Lui qui filma tant la guerre… ne l’aimait pas… « Il n’y a pas d’héroïsme à tuer un homme ».
Pierre Schoendoerffer n’a jamais voulu être soldat.
Né en 1928, il voulait être marin, naviguer, partir, voyager… comme Marius dans la trilogie de Marcel Pagnol « Il rêvait des îles sous le vent, des navires qui transportaient du camphre, de la vanille et du poivre »…
Dès la fin de son adolescence, la littérature le captive, Conrad Lorenz, Pierre Loti, et le cinéma lui semble une évasion possible, une péripétie qu’il peut envisager.
Engagé au service cinématographique des armées, il devient caméraman en Indochine et saute « in extremis » sur la cuvette de Dien Bien Phu alors que la bataille y fait rage.
À 24 ans, il filme le courage et le désarroi de ces hommes et le déclin poignant d’un empire colonial qui expire …
Là-bas, au cours du mois de mars 1954, la France agonise dans une boue imprégnée de sang et de larmes, et où ses pauvres soldats du bout du monde comprennent trop tard qu’ils sont tombés dans un piège.
Quelques jours avant l’assaut final du Viêt Minh, Pierre sympathisa avec mon oncle, le lieutenant de légion, Alain de Stabenrath. Pierre sera marqué à vie par cette rencontre forgée dans un chaos où, malgré tout, des officiers fourbus essayaient de se tenir debout, sans haine et sans colère, sereins et solidaires malgré le terrible sacrifice qui s’annonçait.
Alain de Stabenrath mourût à la suite de ses blessures : il avait 27 ans.
Pierre fut fait prisonnier et connut l’enfer des camps de jungle, la misère humaine, le désespoir des survivants et l’humiliation des vaincus.
De ce précipice-là, il en fit une œuvre, écrivant des livres (L’adieu au roi, là-haut), réalisant des films (la 317ième Section, Le Crabe Tambour), et des documentaires poignants, inspirés et toujours à hauteur d’homme (La Section Anderson : Oscar 1967 du meilleur documentaire)
J’ai rencontré Pierre en 1982 où il m’engagea comme comédien dans le film « L’honneur D’un Capitaine ». Il y avait Jacques Perrin, Nicole Garcia, Christophe Malavoy, Florent Pagny. Là, il s’agissait du conflit algérien. Nous tournâmes en Ardèche dans un coin perdu ; des harkis jouaient les rôles de fellaghas et Georges de Beauregard, le producteur de la nouvelle vague se démena pour louer hélicos, jeep, blindés, avions de chasse sans l’aide de l’armée.
Tourner avec Schoendoerffer était une grande histoire d’hommes, tendre et brutale à la fois. C’était tout sauf du SitCom. A chaque changement de plan, la caravane de bédouins déménageait ; je me souviens d’une séquence à cinq caméras, entre deux montagnes, avec des avions qui mitraillaient la rocaille, des hélicos « banane » Sikorski qui déposaient des paras au sommet d’un plateau, l’ennemi qui nous canardait et Jacques Perrin, en jeune capitaine qui nous conduisait à l’assaut… Des pains de dynamites explosaient, stimulant les frappes de mortier …
Pierre, debout sur son wagon travelling, hurlait « action ! » dans le mégaphone, et l’immense ramdam débutait.
Les après-tournage valaient aussi le déplacement ; nous vivions tous dans un hôtel immense, au milieu de nulle part, dans le style « Shinning » où l’élément féminin était absent mais où les bons vins trônaient sur les tables.
Pierre était un homme exigeant mais chaleureux et simple dans ses rapports humains.
Je me souviens de sa voix, martiale et rocailleuse, ironique et bienveillante.
L’œuvre qu’il laisse derrière lui est majeure : puissante, forte, historique, engagée. Elle témoigne d’une génération qui eût quinze ans pendant la guerre et dû mûrir, grandir, réfléchir, avec les remous fastidieux d’un monde qui se terminait et d’un autre qui voulait sa place et pulsait sans ménagements, ses éléphants, ses penseurs, ses héritiers, hors de leurs réserves.
Pierre ne fût jamais un soldat perdu – même s’il comprenait fort bien la sensibilité de ceux qui y laissèrent leur foi et leur innocence – ; Il reste un visionnaire, un artiste, un auteur de l’écrit et de l’image digne des plus hautes personnalités de l’Académie dont il faisait partie.
Cher Schoen… Je ne t’oublierai jamais…
Je viens de regarder un téléfilm sur la gendarmerie ou dans le générique , j ai vu passer le nom de Stabenrath ,ce qui m a accroché ayant lu le livre sur le 1 er BEP ET REP ou a servi Alain de Stabenrath en Indochine.Je viens d avoir donc confirmation qu’ il s agissait de la meme famille. Ma curiosité un instant aiguisée est satisfaite.Le 2 eme REP a eut il y a quelques années un chef de corps du meme nom.S’agit il de la meme famille?
Merci pour cet hommage.
Je me disais qu’il était bien triste que la RDJ ne rende pas hommage à l’un des plus grands cinéastes de tous les temps.
Encore un grand homme qui nous quitte…
Les grands ne cessent de partir…