Ils continuent à réprimer, à embastiller et à tuer en direct dans mon pays meurtri. Pas de trêve donc. Pas même durant les journées de l’Achoura, mois du deuil en mémoire du Martyr de l’Imam Hossein, petit-fils du Prophète et symbole par excellence de la résistance chiite contre l’oppression. Ils tuent sans honte et menacent sans vergogne de poursuivre leur sale besogne. « Les services de renseignement et les autorités judiciaires doivent arrêter ceux qui insultent la religion et leur imposer la peine maximale, particulièrement ceux qui ont vandalisé des biens publics (…) Nous nous battrons jusqu’à notre dernière goutte de sang pour la sauvegarde du Velayat-é Faqih[1] », assure Ali Laridajani, Président du Parlement islamiste le 29 décembre et d’exiger des « représentants du peuple » de ne pas fléchir face aux responsables des troubles « qui ont entaché la sainte Achoura ».

Les valets des étrangers et autres ennemis de Dieu, qui ces jours-ci ont montré leur vrai visage, n’arriveront pas à leur fin, conclut en substance Laridjani. Comme par le passé la république islamique surmontera ce nouveau complot fomenté par l’étranger, dit-il encore. Aux « vaillants représentants du peuple » de vociférer le sempiternel « mort à l’Amérique » dans l’enceinte du Parlement islamiste. Une mise en exergue de la mise en garde finale de Laridjani adressée à « l’opposition dite de gauche » mais, « qui œuvre à l’intérieur du régime » de se démarquer des ennemis de Dieu.

Ce discours intervient à la suite des critiques virulentes de Karroubi, des mises en garde de Khatami et de Moussavi dont le neveu fut assassiné à son domicile par un commando aux lendemains de l’enterrement du grand Ayotollah Montazéri. Un nouveau martyr qui s’ajoute à la longue liste de victimes du bras de fer entre le pouvoir et le peuple Iranien. Un face à face qui dure en s’intensifiant depuis juin dernier[2]. Et après Neda, après Sohrab et les autres martyrs tombés pour la liberté, le sang du peuple est versé à nouveau durant le mois de l’Achoura à Téhéran à Tabriz, à Machahd, à Kermanchah. Du jamais vu dont les conséquences sont autant imprévisibles que dangereuses. Ce que répètent en chœur les dirigeants du mouvement vert. Karroubi reste le plus virulent d’entre eux. Il suit l’exemple de l’Ayatollah Montazéri dont la 7ième journée de deuil coïncidait avec le début de l’Achoura et continue à dénoncer les exactions d’un pouvoir dit islamique mais bien pire que le règne de Mohammad Reza Pahlavi.

Le discours de Laridajni veut combler le vide laissé par le Guide suprême, Ali Khaméneih, symbole du pouvoir et cible des manifestants. On pourrait résumer la situation actuelle en quelques points :

1- La fracture consommée entre le peuple et le pouvoir inquiète l’ensemble de la classe politique iranienne y compris les leaders de l’opposition tolérée, dépassés par les évènements.

2- La radicalisation du mouvement contestataire n’est plus le fait d’ « une poignée » de nantis du nord de Téhéran, comme le prétendait le pouvoir. Elle a gagné toutes les couches de la société et toutes les villes voire les bourgades du pays du nord au sud.

3- Cette contestation exige désormais, et sans ambiguïté, la fin du règne de Velayat-é Faqih et donc la fin de la République islamique. Les slogans du mouvement contestataire de la vague verte, ont basculé de « où est mon vote », « mort au dictateur » « liberté, égalité, justice » à « mort au Felayat-é Faqih, mort à Khamenéih », « aujourd’hui c’est le jour du sang, la chute de Yazid est proche[3] ». Et enfin « Indépendance, Liberté, république Iranienne ».Guerre dans les rues de tehran

4- La crise est profonde. Désormais elle est aussi politique que religieuse. En témoignent les discours du grand Ayatollah Montazéri, tenus secrets jusqu’à présent et largement diffusés depuis son décès, comme la participation de plus en plus massive du clergé dit contestataire dans les rangs des manifestants. Monsieur Montazéri, l’ex-dauphin de Khomeyni, qui par sa disgrâce puis sa longue résistance a désormais rejoint le panthéon des illustres représentants d’un clergé chiite authentique, indépendant du pouvoir et donc aspirant à la justice, ne reconnaît pas la légitimité de Khaméneih comme guide suprême, pas plus que le bien fondé du règne de Velayt-é Faqih (jurisconsulte) basé sur l’injustice et la terreur[4]

5- Rien ne semble mettre un terme, y compris provisoire, à l’élan insurrectionnel de la société iranienne. On peut même craindre l’exacerbation du mouvement durant ce mois de l’Achoura et lors des commémorations de deuil de l’Ayatollah Montazéri qui, comme l’exige la tradition chiite, se poursuivront pendant un an.

Reste à savoir comment réagiront les forces en présence face à une situation explosive, répressive et émotionnelle. De quelles marges de manœuvres disposent le pouvoir et son opposition ou contre-pouvoir, représenté par le troïka Moussavi, Karroubi, Khatami.

Le silence comme l’absence d’Ali Khaméneih est révélateur de la fuite en avant du régime exprimé par Laridjani. En dérogeant de son rôle d’arbitre suprême pour se ranger du côté des putschistes, Ali Khamenéih, le représentant plénipotentiaire de la théocratie, a perdu le peu d’aura qui lui restait, y compris pour une partie de ses partisans. Certains, dont Hassan Tehrani, le propre neveu de Khaméneih, prétendent que le vieil Ayatollah est pris en otage par la toile d’araignée des putschistes, autrement dit les gardiens de la révolution pro Ahmadinéjad. Ce sont eux et le clergé ultra conservateur qui exigent aujourd’hui l’arrestation pure et simple de Moussavi, Karroubi et Khatami.

Moralité : la répression jusqu’auboutiste semble, comme par le passé, la seule option adoptée face aux exigences populaires. D’où le conseil « fraternel » de monsieur Laridjani à « ces messieurs de l’opposition » tolérée – pour l’heure – et dite « de gauche » qui ferait mieux de clarifier leurs positions le plus rapidement possible. D’où les déclarations et les menaces de Ahmadinéjad qui comme à son habitude tient le complot international et leurs valets nationaux pour les seuls responsables des troubles. Déclarations et menaces à peine voilées au nom du sacro saint intérêt supérieur de l’Etat, qui plus est se dit de droit divin. Face à l’ennemi « extérieur », il faut resserrer les rangs au risque de voir l’édifice s’écrouler. Durant trente ans le pouvoir khomeyniste – une sinistre théocratie greffée sur quelques institutions pseudo-démocratiques – exerça le pouvoir quasi absolu grâce à la terreur. Or, comme le crie haut et fort la population iranienne, notamment la jeune génération qui n’a connu rien d’autre que cette répression « toupe, tank Bassidji, Digar Assar Nadarad. La mitraille, les tanks et la milice ne nous arrêteront plus… »

Que ferait en effet l’opposition tolérée de « la gauche » face à la radicalisation du mouvement ? Moussavi, Karroubi ou Khatami, dont les deux derniers étaient hier encore au sommet du pouvoir, représentent-ils encore un mouvement qui vise le cœur du système ? De quelle force effective disposent-ils ? Qui tient cette nébuleuse qu’est la force armée du pays – corps des gardiens de la révolution, ceux des innombrables services de l’ordre et de la police, de la milice, des para militaires, le tout infiltré par la tentacule des services secrets dont ces sauvages que dénonce Karroubi ?

Mais, n’ayons pas la mémoire courte. Mes compatriotes, y compris, ou devrais-je dire, tout particulièrement monsieur Karroubi, qui durant de longues années a fait partie du sérail de  la République islamique savent fort bien que ces sauvages qui tabassent aujourd’hui impunément une population sans défense au vu de tous, ces sauvages qui tuent en direct, ces sauvages qui violent et torturent. Ces sauvages sont les mêmes qui sévissent depuis trente ans en huit clos. N’oublions pas que les meurtres en série et les terreurs d’intellectuels perpétrés, avec, en effet, une rare barbarie, ont eu lieu durant le mandat du « réformateur » Khatami en 1998. Un réformateur que l’on aurait « ligoté » selon ses partisans mais qui n’a pas pour autant démissionné de son poste. N’oublions pas que c’est sous les mandats du pragmatique Rafsandjani qu’il y eut le plus grand nombre d’assassinats extra-muros à l’encontre des opposants Iraniens. Hier Président de la république et cumulant aujourd’hui les postes clefs du Président de l’assemblée des experts et celui du Conseil supérieur de discernement des intérêts du régime, ce numéro deux – après le guide suprême – est tout aussi muet que lui. N’oublions pas qu’excepté l’Ayatollah Montazéri, aucun de ces messieurs du clergé au pouvoir[5], y compris les contestataires d’aujourd’hui, n’a émis un mot à l’encontre des fetwas de Khomeyni dont celui du massacre des prisonniers politiques en 1988 – y compris à l’encontre de ceux qui avaient purgé leur peine. N’oublions pas que c’est le corps clérical de la religion de l’Etat qui a modifié et « islamisé » le code civil iranien permettant ainsi le mariage des fillettes à l’âge de 9 ans lunaire (huit ans et demi), et qui a codifié le code pénal islamiste dont la loi de talion qui permet l’inoculation de l’œil du condamné, ou le châtiment de la lapidation pour les « adultères » etc.

Que le lecteur se rassure. Ces tristes rappels ne visent pas les personnes sus citées mais la politique de l’Etat qu’ils représentent ou ont représenté. Car, exceptée la mienne, nulle conscience ne me chatouille désormais. Je l’ai sans cesse répété à ces messieurs des services secrets qui me rendaient régulièrement visite lors de mon séjour à Téhéran en 2006 – après près de trente ans d’exil – que je ne baisserai les bras pas plus que la tête face à la tyrannie théocratique. Aujourd’hui, comme hier, c’est au nom des valeurs auxquelles je crois et pour lesquelles je me bats depuis trente ans que je fais ce rappel d’inventaire. Triste inventaire qui nous rappelle sans cesse au souvenir du sang des innocents. De ceux morts sous la torture, en solitaire, morts dans le silence absolu des cellules de l’horreur. C’est aussi pour eux tout autant que pour les vivants que je me dresse contre les sauvages que dénonce aujourd’hui monsieur Karroubli. Mais il me faut sans cesse rappeler que le sang de mes compatriotes, visible aujourd’hui sur les pavés de Téhéran et les écrans du monde, n’est qu’un pâle reflet des rives du sang de l’Iran sous le joug de la théocratie.

La police blesse un manifestant

Alors que feront – ou pourront faire – les leaders de cette opposition tolérée « dite de gauche » pour que cesse la barbarie et la répression sanglante ? Je l’ignore. Ont-ils enfin compris que « la conséquence de nos actes nous saisit aux cheveux, sans se soucier de savoir si nous nous sommes corrigés entre-temps. » (Nietzsche)

Pour ce qui me concerne, de la colère à la douleur, il ne me reste aujourd’hui que l’inquiétude. Une inquiétude teintée d’espoir. L’espoir né de la foi en la vie. La foi en cette jeunesse Iranienne, magnifique, debout, alerte et qui nous donne des leçons de vie en risquant sa vie tous les jours. Cette jeunesse soutenue à travers le monde par la deuxième génération d’Iraniens exilés tout aussi concernés par un pays qu’ils portent en eux, même si nombre d’entre eux ne l’ont jamais vu. Comment ne pas être fier de ces jeunes gens qui s’enchadorent à l’unisson pour défendre au-delà de Madjid Tavakoli[6], l’Iranienne qu’ils ont voulu écraser sous le voile. L’espoir, enfin, de voir mes compatriotes réunis dans la douleur mais déterminés à se dresser contre l’intolérable. L’espoir né de cet amour indéfectible pour une patrie à la culture millénaire qui nous rassemble au-delà de nos divergences. Comment ne pas croire au génie de mon peuple quand me parvient de l’autre bout du monde la voix de Shadjarian accompagnée de Parissa. Voix qui grondent sublimement contre les tyrans qu’ils prennent à partie. Ce chant de révolte dénonce « la férocité et les injustices des Dieux de pouvoir » avec autant de beauté qu’ils sont abjects. Quand ce souffle relate la douleur des mères d’Iran, se déchaîne alors le vent de Wellington. Pris de honte par ce qu’il entend, il se fait bourrasque pour mieux reprendre les refrains Charmétan bad (ayez honte de vous) de Shadjarian, adressés aux tyrans qui martyrisent notre peuple. Ce vent tourbillonne contre la porte en bois pour m’apaiser, m’assurer qu’ils seront, tôt ou tard, emportés par la force de notre amour pour nos enfants d’Iran.



[1] Règne du Jurisconsulte.

[2] Juin 2009 : date des élections contestées en Iran.

[3] Comprendre Khaméneih comparé à Yazid, le calife Ommeyade tenu pour responsable de la mort de l’Imam Hossein, le petit-fils du Prophète tué à Kerbela.

[4] Interviews diffusées sur YouTube.

[5] Une partie du clergé fut dès le début de la révolution contre l’ingérence de la religion dans les affaires de l’Etat.  Voir mon article : l’Onu tribune pour le messianisme de Ahmadinéjad. http://www.faribahachtroudi.fr/

[6] Un des portes paroles du mouvement estudiantin, arrêté et emprisonné depuis près d’un mois et dont une photo montée par les sbires du pouvoir le montre avec un hidjab.

2 Commentaires

  1. ce soit avec le catlon dans les telephones portables, le sablage des jeans ou la pollution des soutiens-gorge. Pour produire nos biens de tous les jours, nous polluons trop, des gens sont maltraites et des

  2. Merci pour cet article.

    Je me pose une question depuis plusieurs semaines… si la situation se radicalise et se transforme en explosion sociale et politique dans tout le pays… l’armée suivra-t-elle jusqu’au bout le pouvoir en place où à un moment donné pourrait-elle basculer ou au moins se scinder ?

    Je ne maîtrise pas assez les nominations dans les Etats-Majors iraniens ni ne connais les sensibilités pour avoir un réponse mais évidemment je parle de l »armée régulière et non des Gardiens de la Révolution Islamique.