et les répandre dans les étals et les étables, dans les stades et les télés ; prêter aux masses le souci des radis biologiques, du développement durable de la planète, de la pureté environnementale, et tenter de faire monter en eux le ferment de la passion pour ce dont ils ignorent, par une nécessité de structure, le véritable sens, tout cela, c’est être quoi ? Un fou ? Un imbécile ? Féliciter les gens pour leur participation à la réduction du trou de la couche d’ozone quand ils achètent un désodorisant qui fait splotch au lieu de faire splitch ; encenser les foules qui sauvent la planète en écoutant Yannick Noah bêler au stade de France ; béatifier les martyrs qu’on enferme pour avoir arraché les maïs transgéniques, c’est être quoi ? Un psychotique ? Un demeuré ?
Non ; c’est être un religieux.
Oh ! On sait bien qu’une religion nouvelle est en train de naître. On sourit, un peu gêné, de ce retour à l’origine ; du néopaganisme qui nous gagne. Après tout, cela promet d’être torride, le retour à la celtitude ; une immense fest-noz druidique sous les chênes vénérés, qu’en dites-vous, eh ?
Le problème, c’est qu’il n’y a nul retour cyclique à l’origine ; qu’il ne s’agit nullement de néopaganisme. Allons ! Un peu de bonne foi ! Cette volonté schizophrénique de croiser le savoir et la confusion, les contradictions, les oxymores, pour conclure par le « mystère » ! Ce culte impossible, sauver la planète en buvant un verre de moins comme si on mangeait un corps en avalant un morceau de pain ! Cette idole, la planète, qui est née pour être opprimée, battue, puis trahie et crucifiée par des hommes cupides, jouisseurs, fanatiquement intéressés par eux-mêmes (si on pouvait vraiment la sauver, si elle n’était pas irrémédiablement perdue, qui s’intéresserait à la terre ?…) Cette loi unique, loi unique d’amour : « sauver la planète », au nom de quoi le magazine Science et vie s’interroge et demande : « Faisons-nous trop d’enfants ? Y a-t-il trop d’hommes ? » ; cette loi d’amour qui nous demande donc de donner sa vie pour celle qu’on aime, à savoir, on a fini par le comprendre, la petite planète, toute mignonne entre son bœuf et son âne ! Qu’avons-nous là ? Nous qui louons, chez quelques hommes, chez quelques produits de l’historicité chrétienne, des qualités et des éthiques parmi les plus civilisées du monde ; nous qui reconnaissons, par-delà les trous béants du dogme originel, la conviction et la finesse qu’ont déployées tant d’immenses intelligences pour les boucher avec patience et brio ; nous qui nous émerveillons de l’extraordinaire décoration qu’il a entraînées dans sa suite, et dont il s’est si heureusement recouvert – des miserere d’Allegri aux cantates de Bach, des fresques de Giotti aux somptueuses afféteries de Tintoret : quel Christianisme hirsute, barbare, mal dégrossi ose donc se révéler là, recouvert par plaques des crins et des peaux de chèvres d’une soi-disant nouveauté politique ?
Souvenez-vous de Dom Juan ; dans l’acte III, scène 1, Sganarelle discute de médecine avec son maître. Et voilà qu’il s’excite, le bougre ! « Le vin émétique fait bruire ses fuseaux… Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits….Il n’y a pas une semaine que j’en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux ! » « Lequel, demande Dom Juan ? » Sganarelle raconte : un homme était à l’agonie ; on ne savait que faire ; on s’avisa de lui donner de l’émétique. «Il en réchappa ? », demande alors Dom Juan. « Non, il mourut », répond Sganarelle, qui s’offusque du ricanement bref de son maître – dites-moi, de quoi qu’il cause, l’outrecuidant crétin ? De religion ? Mais non, de médecine, vous dit-on. Grand secret : pourquoi Molière commence-t-il cet acte III, scène 1 par nous causer de la médecine comme d’une religion, puisqu’on en parle aussitôt après, de la religion ? Pour nous dire ceci : qu’il n’y a pas, n’en déplaise à Pascal, le moindre mérite à la foi du charbonnier. Le charbonnier croirait à tout et n’importe quoi de la même façon, sans la moindre différence ; de la même façon au Crucifié, au Rédempteur, et… au vin émétique.
De la médecine à l’écologie : oh ! Ce ne sont pas les hommes, qui prolifèrent ; ce sont les Sganarelle. Ecoutons-le encore, dans l’acte V scène 2 : « Je dis toujours la même chose, parce que c’est toujours la même chose ; et si ce n’était pas toujours la même chose, je ne dirais pas toujours la même chose ! »
Effectivement, c’est toujours la même chose.
Pauvre Occident ! Tu as cru que tu ressemblais à Dom Juan ? Tu t’es cru dangereux, profanateur, blasphémateur ? Meuh non… C’est à Sganarelle que tu ressembles ! C’est Sganarelle qui, aujourd’hui, crie, vocifère pour la planète, en tête de la parade hétéroclite qui se marche et se gonfle chaque jour en son nom, entraînée par ses frères mineurs et ses prélats hypocrites, ses chanoines gourmands, ses ascètes, ses anachorètes, mais aussi ses diacres et ses laïcs – qui nommé-je ? Nicolas Hulot, José Bové, Daniel Cohn-Bendit ? Noël Mamère, Yann Arthus-Bertrand, Corinne Lepage ?
Et tant d’autres ?
Allez, honneur à Molière, honneur aux saltimbanques. Sganarelle, ça sonne mieux, vous ne trouvez pas ?
N’oubliez pas que Don juan meure terrassé par la foudre. Il meure pour son hypocrisie- hélas !désespéré.
Des lors, l’occident est l’avatar de l’idiotie de Sganarelle mais également de l’hypocrisie de Dom juan
Oui tout cela est juste, et fort bien pensé. Mes chères études de lexicologie se sont réveillées de la léthargie conformiste où elles s’étaient installées depuis qu’elles fréquentent les araignées de ma bibliothèque. Pour cela je vous remercie. Mais, quoique je partage votre méfiance pour ces nouveaux gourous et autres crucifiés sans humour ni recul, j’aime à croire qu’une noble instance, épurée de ces discours millenaristes, une académie en sorte vienne supplanter cette polyphonie mystique où la raison se perd à force de beugler à la fin des temps. Car la cause est juste, nommons-la « préservation des espèces », ou « science de l’évolution et interaction de l’homme » etc. La question est d’ailleurs vieille comme le monde, la Bible l’ayant elle-même initiée avec le Déluge et déjà la question de la préservation des espèces… Evidemment l’on se disputera sur ce qui vaut d’être sauvé… Et la voie sera ouverte à d’autres illuminés. Il faudra verrouiller cette académie. Mais à qui confiera-t-on les clés? Etc.
Bien à vous,
Ruth Bénifla